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Clifton faisait sauter la bande d’un paquet de cigarettes, en tendait une à Slade.

— D’où vient-elle ?

— Sa mère était Chinoise, son père anglais, je crois. Elle a essayé de vivre en Chine, puis elle a passé la frontière. Je… Je crois qu’il faut qu’elle aille plus loin.

Le pilote tirait lentement sur sa cigarette. Une habitude de fumer pendant les heures de vol, sans que la fumée fasse pleurer les yeux.

— Pourquoi plus loin ? Elle a peur ?

— Il y a ça. Les « dacoïts »[1] communistes sont de plus en plus hardis… Les irréguliers chinois aussi… Avec cette histoire de frontière contestée. Mais ce n’est pas ce que je veux dire. Il faut qu’elle s’en aille loin d’ici. Elle peut tout recommencer à zéro.

Marsch ricana.

— Ouais ! À Hong-Kong elle a un bel avenir.

— Miss Sara est très intelligente… Elle peut réussir, mais si elle reste ici, c’est fini.

L’Allemand se versa un autre gobelet d’alcool. Le soleil avait disparu mais l’intérieur de la soute était surchauffé. Il alla ouvrir les portes.

— Pourquoi n’est-elle pas partie plus tôt ?

— Comment ? Les convois sont protégés pour traverser les zones dangereuses… Ils n’accepteraient pas de prendre une femme. Et il y a quatre mois qu’un avion n’a pas atterri ici.

Ludwig pouffa.

— Non ? Quelle planque, mon vieux !… Vous devez avoir les pouces cornés. Mais pour la fille, zéro pour la question ! Même si elle venait nous le demander à poil et à genoux.

Slade grimaça comme s’il allait pleurer.

— Même en la cachant dans la soute…

— On vous dit non. Vous avez le cerveau ramolli ou quoi ! hurla soudain Marsch.

Clifton posa sa main sur son bras.

— Doucement Ludwig ! Tu devrais vérifier si tout va bien dans les moteurs. Il va bientôt faire nuit et demain nous partirons à l’aube.

L’aide-pilote haussa les épaules.

— Ça tourne rond… Il n’y a rien à vérifier. Mais ne compte pas faire l’affaire dans mon dos, Clifton. Il y a quarante mille dollars au bout. Vingt pour chacun. Et tu sais qu’en réussissant cette affaire, on nous en proposera d’autres… En quelques mois on peut ramasser cent mille chacun. De quoi filer aux States pour toi, ailleurs pour moi.

Jamais il ne pourrait entrer en Allemagne. Clifton ignorait pour quelles raisons.

— Je ne veux pas pourrir dans le coin.

— Vous ne travaillez pas pour la Sandy Line ? s’étonna Slade.

— Si, d’ordinaire. Mais pour cette affaire, on a loué le zinc, payé l’assurance. Nous sommes en quelque sorte nos maîtres et le directeur encaisse un joli bénéfice. Tous les frais sont supportés par les nationalistes de Formose.

— Voilà, dit Ludwig, vous savez tout. Le général Nangiang doit avoir une grosse importance pour justifier quatre-vingt mille dollars de dépenses.

— Il apporte des renseignements de grande valeur sur les débris de l’armée du Kuomintang éparpillés dans le Yunnan.

— On s’en fout ! dit Ludwig. Nous l’emmenons demain matin, et si tout va bien nous serons à Bangkok avant la nuit. Nous livrons le général et nous encaissons le pognon. La politique, c’est autre chose.

Slade jeta un regard à la bouteille de whisky. Clifton lui remplit une fois de plus son gobelet.

— Il faut que je rentre chez moi, murmura l’Anglais.

— Vous habitez loin d’ici ?

— Un bon mille. Il vaut mieux faire le trajet pendant le jour. La nuit, c’est très dangereux.

— Vous avez une voiture ?

— Oui… Une vieille Ford. Je viens tous les jours ici… Du matin au soir… C’est moi qui entretiens le terrain… Je n’ai aucun employé vous comprenez ? Il y a des rats qui creusent des terriers énormes… Si je ne me méfiais pas, le terrain serait inutilisable au bout d’une quinzaine. Je le sonde constamment et dès que j’ai trouvé une galerie, je me hâte de la faire s’écrouler et de combler la tranchée.

