"Gaahhhrrrraa..." dit Harry.
Mais oui, il était estomaqué.
Particulièrement par le fait que, sans la Farce, il aurait très bien pu ne jamais obtenir le Retourneur de Temps.
Ou le professeur McGonagall le lui aurait-elle donné tout de même, mais plus tard dans la journée, quand il se serait décidé à l'interroger sur son trouble du sommeil ou à lui parler du message du Choixpeau magique ? Et aurait-il alors désiré se faire une blague à lui-même qui l'aurait conduit à obtenir le Retourneur de Temps plus tôt ? Et donc la seule possibilité cohérente était-elle celle dans laquelle la Farce commençait avant même qu'il ne se réveille ce matin ?
Harry se retrouva à envisager, pour la première fois de sa vie, que la réponse à sa question était peut-être inconcevable. Que puisque son cerveau contenait des neurones qui allaient uniquement en avant dans le temps, il n'y avait rien que son cerveau puisse faire, aucune opération qu'il puisse effectuer, qui reproduirait l'opération d'un Retourneur de Temps.
Jusqu'à ce moment, Harry avait vécu suivant la maxime de E.T. Jaynes selon laquelle, si vous ignoriez quelque chose d'un phénomène, c'était un fait au sujet de votre propre esprit, pas un fait au sujet du phénomène lui-même ; que votre incertitude était un fait vous concernant, pas un fait concernant ce au sujet de quoi vous étiez incertain ; que l'ignorance existait dans l'esprit, pas dans la réalité ; qu'une carte vide ne correspondait pas à un territoire vide. Il y avait des questions mystérieuses, mais une réponse mystérieuse était une contradiction en soi. Un phénomène pouvait être mystérieux pour une personne en particulier, mais il ne pouvait y avoir de phénomène mystérieux en soi. Vénérer un mystère sacré, c'était vénérer sa propre ignorance.
Alors Harry avait regardé la magie et avait refusé d'être intimidé. Les gens n'avaient aucun sens de l'Histoire, ils apprenaient la chimie, la biologie et l'astronomie, et pensaient que ces domaines avaient toujours été au cœur de la science, qu'ils n'avait jamais été mystérieux. Les étoiles avaient un jour été des mystères. Lord Kelvin avait un jour dit de la nature de la vie et de la biologie - la réponse des muscles à la volonté humaine et la transformation des graines en arbres - que c'était un mystère "infiniment au-delà" de la portée de la science (pas seulement un peu au-delà, dites-vous bien, mais infiniment au-delà. Lord Kelvin avait pris un sacré plaisir à ignorer quelque chose). Chaque mystère jamais résolu avait commencé par être un casse-tête, depuis l'aube de l'humanité jusqu'au moment ou quelqu'un l'avait résolu.
Maintenant, pour la première fois, il faisait face à la perspective d'un mystère qui menaçait d'être permanent. Si le temps ne fonctionnait pas selon des réseaux de causalité acycliques, alors Harry ne comprenait pas ce que "cause" et "effet" voulaient dire ; et si Harry ne comprenait pas les causes et les effets alors il ne comprenait pas de quoi la réalité pouvait bien être composée ; et il était entièrement possible que son cerveau humain ne puisse jamais le comprendre, parce que son cerveau était fait de neurones démodés fonctionnant en temps linéaire, qui s'étaient avérés n'être qu'un sous-ensemble appauvri de la réalité.
Le bon côté des choses, c'était que l'Arrive-Thé, qui avait auparavant semblé tout-puissant et tout-incroyable, s'était révélé beaucoup plus simple à expliquer. Ce que Harry avait raté simplement parce que la vérité était totalement hors de son champ d'hypothèses et de tout ce que son cerveau, de par son évolution, aurait pu être amené à comprendre. Mais maintenant il avait vraiment compris. Probablement. Ce qui était relativement encourageant. Plus ou moins.
