Lorsqu’ils furent arrivés devant le portrait de la grosse dame, Harry réussit enfin à se débarrasser de Neville. Il lui donna le mot de passe puis fit semblant d’avoir oublié son devoir sur les vampires dans la bibliothèque et tourna aussitôt les talons pour aller le chercher. Dès qu’il fut à bonne distance des trolls, il sortit à nouveau la carte.
Le couloir du deuxième étage semblait désert. Harry regarda de près le plan du château et vit avec soulagement que le minuscule point qui portait l’étiquette « Severus Rogue » était retourné dans son bureau.
Il courut en direction de la sorcière borgne, fit pivoter sa bosse, s’engouffra dans l’ouverture et se laissa glisser jusqu’au bas du toboggan de pierre où il retrouva son sac. Il effaça à nouveau la carte du Maraudeur, puis se mit en chemin le long du passage secret.
Harry, dissimulé par sa cape d’invisibilité, sortit de chez Honeydukes et donna une petite tape dans le dos de Ron.
– C’est moi, murmura-t-il.
– Tu en as mis, du temps, souffla Ron.
– Rogue était dans le coin…
Ils avancèrent le long de la grand-rue.
– Où es-tu ? ne cessait de marmonner Ron du coin des lèvres. Tu es toujours là ? Ça fait un drôle d’effet de ne pas te voir…
Ils se rendirent à la poste. Ron fit mine de se renseigner sur le prix d’un hibou pour l’Égypte, où se trouvait son frère Bill, pendant que Harry regardait autour de lui. Il y avait au moins trois cents oiseaux alignés, depuis les gros hiboux chargés des envois à longue distance jusqu’aux minuscules chouettes limitées au courrier local.
Ils allèrent ensuite chez Zonko, le magasin de farces et attrapes. Les élèves de Poudlard y étaient si nombreux que Harry dut faire des exercices de contorsionniste pour ne pas trahir sa présence en marchant sur les pieds de quelqu’un. Il passa discrètement commande à Ron des quelques articles qui l’intéressaient et lui donna un peu d’or sous sa cape pour les payer. Lorsqu’ils sortirent du magasin, leurs bourses étaient beaucoup moins rebondies que lorsqu’ils y étaient entrés, mais leurs poches débordaient de Bombabouses, de Bonbons à Hoquet et de Savons sauteurs. Chacun avait également acheté une Tasse à Thé mordeuse.
C’était une belle journée ensoleillée et ni l’un ni l’autre n’avait envie de rester enfermé. Ils renoncèrent donc à faire une halte aux Trois Balais et préférèrent monter la côte qui menait à la Cabane hurlante, la maison la plus hantée de toute la Grande-Bretagne. Elle dominait le village, un peu à l’écart, et même en plein jour, elle n’était pas très rassurante, avec ses fenêtres obstruées par des planches et son sinistre jardin envahi d’herbes sauvages.
– Même les fantômes de Poudlard évitent de venir jusqu’ici, dit Ron, tandis qu’ils contemplaient la maison, appuyés contre la clôture. J’en ai parlé à Nick Quasi-Sans-Tête… D’après ce qu’il a entendu dire, il y a une sacrée bande qui s’est installée là-dedans. Personne ne peut y entrer. Bien entendu, Fred et George ont essayé mais tous les accès sont condamnés et pas moyen de forcer le passage…
Harry, à qui la montée avait donné chaud, songea à enlever sa cape quelques instants mais, au même moment, il entendit des voix un peu plus loin. Quelqu’un s’approchait de l’autre côté de la colline et, un instant plus tard, Malefoy apparut, accompagné de Crabbe et de Goyle.
– Je devrais très vite recevoir un hibou de mon père, disait Malefoy. Il est allé à l’audience pour parler de ma blessure au bras… et témoigner que je n’ai pas pu m’en servir pendant trois mois…
Crabbe et Goyle ricanèrent.
– J’aurais bien aimé être là pour entendre ce crétin barbu essayer de se défendre… Vous pouvez être sûrs que cet hippogriffe n’en a plus pour longtemps…
Malefoy aperçut soudain Ron et un sourire malveillant se dessina sur son visage blafard.
– Qu’est-ce que tu fais là, Weasley ?
Malefoy regarda la cabane en ruine.
– J’imagine que tu serais ravi d’habiter là-dedans ? Au moins, tu aurais une chambre à toi. J’ai entendu dire que ta famille dormait dans une seule pièce… C’est vrai ?
Harry attrapa le pan de la robe de Ron pour l’empêcher de sauter sur Malefoy.
– Laisse-moi faire, murmura-t-il à l’oreille de Ron.
L’occasion était trop belle. Harry se glissa silencieusement derrière Malefoy, Crabbe et Goyle, puis il se pencha pour ramasser une poignée de boue.
– On parlait justement de ton ami Hagrid, dit Malefoy à Ron. On essayait d’imaginer ce qu’il est en train de raconter à la Commission d’Examen des Créatures dangereuses. Tu crois qu’il va pleurer quand ils couperont la tête de son hippo…
SPLATCH !
La poignée de boue s’écrasa sur la tête de Malefoy. À présent, ses cheveux blonds dégoulinaient de gadoue.
– Qu’est-ce que…
Ron riait tellement qu’il dut se tenir à la clôture pour ne pas tomber. Malefoy, Crabbe et Goyle firent volte-face en regardant autour d’eux d’un air ahuri. Malefoy essaya de s’essuyer les cheveux, mais il ne parvint qu’à étaler davantage la boue sur le sommet de son crâne.
– Qu’est-ce que c’était ? Qui a fait ça ?
– Beaucoup de fantômes dans le coin, n’est-ce pas ? dit Ron comme s’il parlait de la météo.
Crabbe et Goyle ne semblaient pas très rassurés. Leur tour de biceps ne leur était d’aucun secours contre des fantômes. Malefoy, lui, lançait des regards fébriles autour de lui, sans voir personne.
Harry avança en silence de quelques mètres, jusqu’à une mare de boue verdâtre, particulièrement malodorante.
SPLAAOOOOSHHHH !
Cette fois, Crabbe et Goyle reçurent également leur part. Goyle sautilla frénétiquement sur place en essuyant ses petits yeux vitreux aveuglés par la boue.
– Ça venait de là-bas ! dit Malefoy qui s’essuyait le visage en fixant un point situé à deux mètres de Harry.
Crabbe s’avança d’un pas malhabile, ses longs bras tendus devant lui comme un zombie. Harry le contourna, ramassa un bâton et le lança dans le dos de Crabbe. Celui-ci se retourna en sautant en l’air, scrutant les environs pour essayer de découvrir le coupable. Comme Ron était la seule personne présente, Crabbe se dirigea vers lui, mais Harry lui fit un croc-en-jambe. Crabbe trébucha et son énorme pied se posa sur un pan de la cape d’invisibilité. Harry sentit une forte secousse qui fit glisser la cape de son visage.
Pendant une fraction de seconde, Malefoy le contempla avec des yeux ronds.
– AAAARGHR ! hurla-t-il en montrant du doigt la tête de Harry.
Puis il fit volte-face et dévala la colline à toutes jambes, Crabbe et Goyle sur ses talons.
Harry ramena la cape sur sa tête, mais le mal était fait.
– Harry ! dit Ron. Il vaudrait mieux que tu te dépêches de rentrer au château ! Si jamais Malefoy dit quelque chose…
– À tout à l’heure, lança Harry qui redescendit aussitôt vers Pré-au-lard.
Malefoy en avait-il cru ses yeux ? Et qui croirait Malefoy ? Personne ne connaissait l’existence de la cape d’invisibilité – à part Dumbledore. Harry sentit son estomac se retourner : Dumbledore devinerait ce qui s’était passé si Malefoy disait quoi que ce soit.
De retour chez Honeydukes, Harry se glissa dans la cave, ouvrit la trappe et redescendit dans le passage secret. Puis il enleva sa cape, la mit sous son bras et courut le long du souterrain…
Malefoy serait rentré avant lui… Combien de temps lui faudrait-il pour trouver un professeur à qui raconter son histoire ? Hors d’haleine, sans prêter attention à son point de côté, Harry continua de courir jusqu’au toboggan de pierre. Il valait mieux abandonner là sa cape d’invisibilité. Elle serait trop compromettante s’il la gardait. Il la cacha dans un coin du passage, puis remonta le toboggan, ses mains moites glissant contre la pierre. Il atteignit la bosse de la sorcière, donna quelques coups de sa baguette magique pour la faire pivoter, passa la tête par l’ouverture et se hissa au-dehors. La bosse se referma et Harry eut tout juste le temps de s’écarter de la statue avant que ne retentissent dans le couloir des bruits de pas qui s’approchaient à vive allure.