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À petite vitesse il doubla les trois hommes que l’officier chinois lui envoyait. Il arriva largement avant eux, opéra un demi-tour. