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Pensant à Clifton, il serra les poings. Fang l’avait eu. Il ne pourrait s’en débarrasser facilement. Le pilotage automatique était déréglé et ce n’était pas le moment de le réparer. Il ne pourrait même pas quitter les commandes. D’un geste rageur, il prit la poignée de la porte, ouvrit.

Philip leva vers lui ses yeux goguenards. Il souffrait de la chaleur et par conséquent de la soif. Marsch le contempla en silence, l’air arrogant.

— Qu’attends-tu pour décoller ? demanda Clifton, insolent.

Ludwig resta silencieux, fumant lentement la cigarette qu’il venait d’allumer. Il soufflait la fumée en direction de son ancien compagnon. Clifton était un fumeur enragé et devait souffrir d’être privé de tabac.

— La trouille, hein, Marsch ? Et tu vas attendre la nuit parce que tu n’oses pas.

Le visage de l’Allemand fut à deux doigts du sien.

— Tu n’en mèneras pas large dans une heure.

— Certainement, si tu es aux commandes.

Marsch referma la petite porte, empocha la poignée. Il s’approcha de Sara, appuyée contre la porte extérieure, le regard au loin dans la jungle.

— T’es heureuse, hein ?

Étonnée, elle l’examina.

— Heureuse que ce salaud de Fang ait sauvé, sans le vouloir, la vie de Clifton. T’es amoureuse ?

— Non. Je ne veux plus voir de sang couler. Est-ce si extraordinaire ?

Marsch l’étudiait de son œil mi-fermé. La paupière de l’autre suivait le mouvement avec un léger retard, comme si elle accrochait sur la surface du verre. Des traînées de sueur luisantes ressemblaient à de vieilles cicatrices.

— Des clous, mon petit ! À partir de maintenant je t’aurai à l’œil. Pais gaffe ! Je serais bien capable de garder la totalité des billets.

Sara resta impassible.

— Tiens, ajouta-t-il, comme frappé d’une idée. Je te vends la peau de Clifton, cent mille dollars.

Mais la jeune femme resta impassible. Il ricana comme après une bonne plaisanterie. Finalement, Sara lui posa une question à laquelle il n’avait pas réfléchi.

— Allez-vous vérifier les billets encore une fois ?

Il en resta interloqué.

— Tu crois qu’il aurait eu l’audace…

Brusquement il fila vers la soute, ne trouva pas immédiatement ce qu’il cherchait, alla fouiller dans le placard du navigateur parmi les cartes. Il trouva le gros rouleau de papier collant transparent. Il le lança à la jeune femme.

— Tu commenceras tout de suite la réunion des billets. Je ne m’envolerai que lorsque nous serons certains de ne pas être doublés.

Le terrain était libre enfin et les rebelles revenaient lentement vers l’appareil. Tous avaient gardé leurs armes et Marsch n’aimait guère leur attitude. Il eut l’impression qu’ils se séparaient en deux groupes pour encercler le D.C. 3. Il sortit l’arme de Tamoï, vérifia son fonctionnement.

— Qu’as-tu fait de mon revolver ?

La jeune fille s’en était emparée lors de la bagarre avec Clifton.

— Dans le poste, dit-elle négligemment.

— Va le chercher.

— Je crois que Fang arrive.

Du coup il oublia son arme et se précipita à la porte. Le Chinois arrivait enfin, et sa main étreignait la poignée de la petite valise. Marsch soupira. Les billets ne pourriraient, pas dans un coin perdu de la jungle.

— Cette fois, je crois que nous sommes bons. À moins que ce gringalet ne nous réserve une surprise.

Fang ne montait pas tout de suite dans l’appareil mais discutait avec les rebelles.

— Tu comprends, toi ? demanda-t-il à Sara.

— Non, ils sont trop loin.

Puis l’officier se dirigea vers eux.

— Me voici ! cria-t-il.

Il escalada les échelons, pénétra dans l’appareil. Il tendit la serviette à Marsch.

— Je suppose que vous voulez faire une dernière vérification. Allez-y !

