Le problème d'avoir une aussi bonne mémoire, c'était de pouvoir se souvenir.
Elle se souvenait de Draco Malfoy saisissant son poignet avec tant de force qu'elle avait eu un bleu.
Elle se souvenait de Draco l'aidant à se relever après que ce mystérieux sortilège l'ait faite trébucher dans l'assiette du capitaine de Quidditch Serpentard.
Et elle se souvenait - c'était en fait la raison pour laquelle elle avait entamé cette conversation - de ce qu'elle avait ressentit quand elle avait entendu le témoignage sous Veritaserum de Draco Malfoy.
"Pourquoi est-ce que tu ne m'as rien dit de tout ça ?" dit Hermione, et en dépit d'elle-même, sa voix monta d'un cran. "Si j'avais su…"
"Ce n'était pas à moi de te révéler ce secret," dit Harry. "Draco aurait été mis en danger si son père l'avait découvert."
"Je ne suis pas stupide, M. Potter. Quelle est la vraie raison pour laquelle tu ne me l'as pas dit, et qu'est-ce que tu faisais vraiment avec M. Malfoy ?"
"Ah. Eh bien…" Harry détourna le regard et baissa les yeux vers la table.
"Draco Malfoy a dit aux Aurors, sous Veritaserum, qu'il avait désiré savoir s'il pouvait me battre et qu'il m'avait donc provoquée en duel afin de le tester empiriquement. Ce furent ses mots exacts, selon la retranscription de son témoignage."
"Ouais," dit Harry, toujours sans croiser son regard. "Hermione Granger. Bien sûr qu'elle se souviendrait des mots exacts. Peu importe qu'elle soit enchaînée à une chaise et accusée de meurtre devant tout le Magenmagot…"
"Qu'est-ce que tu faisais vraiment avec Draco Malfoy ?"
Harry grimaça et dit : "Probablement pas exactement ce que tu penses, mais…"
L'horreur monta et monta en elle, puis se libéra enfin.
"Tu faisais de la SCIENCE avec lui ?"
"Eh bien…"
"Tu faisais de la SCIENCE avec lui ? Tu étais censé faire de la science avec MOI !"
"Ce n'est pas ça ! Ce n'est pas comme si je faisais vraiment de la science avec lui ! C'était juste, tu sais, pour lui apprendre des bouts de science moldue sans danger, comme la physique élémentaire, l'algèbre, et ainsi de suite… ce n'est pas comme si j'avais fait de la recherche originale en magie avec lui comme je l'ai fait avec toi…"
"Et j'imagine que tu ne lui a pas parlé de moi non plus ?"
"Euh, bien sûr que non ?" dit Harry. "J'ai fait de la science avec lui depuis octobre, et à cette époque il n'était pas tout à fait prêt à entendre parler de toi…"
Le sentiment de trahison inexprimable enflait et enflait en elle, dominait tout : sa voix de plus en plus forte, ses yeux en furie, son nez, dont elle était certaine qu'il allait se mettre à couleur, la sensation de brûlure dans sa gorge. Elle se leva avec force de la table et fit un pas en arrière pour mieux voir celui qui l'avait trahie. Sa voix fut presque un cri perçant lorsqu'elle hurla : "Ça n'est pas tenable ! Tu ne peux pas faire de la science avec deux personnes en même temps !"
"Euh…"
"Je veux dire, tu ne peux pas faire de la science avec deux personnes différentes et ne pas le leur dire !"
"Ah…" dit précautionneusement Harry. "J'y ai pensé, et j'ai été très prudent de ne pas mélanger tes recherches avec quelque chose que j'aurais fait avec lui…"
"Tu as été prudent." Elle l'aurait sifflé s'il y avait eu des sss.
Harry leva une main et frotta ses cheveux en bataille, et sans qu'elle sache pourquoi cela lui donna encore plus envie de hurler. "Mlle. Granger," dit Harry, "je pense que cette conversation est devenue métaphorique à un niveau qui, euh…"
"Quoi ?" dit-elle d'une voix stridente depuis l'intérieur de la barrière insonorisante.
