"Je comprends," dit Harry. Il avait la gorge sèche. Cela avait été précis. Effroyablement précis. Maintenant que le professeur Quirrell l'avait dit, Harry pouvait voir, rétrospectivement, que c'était une description exacte de ce qui s'était passé. Lorsque quelqu'un avait un modèle de vous aussi précis que ça, vous deviez commencer à vous demander s'ils avaient raison sur d'autres sujets, comme sur votre intention de tuer par exemple.
"M. Potter, la prochaine fois que, lors d'un duel, vous renchérissez au lieu de perdre, vous pourriez perdre tout ce que vous avez misé. Je ne peux pas deviner ce que vos mises étaient aujourd'hui. Je peux deviner qu'elles étaient bien, bien trop élevées pour valoir la perte de dix points."
Comme le destin de l'Angleterre magique, par exemple. C'était ce qu'il avait misé.
"Vous allez vous défendre en disant que vous essayiez d'aider tout Poudlard, un but bien plus important, méritant qu'on prenne de grands risques. C'est un mensonge. Si vous aviez -"
"J'aurais reçu la gifle, attendu, et choisi le meilleur moment pour agir," dit Harry d'une voix à nouveau rauque. "Mais alors j'aurais perdu. Je l'aurais laissé me dominer. C'est ce que le Seigneur des Ténèbres n'a pas pu faire face au Maître dont il désirait l'enseignement."
Le professeur Quirrell hocha la tête. "Je vois que vous avez parfaitement compris. Et donc, M. Potter, aujourd'hui, vous allez apprendre à perdre."
"Je -"
"Je n'écouterai aucune de vos objections, M. Potter. Il est à la fois évident que vous en avez besoin et que vous êtes assez fort pour le supporter. Je vous assure que l'expérience ne sera pas aussi brutale que celle que j'ai traversée, bien qu'il soit fort probable que vous vous rappeliez ensuite ces quinze minutes comme les pires de votre jeune existence."
Harry déglutit. "Professeur Quirrell," dit-il d'une petite voix, "pourrions-nous faire ça une autre fois ?"
"Non," dit simplement le professeur Quirrell. "Vous en êtes au cinquième jour de votre éducation à Poudlard et ceci s'est déjà produit. Nous sommes aujourd'hui vendredi. Notre prochain cours de Défense est mercredi. Samedi, dimanche, lundi, mardi, mercredi... Non, nous n'avons pas le temps d'attendre."
Il y eut quelques rires, mais très peu.
"S'il vous plaît M. Potter, considérez cela comme un ordre de votre professeur. Je tiens à préciser qu'autrement, je ne vous enseignerai aucun sort offensif, parce que j'apprendrais alors que vous avez sévèrement blessé voir même tué quelqu'un. Malheureusement, j'ai entendu dire que vos doigts sont déjà des armes puissantes. Ne les claquez à aucun moment pendant cette leçon."
Plus de rires épars, aux sonorités plutôt nerveuses.
Harry eut la sensation qu'il allait peut-être pleurer. "Professeur Quirrell, si vous faites quoi que ce soit ressemblant à ce dont vous venez de parler, ça va me mettre en colère, et je ne voudrais vraiment pas me remettre en colère aujourd'hui -"
"Le but n'est pas d'éviter de se mettre en colère," dit le professeur Quirrell, son visage très grave. "La colère est naturelle. Vous devez apprendre à perdre même quand vous êtes en colère. Ou du moins à faire semblant de perdre pour pouvoir ensuite planifier votre vengeance. Comme je l'ai fait aujourd'hui avec M. Goyle, à moins bien sûr que l'un d'entre vous ne pense qu'il est réellement meilleur -"
"Je ne le suis pas !" cria M. Goyle depuis son bureau, l'air un peu paniqué. "Je sais que vous n'avez pas vraiment perdu ! S'il vous plaît, ne planifiez pas de vengeance !"
Harry se sentit malade. Le professeur Quirrell ne connaissait pas son mystérieux côté obscur. "Professeur, nous avons vraiment besoin d'en parler après les cours -"
"Nous le ferons," dit le professeur Quirrell sur le ton d'une promesse. "Après que vous ayez appris à perdre." Son expression était sérieuse. "Il va sans dire que je vais exclure tout ce qui pourrait vous blesser ou même provoquer une douleur importante. La douleur viendra de la difficulté de perdre, de ne pas vous défendre et de ne pas renchérir jusqu'à gagner."
La respiration de Harry était devenue une série de halètements courts et paniqués. Il était plus effrayé qu'il ne l'avait été lorsqu'il avait quitté la salle de Potions. "Professeur Quirrell," parvint-il à dire, "je ne veux pas que vous vous fassiez renvoyer à cause de ça -"
"Ça n'arrivera pas," dit le professeur Quirrell, "si vous leur dites ensuite que c'était nécessaire. Et je vous fais confiance pour ça." Pendant un moment, la voix du professeur Quirrell devint très sèche. "Croyez-moi, ils ont toléré pire dans leurs couloirs. Ce cas ne sera exceptionnel que parce qu'il a lieu dans une salle de classe."
"Professeur Quirrell," murmura Harry, mais sa voix était quand même relayée partout, "vous croyez vraiment que si je ne fais pas ça, je pourrais faire du mal à quelqu'un ?"
"Oui," dit simplement le professeur Quirrell.
"Alors," Harry fut pris de nausée, "je le ferai."
Le professeur Quirrell pivota pour faire face aux Serpentard. "Donc... avec l'approbation complète de votre enseignant, et afin que Rogue ne puisse être blâmé pour vos actes... l'un ou l'une d'entre vous veut-il prouver qu'il domine le Survivant ? Le pousser en tous sens, le projeter au sol, l'entendre implorer votre pitié ?"
Cinq mains se levèrent.
"Tous ceux qui ont levé la main, vous êtes des idiots finis. Quelle partie de faire semblant de perdre n'avez-vous pas compris ? Si Harry Potter devient le prochain Seigneur des Ténèbres, il vous pourchassera et vous tuera après avoir obtenu son diplôme."
Les cinq mains retombèrent brutalement sur leurs pupitres.
"Je ne le ferai pas," dit Harry, sa voix assez faible. "Je jure de ne jamais me venger sur ceux qui m'aideront à apprendre à perdre. Professeur Quirrell... pourriez-vous s'il vous plaît... arrêter de faire ça ?"
Le professeur Quirrell soupira. "Je suis navré, M. Potter. Je me rends compte que vous devez trouver cela tout autant agaçant, que vous projetiez de devenir le prochain Seigneur des Ténèbres ou non. Mais ces enfants avaient aussi une importante leçon de vie à apprendre. Accepteriez-vous que je vous octroie un point Quirrell en guise d'excuse ?"
"Disons deux," dit Harry.
Il y eut un remous de rires surpris, ce qui désamorça une partie de la tension ambiante.
"Fait," dit le professeur Quirrell.
"Et après avoir obtenu mon diplôme, je vous pourchasserai et je vous chatouillerai."
Il y eut plus de rires, mais le professeur Quirrell ne sourit pas.
Harry avait l'impression de lutter contre un anaconda, d'essayer de forcer la conversation vers l'étroit chemin qui permettrait aux gens de se rendre compte qu'il n'était pas un Seigneur des Ténèbres après tout... pourquoi le professeur Quirrell était-il si suspicieux à son égard ?