Rogue retourna la carte sans quitter Harry des yeux.
– Vous n’avez sûrement pas besoin d’un vieux bout de parchemin comme ça, dit-il. Je ferais mieux de le jeter.
Il fit un geste vers le feu qui brûlait dans la cheminée.
– Non ! dit aussitôt Harry.
– Alors… dit Rogue, les ailes du nez frémissantes. S’agit-il d’un autre précieux cadeau de Mr Weasley ? Ou bien serait-ce quelque chose d’autre ? Une lettre écrite à l’encre invisible, peut-être ? Ou encore… un moyen d’aller à Pré-au-lard sans passer devant les Détraqueurs ?
Harry cilla. Les yeux de Rogue étincelèrent.
– Voyons, voyons… marmonna-t-il en prenant sa baguette magique, la carte posée devant lui. Révèle ton secret, dit-il après avoir donné un coup de baguette sur le parchemin.
Rien ne se produisit. Harry crispa les mains sur les accoudoirs de son fauteuil pour les empêcher de trembler.
– Allons, révèle-toi, dit Rogue en donnant un coup sec sur la carte.
Le parchemin resta vierge. Harry s’efforçait de respirer profondément, régulièrement, pour se calmer.
– Severus Rogue, professeur dans cette école, t’ordonne de livrer les secrets que tu détiens ! dit Rogue en frappant à nouveau la carte avec sa baguette magique.
Comme si une main invisible écrivait sur le parchemin, des mots apparurent alors à sa surface :
Mr Lunard présente ses respects au professeur Rogue et lui demande de bien vouloir cesser de mettre son énorme nez dans les affaires d’autrui.
Rogue se figea. Harry, stupéfait, lut le message. Mais le parchemin ne s’arrêta pas là. D’autres mots apparurent :
Mr Cornedrue approuve Mr Lunard et voudrait ajouter que le professeur Rogue est un horrible crétin.
La situation aurait été comique si elle n’avait pas été aussi grave. D’autres mots s’inscrivirent sur le parchemin :
Mr Patmol voudrait faire part de son ébahissement à la pensée qu’un tel imbécile ait pu devenir professeur.
Horrifié, Harry ferma les yeux. Lorsqu’il les rouvrit, le parchemin avait livré ses derniers mots :
Mr Queudver souhaite le bonjour au professeur Rogue et lui conseille de se laver les cheveux, s’il veut cesser de ressembler à un tas d’ordures.
Harry attendit que le verdict tombe.
– Très bien, dit Rogue d’une voix paisible, nous allons voir tout cela…
Il s’approcha du feu, prit une poignée de poudre brillante dans un bocal posé sur le manteau de la cheminée et la jeta dans les flammes.
– Lupin ! dit Rogue, je voudrais vous demander quelque chose.
Abasourdi, Harry regarda le feu. Une forme qui tournait rapidement sur elle-même se dessina dans les flammes et, quelques instants plus tard, le professeur Lupin sortit de l’âtre en époussetant les cendres accrochées à sa robe miteuse.
– Vous m’avez appelé, Severus ? dit timidement Lupin.
– En effet, dit Rogue, les traits déformés par la fureur. Je viens de demander à Potter de vider ses poches et voilà ce qu’il y cachait.
Rogue montra le parchemin sur lequel les noms de Lunard, Queudver, Patmol et Cornedrue étaient toujours étalés. Une expression étrange passa alors sur le visage de Lupin.
– Alors ? dit Rogue.
Lupin gardait les yeux fixés sur le parchemin. Harry eut l’impression qu’il réfléchissait à toute vitesse.
– Alors ? répéta Rogue. De toute évidence, ce morceau de parchemin déborde de magie noire. Vous êtes censé être un expert en la matière, Lupin. Où pensez-vous que Potter ait pu se le procurer ?
Lupin leva les yeux et adressa à Harry un regard à peine perceptible pour lui faire comprendre qu’il ne devait surtout pas l’interrompre.
– De magie noire, répéta-t-il de sa voix timide. Vous croyez vraiment, Severus ? À mon avis, c’est tout simplement un morceau de parchemin qui insulte quiconque essaye de le lire. Puéril, mais certainement pas dangereux. J’imagine que Harry a dû trouver ça dans un magasin de farces et attrapes.