Sara avait ouvrit la mallette. Elle sortit les premières liasses de la serviette, vérifia rapidement. Elle fit signe à l’Allemand que les moitiés concordaient. Il s’agenouilla lui aussi et l’aida. Le Chinois les regardait avec un sourire méprisant.

Au bout de cinq minutes, Ludwig se redressa.

— Collez les moitiés ensemble. Autant le faire tout de suite.

Puis à Fang :

— Vous pouvez appeler vos hommes.

Le Chinois désigna les billets.

— Je préfère que ces billets soient cachés.

Ce qui fit rire l’Allemand. Il était satisfait de prendre sa revanche.

— Oh, vous les croyez aussi cupides ? Je croyais qu’ils étaient rebelles politiques et non bandits de grands chemins.

Fang n’appréciait pas la plaisanterie.

— Faites vite !

Sara emporta la mallette et la serviette dans le poste de pilotage.

— Ils ont bien vu que vous aviez une serviette à la main.

— Je leur ai fait croire qu’il s’agissait de papiers politiques que nous vous remettions en échange du général.

Deux hommes venaient de pénétrer dans la carlingue. Fang leur désigna le général. Quand les deux gaillards soulevèrent le brancard, il ouvrit les yeux.

Son regard s’accrocha à Marsch et ne le quitta plus. L’Allemand détourna la tête. Mais Nangiang le fixait toujours.

— Allez, vite ! dit Fang.

Un des hommes sauta à terre et leva les bras pour soutenir le fardeau. L’autre poussa le brancard vers l’extérieur et un troisième rebelle le récupéra à bout de bras. Marsch poussa un soupir. Le général n’était plus dans l’appareil. À partir de cet instant, il était parjure à la parole donnée. Il savait que sa vie serait en danger durant de longs mois, des années même. Les gens de Formose ne lui pardonneraient pas cette trahison.

Les deux hommes emportaient le général vers l’ombre de la bordure. Fang était toujours à bord. Il suivait des yeux le brancard.

— Vous ne regrettez rien ? demanda-t-il à l’Allemand.

Ce dernier haussa les épaules.

— À votre place, je me méfierais. Si on m’avait joué un tour pareil, j’aurais passé le reste de mes jours à poursuivre mon ennemi. Les traîtres de Formose sont des Chinois. Ils doivent penser exactement comme moi.

— Merci de vos bons conseils, dit Marsch, en se forçant un peu, mais j’ai de quoi vivre en toute tranquillité. L’argent est une grosse puissance dans le monde où j’évolue.

— Je vous le souhaite ! dit Fang.

Il se rapprocha de la porte.

— Vous partez immédiatement ?

— Oui. Je vais coincer la queue de l’appareil dans la poche du fond. Pouvez-vous m’envoyer deux hommes pour le tirer ?

Fang inclina la tête et sauta à terre sans lui tendre la main. Marsch claqua la porte derrière lui, après avoir relevé l’échelle.

Dans le poste, la jeune femme recollait chaque moitié de billets à l’autre. Il y en avait déjà un bon tas de reconstitués. Marsch les feuilleta. Mille dollars. Et il y en avait deux cents fois autant.

Marsch s’installa dans le siège et mit les moteurs en route. Le droit tourna aussitôt, mais le gauche refusa obstinément de démarrer. Il y avait déjà longtemps qu’il avait besoin d’une vérification. Marsch, la sueur au front, insista encore en jurant.

Sara continuait de rassembler les moitiés de billets avec des gestes automatiques. Elle ne pensait même pas à tout cet argent qu’elle était en train de manipuler. Curieusement son esprit était auprès du petit général, couché dans sa civière. Elle regarda par les vitres de côté, mais ne put l’apercevoir. Il était beaucoup plus en arrière.

— Saloperie ! jura Marsch.

Il songeait à un court-circuit dans le réseau électrique. Un fil devait être à la masse. Parfois, en plein vol, il y avait des ratés. N’utilisant que le moteur droit, il lâcha les freins et se dirigea vers le fond du terrain. Il essayerait de réparer là-bas, hors des regards moqueurs de Fang.