— Le général ?
— Il a bien supporté le choc. Il m’a ensuite demandé à boire et je lui ai donné un peu de bière.
— La porte est bien verrouillée ?
— Oui, j’ai vérifié.
Marsch regardait le rideau de la jungle qui les environnait. Il n’apercevait personne. Il s’orienta et désigna un point sur la gauche.
— Le village doit se trouver là.
— Il se nomme Manksu, précisa Sara. Une centaine d’habitants. Tous sont sympathisants communistes et se transforment en rebelles à l’occasion.
L’Allemand allumait une cigarette.
— Les Chinois ne sont pas là ?
— Ils ne vont pas tarder.
Mais tout paraissait tranquille. Clifton se renversa contre le dossier de son siège, les yeux mi-clos. Marsch avait tressailli.
— Fais attention, Clifton !
— Je sens que tu es nerveux. Je reste tranquille.
Il se demandait si l’Allemand oserait tirer maintenant. Il s’était rendu compte de l’exiguïté du terrain et des difficultés qu’il aurait au départ. Clifton se souvenait de maints décollages dans ces conditions, et d’un truc assez ingénieux qu’on lui avait appris. Peut-être lui serait-il utile en dernier ressort.
— Regardez.
Venant du village un homme accourait, suivi par une petite troupe.
— Ils sont armés.
Rapide comme l’éclair, Marsch abattit la crosse du gros revolver chinois sur la nuque de Clifton. Ce dernier souffla bruyamment et s’effondra dans le fauteuil.
— Pendant que je vais parlementer, attachez-le. Vous trouverez des courroies dans la soute du fond. Faites vite et ne le ménagez pas.
Sara regardait avec horreur le crâne de Clifton. Une énorme ecchymose apparaissait sous les cheveux coupés court.
— Vous l’avez tué !
— Non. Assommé. Il en a pour un moment.
La jeune femme le toisa.
— Lui seul peut nous tirer de là.
Marsch grimaça et fit un pas vers elle.
— Que dites-vous ?
— La façon dont il a posé cet appareil ici tient du miracle. Je suis certaine que vous ne pourrez jamais décoller dans les mêmes conditions.
L’Allemand devint livide.
— Vous… Vous allez me payer ça.
— Je ne cherche pas à vous diminuer… Je sais tout simplement. C’est vrai, n’est-ce pas ?
— Faites ce que je vous ai dit.
— Dites-moi que c’est vrai.
Marsch qui marchait vers la porte se retourna et cracha ses paroles.
— N’importe quel pilote moyen peut en faire autant. C’est moi qui prendrai les commandes.
Il sortit, alla déverrouiller la porte et se tint dans l’ouverture, son arme à la main.
— Doucement, cria-t-il à l’homme, ou je tire !
Le lieutenant Fang cessa de courir et s’arrêta à dix mètres de l’appareil. Il se retourna et fit signe aux irréguliers d’en faire autant.
— Qui êtes-vous ? aboya Marsch.
— Lieutenant Fang !
Sara sortait du poste pour aller prendre les courroies de cuir dans la soute.
— C’est bien ce nom, dit-elle.
— Bon, dites à vos hommes de reculer jusqu’à la lisière du terrain.
Fang hésita.
— Dépêchez-vous.
Le lieutenant avait les mains vides. Marsch se demanda où il avait laissé l’argent. Les hommes qui raccompagnaient parurent surpris puis reculèrent lentement, les yeux fixés sur l’appareil.
— Approchez.
Fang obéit et vint à lui à tout petits pas. Il s’immobilisa au pied de la porte. Marsch n’avait pas encore fait coulisser l’échelle d’accès.
— Bonjour, dit le Chinois en souriant froidement.
— Comment se fait-il que le terrain ait été désert quand nous nous sommes posés ?
Le sourire du lieutenant s’accentua.
— Quelques difficultés. Rien de grave.
— Lesquelles ? questionna Marsch rudement. Croyez-vous que je néglige notre sécurité ?
— Il y avait quelques soldats birmans au village, mais ils sont partis.
L’Allemand fronça le sourcil.
— Longtemps ?
— Bientôt une heure. En camion. Ils sont très loin.
— Que faisaient-ils au village ?
Le Chinois avait une patience inusable mais ses yeux se durcirent.
— Ils accompagnaient un fonctionnaire gouvernemental.
Marsch resta silencieux puis fit descendre la petite échelle. Le lieutenant l’escalada, mais Marsch fit simplement un pas en arrière et l’homme resta sur le dernier échelon sans pouvoir examiner l’intérieur de l’avion.
— L’argent ?
— Je l’ai confié à mes amis. Il nous faut discuter, n’est-ce pas ? C’est bien ce que je pensais. Je suppose que vous avez vous-même le général Nangiang ?
Ludwig passa son pouce par-dessus son épaule.
— Il est là.
— Ses gardes du corps ?
— Neutralisés ! dit brièvement l’Allemand.
— Pourrais-je le voir ?
Ludwig s’écarta de la porte et le Chinois pénétra dans l’appareil. Le copilote lui mit son arme dans le creux des reins.
— Doucement. Laissez-moi vous fouiller.
Le lieutenant portait un revolver et il l’empocha.
— Je vous le rendrai tout à l’heure.
Fang resta impassible. Il contemplait avec un peu de surprise le général. C’était donc là cet homme vomi par les nouveaux maîtres de la Chine. Ce vieillard à moitié inconscient et maladif. Le lieutenant était fasciné. Il avait souvenance de caricatures hideuses sur Nangiang, d’écrits virulents sur les crimes qu’il avait commis.
— C’est incroyable, dit-il.
Marsch fronça le sourcil.
— Qu’y a-t-il ?
— Je le reconnais difficilement.
L’Allemand s’esclaffa.
— Vous n’allez pas prétendre que ce n’est pas lui ?
— Non, évidemment, mais il a beaucoup vieilli. La dernière photographie de lui doit remonter à plus de vingt ans.
À nouveau il contempla la face de cire jaunâtre. Le général entendait-il leurs paroles ? Dormait-il ou faisait-il semblant ? On le décrivait comme un être rusé, sans scrupules, d’une diabolique habileté. Il avait été un des bras droit du grand Traître de Formose. Fang éprouvait une certain dégoût en regardant cette ruine humaine. Il aurait toute une journée à passer à ses côtés, jusqu’à ce que l’hélicoptère vienne le chercher.
Il détourna la tête.
— Vous êtes persuadé ?
— Oui. C’est bien ce chien.
Ce qui fit rire Marsch.
— Comment comptez-vous procéder ?
— Nous descendons le brancard et je vous donne l’argent.
L’Allemand sifflota.
— Doucement. Vous savez qu’il s’agit d’une opération un peu spéciale. Je veux avoir la certitude que chaque moitié de billet possède son répondant.
Malgré son impassibilité native, Fang ne put s’empêcher de sursauter.
— Dix mille billets ? C’est de la folie.
— Non, car ils sont classés par série. Ce sera assez rapide.
— Vous n’imaginez pas une duperie de notre part ?
— Pourquoi pas ? dit brutalement Marsch. Très facile de couper des billets en deux et de nous les donner comme étant le complément de ce que nous possédons. Vous pouvez économiser une partie de l’argent. Qui me dit que ces billets ont réellement leur complément ?
Fang voulut parler, mais il lui coupa la parole.
— Attendez. Durant la guerre il s’est produit bon nombre de tractations avec des moitiés de billets. Une fois l’accord conclu, on fournissait à l’autre partie les compléments. Mais bon nombre d’accords n’ont pas eu d’issue et vous devez disposer d’un certain stock de ces billets.