– Vraiment ? dit Rogue, les mâchoires crispées par la colère. Vous croyez qu’un magasin de farces et attrapes pourrait fournir un tel objet ? Vous ne croyez pas plutôt qu’il l’a obtenu directement de ceux qui l’ont fabriqué ?
Harry ne comprenait pas ce que Rogue voulait dire. Lupin non plus, apparemment.
– Vous voulez dire de Mr Queudver ou de l’un des autres ? s’étonna-t-il. Harry, connaissez-vous l’un de ces messieurs ?
– Non, répondit Harry.
– Vous voyez bien, Severus ? dit Lupin en se tournant vers Rogue. J’ai bien l’impression que ça vient de chez Zonko…
Au même instant, Ron fit irruption dans le bureau. Il était hors d’haleine et faillit renverser dans son élan la table de Rogue.
– C’est… moi… qui… ai… donné… ce… truc… à Harry, parvint-il à dire d’un ton haletant. Je… l’ai… acheté… chez… Zonko… Il y a… très… longtemps.
– Vous voyez ? dit Lupin, l’air soudain ravi. Voilà toute l’explication. Je vais m’occuper de cet objet, Severus, d’accord ?
Il plia la carte et la mit dans sa poche.
– Harry et Ron, venez avec moi, ajouta-t-il. J’ai quelque chose à vous dire en ce qui concerne votre devoir sur les vampires. Excusez-nous, Severus.
Harry n’osa pas regarder Rogue en quittant le bureau. Ron, Lupin et lui restèrent silencieux jusqu’à ce qu’ils aient atteint le hall d’entrée. Harry se tourna alors vers Lupin.
– Professeur, je…
– Je ne veux pas entendre d’explications, dit sèchement Lupin.
Il regarda autour de lui pour vérifier que le hall était vide, puis il poursuivit à voix basse :
– Il se trouve que je connais l’existence de cette carte. Oui, je sais qu’il s’agit d’une carte et je sais aussi que Rusard l’a confisquée il y a de nombreuses années. Je ne veux pas savoir comment elle est entrée en votre possession. Je suis en revanche stupéfait que vous ne l’ayez pas remise à l’un de vos professeurs. Surtout après ce qui s’est passé la dernière fois qu’un élève a laissé traîner des informations confidentielles. Et je ne peux pas vous la rendre, Harry.
Harry s’y attendait et il était trop avide d’en savoir plus pour penser à protester.
– Pourquoi Rogue a-t-il cru que je l’avais obtenue directement de ceux qui l’ont fabriquée ? demanda-t-il.
– Parce que… dit Lupin, hésitant. Parce que ceux qui ont établi cette carte auraient pu avoir pour but de vous attirer hors de l’école. Sans doute auraient-ils trouvé cela très amusant.
– Vous les connaissez ? demanda Harry, impressionné.
– Nous nous sommes déjà rencontrés, répondit brièvement Lupin.
Jamais il n’avait regardé Harry avec autant de gravité.
– Ne vous imaginez pas que vous pourrez à nouveau compter sur moi pour vous tirer d’affaire, Harry. Je n’arriverai sans doute pas à vous faire prendre Black au sérieux, mais j’aurais pensé que ce que vous avez entendu chaque fois que vous vous êtes trouvé à proximité d’un Détraqueur aurait eu davantage d’effet sur vous. Vos parents ont donné leur vie pour sauver la vôtre, Harry. Vous avez une drôle de façon de leur exprimer votre gratitude… Prendre le risque de réduire à néant leur sacrifice pour le simple plaisir d’aller acheter un sac de farces et attrapes…
Lupin s’éloigna et Harry se sentit beaucoup plus mal à l’aise que lorsqu’il s’était trouvé dans le bureau de Rogue. Accompagné de Ron, il monta lentement l’escalier de marbre. En passant devant la sorcière borgne, il se souvint de la cape d’invisibilité. Elle était toujours là, dans le passage secret, mais il n’osa pas aller la chercher.