Après avoir lancé un regard soupçonneux à Ron, le professeur McGonagall repoussa le tableau qui masquait l’entrée de la salle commune et sortit dans le couloir. Tout le monde retint son souffle.
– Chevalier du Catogan, dit-elle, avez-vous laissé entrer un homme dans la tour de Gryffondor il y a quelques instants ?
– Sans aucun doute, gente dame, s’écria le chevalier.
Il y eut un silence stupéfait.
– Vous… vous avez fait ça ? s’indigna le professeur McGonagall. Mais… le mot de passe !
– Il les avait tous ! assura fièrement le chevalier. Tous ceux de la semaine ! Écrits sur un morceau de papier. Il me les a lus l’un après l’autre !
Le professeur McGonagall rentra dans la salle commune, devant les élèves abasourdis. Elle était livide.
– Qui, dit-elle d’une voix frémissante, qui a été assez stupide pour noter tous les mots de passe de la semaine et les laisser traîner n’importe où ?
Il y eut un silence total, bientôt rompu par un petit cri apeuré. Puis, Neville Londubat, tremblant de la tête aux pieds, leva lentement la main.
14. LA RANCUNE DE ROGUE
Cette nuit-là, personne ne dormit, dans la tour de Gryffondor. Les élèves savaient que le château était à nouveau fouillé et tout le monde resta éveillé dans la salle commune, en attendant de savoir si Black avait été capturé. Le professeur McGonagall revint à l’aube pour leur dire qu’il avait réussi, une fois encore, à s’échapper.
Le lendemain, les mesures de sécurité avaient été renforcées dans toute l’école. Le professeur Flitwick était en train d’ensorceler la porte d’entrée à l’aide d’une grande photo de Sirius Black pour qu’elle puisse le reconnaître et rester solidement fermée à son approche. Rusard arpentait les couloirs en bouchant systématiquement les fissures, lézardes et autres trous de souris. Le chevalier du Catogan avait été renvoyé. Son portrait avait été accroché dans un couloir isolé du sixième étage et la grosse dame était de retour. Elle avait été restaurée d’une main experte mais elle restait très inquiète et n’avait accepté de reprendre son poste qu’à la condition de bénéficier d’une protection spéciale. Une escouade de trolls à la mine revêche avait été engagée pour la protéger. Ils faisaient les cent pas dans le couloir, l’air menaçant, en échangeant quelques grognements tandis qu’ils comparaient la taille de leurs massues.
Harry avait remarqué que la statue de la sorcière borgne, au deuxième étage, n’était pas gardée. Fred et George devaient avoir raison de penser qu’ils étaient les seuls – avec désormais Harry, Ron et Hermione – à connaître l’existence du passage secret qu’elle dissimulait.
– Tu crois qu’on devrait en parler à quelqu’un ? demanda Harry à Ron.
– Il n’est certainement pas venu en passant par Honeydukes, répondit Ron. On en aurait entendu parler si la porte du magasin avait été forcée.
Harry était content qu’il lui ait fait cette réponse. Car si le passage de la sorcière borgne devait être bouché, il ne pourrait plus jamais retourner à Pré-au-lard.
En une nuit, Ron était devenu une célébrité. Pour la première fois de sa vie, on lui accordait plus d’attention qu’à Harry et, de toute évidence, il en était enchanté. Bien qu’il fût encore secoué par ce qui venait de se passer, il prenait grand plaisir à raconter l’histoire à quiconque le lui demandait, avec un grand luxe de détails.
– … J’étais endormi, expliqua-t-il encore une fois à un groupe de filles de deuxième année qui buvaient ses paroles, et j’ai entendu un bruit de tissu qu’on déchirait. Au début, j’ai cru que j’avais rêvé. Et puis il y a eu un courant d’air… Alors, j’ai tourné la tête et j’ai vu qu’un des rideaux de mon baldaquin avait été arraché… Et là-dessus, je l’ai vu debout à côté de mon lit… Il avait l’air d’un squelette avec des longs cheveux dégoûtants… Il tenait un immense couteau qui devait faire dans les trente centimètres… Il m’a regardé, je l’ai regardé et puis j’ai crié et là, il s’est enfui.
– Je me demande bien pourquoi, ajouta Ron à l’adresse de Harry lorsque son auditoire se fut dispersé. Pourquoi donc s’est-il enfui ?
Harry s’était posé la même question. Pourquoi Black, voyant qu’il s’était trompé de lit, n’avait-il pas tué Ron avant de s’occuper de Harry ? Black avait prouvé des années auparavant qu’il n’hésitait pas à assassiner des innocents. Or, cette fois, il s’était retrouvé dans un dortoir occupé par cinq élèves sans armes, dont quatre étaient profondément endormis.
– Il a dû se dire qu’il aurait du mal à s’enfuir du château une fois que tu avais réveillé tout le monde en criant, dit Harry d’un air songeur. Il aurait fallu qu’il nous tue tous avant de pouvoir s’échapper de la tour… Et là, il se serait retrouvé devant les professeurs…
Neville était en pleine disgrâce. Le professeur McGonagall était tellement en colère contre lui qu’elle l’avait privé de toute future sortie à Pré-au-lard. Elle lui avait également infligé une retenue et interdisait à quiconque de lui donner le mot de passe qui permettait d’accéder à la tour. Chaque soir, le malheureux Neville devait attendre dans le couloir que quelqu’un le fasse entrer, au milieu des trolls qui passaient et repassaient devant lui en le regardant d’un air méprisant. Pourtant, toutes ces sanctions n’étaient rien à ses yeux, comparées à celle que sa grand-mère lui avait réservée. Deux jours après l’intrusion de Black, elle lui envoya la pire chose qu’un élève de Poudlard puisse recevoir au petit déjeuner : une Beuglante.
Ce jour-là, lorsque les hiboux de l’école entrèrent dans la Grande Salle pour apporter le courrier, Neville faillit s’étrangler en voyant tomber devant lui une enveloppe rouge vif. Harry et Ron, assis en face de lui, surent aussitôt qu’il s’agissait d’une Beuglante – Ron en avait reçu une de sa mère, l’année précédente.
– Dépêche-toi de sortir, Neville, conseilla Ron.
Neville ne se le fit pas répéter deux fois : il prit l’enveloppe en la tenant à bout de bras comme s’il s’était agi d’une bombe et courut à toutes jambes hors de la salle, sous les rires des élèves de Serpentard. La Beuglante explosa dans le hall d’entrée : la voix de la grand-mère de Neville, amplifiée par magie à un niveau sonore cent fois supérieur à ce qu’elle était d’habitude, se mit à hurler qu’il avait jeté la honte sur toute la famille.
Harry était tellement désolé pour Neville qu’il ne vit pas tout de suite que lui aussi avait reçu une lettre. Il fallut qu’Hedwige lui mordille le poignet pour qu’il la remarque enfin.
– Aïe ! Oh, merci, Hedwige.
Harry ouvrit l’enveloppe pendant qu’Hedwige mangeait quelques corn flakes dans l’assiette de Neville. Dans l’enveloppe, il y avait un petit mot :
Chers Harry et Ron,
Que diriez-vous de venir boire une tasse de thé chez moi vers six heures ? Je viendrai vous chercher au château. ATTENDEZ-MOI DANS LE HALL D’ENTRÉE, VOUS N’ÊTES PAS AUTORISÉS À SORTIR TOUT SEULS.
Amitiés,
Hagrid
– Il veut sans doute que je lui raconte mon histoire ! dit Ron.
À six heures, cet après-midi-là, Harry et Ron quittèrent la tour de Gryffondor, passèrent rapidement devant les trolls et descendirent dans le hall d’entrée.
Hagrid les attendait déjà.
– Alors, Hagrid, dit Ron, j’imagine que vous voulez savoir ce qui s’est passé l’autre nuit ?
– Je suis déjà au courant de tout, répondit Hagrid en les emmenant dehors.