Harry jeta un coup d'œil à sa montre. Il était presque 11h, il était allé se coucher la nuit dernière à 1h, donc il devrait normalement aller se coucher à 3h. Donc pour aller se coucher à 22h et se réveiller à 7h, il devrait revenir de cinq heures en arrière. Ce qui voulait dire que s'il voulait revenir à son dortoir aux alentours de 6h, avant que quiconque ne soit réveillé, il ferait mieux de se dépêcher et...
Même rétrospectivement Harry ne comprenait pas comment il était parvenu à accomplir la moitié des choses nécessaires à la réalisation de la Farce. D'où était venue la tarte ?
Harry commençait à avoir vraiment peur du voyage dans le temps.
D'un autre coté, il se devait d'admettre que ça avait été une opportunité irremplaçable. Une farce que vous pouviez vous faire à vous même une fois dans une vie, six heures avant que vous n'appreniez l'existence des Retourneurs de Temps.
C'était en fait encore plus déroutant, maintenant qu'il y pensait. Le Temps lui avait présenté la Farce comme un fait accompli [NdT : en français dans le texte], et pourtant c'était indubitablement son propre ouvrage. Le concept, l'exécution, le style d'écriture. Chaque détail, même ceux qu'il ne comprenait pas encore.
Bon aller, le temps filait et il y avait au plus trente heures dans une journée. Harry connaissait une partie des choses qu'il avait à faire, et il trouverait peut-être un moyen de faire le reste, comme la tarte, en cours de route. Pas la peine de s'attarder d'avantage. Ce n'est pas comme s'il pouvait accomplir quoi que ce soit ici, coincé dans le futur.
Cinq heures plus tôt, Harry se glissait dans son dortoir, ses robes glissées au-dessus de sa tête en guise de déguisement de fortune, juste au cas où quelqu'un serait déjà debout et risquerait de le voir en même temps que le Harry allongé dans son lit. Il ne voulait pas avoir à expliquer à qui que ce soit son petit problème médical de Duplication spontanée.
Heureusement, tout le monde semblait encore endormi.
Et il semblait aussi y avoir une boîte, emballée dans du papier rouge et vert, avec un ruban doré et brillant, posée à coté de son lit. L'image parfaite et stéréotypique d'un cadeau de Noël, bien que ce ne fût pas Noël.
Harry se glissa jusqu'à elle aussi doucement qu'il le pouvait, juste au cas où quelqu'un aurait son Sourdineur au minimum.
Il y avait une enveloppe attachée à la boîte, scellée par de la cire blanche, sans sceau imprimé.
Harry ouvrit l'enveloppe avec précaution et prit la lettre qui s'y trouvait. La lettre disait :
"Ceci est la Cape d'Invisibilité d'Ignotus Peverell, transmise à travers ses descendants, les Potter. Contrairement aux sorts et aux capes de moindre force, elle a le pouvoir de vous garder caché, et pas seulement invisible. Votre père me l'a prêtée pour étude peu de temps avant sa mort, et je confesse en avoir fait grand usage durant ces dernières années.
J'ai peur qu'à l'avenir je doive me contenter d'un sortilège de Désillusion. Il est temps que la Cape soit rendue à vous, son légataire. J'avais pensé vous l'offrir comme cadeau de Noël, mais elle souhaitait revenir entre vos mains avant cela. Il semblerait qu'elle s'attende à ce que vous ayez besoin d'elle. Faites-en bon usage.
Vous pensez sans doutes à toutes sortes de farces formidables, semblables à celles que votre père a commises en son temps. Si tous ses méfaits étaient connus, toutes les femmes de Gryffondor se réuniraient pour profaner sa tombe. Je n'essaierai pas d'empêcher l'histoire de se répéter, mais soyez des PLUS attentifs dans votre dissimulation. Si Dumbledore voyait une chance de posséder l'une des Reliques de la Mort, il ne la laisserait jamais échapper à son étreinte.