Marsch riait sans se cacher. Clifton se demandait s’il n’allait pas lui planter son poing dans la bouche. Le drame de Slade lui échappait totalement.

— Merci pour le whisky, il était excellent.

Slade reposait le gobelet.

— Demain matin, je serai là pour accueillir le général.

— Oh, sir, déclara Ludwig Marsch courbé en deux et goguenard, nous pouvons très bien nous passer de la tour de contrôle pour une fois !

Mais le major était au-delà de ces insultes. Il était la tête de Turc de l’administration birmane, des soldats birmans et de la population locale. Le plus dur, c’était que ce soit la bouche d’un Européen qui les prononce.

Clifton foula l’herbe poussiéreuse à ses côtés.

— Venez jusqu’à mon bureau. J’ai ma carabine à y prendre.

Comme le pilote paraissait étonné, il expliqua :

— Je conduis d’une main et tiens mon arme de l’autre. Au moindre frémissement suspect dans les buissons, je tire. Un jour, j’ai tué un chien… Mais les « dacoïts » sont vraiment dangereux, surtout pour un blanc.

Le bureau était au fond du hangar. Le pilote jeta un regard surpris au classeur dont les tiroirs étaient soigneusement étiquetés dans l’ordre alphabétique.

— Ne vous y laissez pas prendre. C’est tout vide… Mais j’essaye de résister… Je crée l’illusion. Pour les Birmans. Je leur arrache un doute. Finalement ils se demandent si un jour ce terrain ne sera pas exploité normalement. L’an dernier, j’ai cru que ce jour-là arrivait. Il y avait eu des troubles et le gouvernement a envoyé quatre avions-cargos avec des renforts, et même des jeeps. Un véritable pont aérien à une échelle bien modeste. Ça n’a duré que quelques jours.

La Ford était rangée derrière le hangar. L’homme, sur le point de s’installer au volant, hésita.

— Je vais aller voir miss Sara tout à l’heure… Lui expliquer qu’il n’y a rien à faire.

Clifton allumait une cigarette sans le regarder.

— Si vous aviez pu l’emmener, il me semble que le travail que je fais sur le terrain, ce travail de terrassier, de coolie, aurait au moins servi à quelque chose.

Il regardait ses mains.

— Moi, un Anglais, je travaille comme un manœuvre et les natives se foutent de moi…

— Vous y teniez à ce que nous emportions cette Eurasienne avec nous ?

— Énormément.

— Attendez-moi ici.

Clifton se mit à courir dans la direction du D.C. 3. Dans la soute, Ludwig lichait un verre, le regard fixe. Il le dévisagea avec surprise.

— Il y a le feu ?

— J’accompagne Slade à Palawbum.

— Comment reviendras-tu ?

— Je me débrouillerai.

L’Allemand ricana :

— Tu vas voir cette fille ? Je te préviens que si tu la ramènes ici, vous ne pourrez pas entrer dans l’appareil.

— Te mêle pas de ça, Marsch !… C’est moi le chef de bord et je fais ce que je veux.

— Minute ! Pour le moment nous sommes associés. C’est bon pour le règlement de la Sandy Line. Mais pour aujourd’hui, ça n’existe pas, Ce vieil ivrogne radote. Il s’est laissé embobiner par cette métisse qui a dû couchailler avec lui.

Marsch vida son gobelet et le froissa d’une main rageuse. Clifton, debout dans l’entrée de la soute, l’observait, une cigarette au coin de la bouche.

— Et ne viens pas me parler d’humanité… Souviens-toi de ce qui se passait quand nous évacuions Pékin. Toutes ces femmes avec des gosses, et nous ne choisissions que ceux qui avaient toute une liasse de fafiots dans la main. Tous de gros commerçants bien nourris. Trente de ces gars-là pouvaient nous empêcher de décoller. À la place, on aurait pu emmener soixante gosses et même davantage. Qu’est-ce que tu as fait ? Tu as glissé du pognon aux soldats du Kuomintang pour qu’ils filtrent les porteurs de grosse galette. Ils repoussaient les autres.

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1

Bandits de tous poils.