Puis elle comprit et devint si rouge que si elle avait eu une puissance magique adulte ses cheveux auraient spontanément pris feu.
Le seul autre visiteur de la bibliothèque, le garçon Serdaigle assit dans le coin opposé, les regardait tous les deux avec de grands yeux, tout en essayant assez tristement de le masquer en tenant un livre juste en-dessous de son visage.
"Oui," dit Harry avec un petit soupir. "Donc, en gardant fermement à l'esprit que c'était juste une mauvaise métaphore et que les vrais scientifiques collaborent tout le temps, je ne pense pas avoir trompé qui que ce soit. Les scientifiques sont souvent discrets quant aux projets sur lesquels ils travaillent. Toi et moi faisons des recherches que nous gardons secrètes, et il y avait des raisons de ne pas en parler à Draco Malfoy en particulier - au début, il aurait entièrement arrêté de passer du temps avec moi s'il avait su que j'étais ton ami et pas ton rival. Et Draco aurait été celui à risque si j'avais parlé de lui à quelqu'un…"
"C'est vraiment tout ?" dit-elle. "Vraiment, Harry ? Tu ne voulais pas qu'on se sente tous les deux spéciaux, qu'on ait tous les deux l'impression d'être les seuls avec qui tu voulais être, les seuls qui puissent être avec toi ?"
"Ce n'est pas pour ça que j'ai…"
Harry s'interrompit.
Il la regarda.
Lorsqu'elle se rendit compte de ce qu'elle venait de laisser échapper, tout son sang remonta vers son visage. Il y aurait probablement dû y avoir de la fumée en train de sortir de ses oreilles, une fumée qui aurait dû faire fondre sa tête, faire couler la chair le long de son cou.
Harry la regardait avec une horreur absolue.
"Enfin…" dit-elle d'un voix plutôt aiguë, "c'est… oh, je ne sais pas Harry ! Est-ce que c'est juste une métaphore ? Quand un garçon dépense mille Gallions pour sauver une fille d'une fin certaine, elle a le droit de se poser des questions, tu ne penses pas ? C'est comme de se faire offrir des fleurs, sauf que, tu vois, c'est beaucoup plus…
Harry se releva vivement de la table et fit un pas chancelant en arrière, tout en levant les mains et en les agitant frénétiquement. "Ce n'est pas pour ça que je l'ai fait ! Je l'ai fait parce qu'on est amis !"
"Juste amis ?"
La respiration de Harry commençait à grimper vers l'hyperventilation. "De très bons amis ! D'extra-super-bons amis, même ! Meilleurs amis pour toujours, peut-être ! Mais pas ce genre d'amis !"
"Est-ce que c'est vraiment si horrible que ça d'y penser ?" dit-elle en manquant une respiration. "Je veux dire… je ne dis pas que je suis amoureuse de toi, mais…"
"Ah non ? Heureusement." Harry remonta une manche de sa robe et s'essuya le front. "Écoute Hermione, comprends-moi bien, je suis sûr que tu es quelqu'un de génial.."
Elle fit un pas chancelant en arrière.
"…mais …mais avec mon côté obscur…"
"C'est de ça qu'il s'agit ?" dit-elle. "Mais… je ne…"
"Non, non, je veux dire que j'ai un mystérieux côté obscur et probablement d'autres trucs magiques bizarres, tu sais que je ne suis pas un enfant normal, pas vraiment…"
"Tu as le droit de ne pas être normal," dit-elle avec la sensation d'être de plus en plus désespérée et perdue. "Ça me va…"
"Mais même avec tous ces trucs magiques bizarres qui me permettent d'être plus un adulte que je ne devrais l'être, je ne suis pas encore pubère et il n'y a pas d'hormones dans mon sang et mon cerveau est physiquement incapable de tomber amoureux de qui que ce soit. Donc je ne suis pas amoureux de toi ! Je ne pourrais pas être amoureux de toi ! Pour tout ce que j'en sais, dans six mois mon cerveau va se réveiller et décider de tomber amoureux du professeur Rogue ! Euh, est-ce que je peux déduire de tout ça que tu as déjà atteint ta puberté ?"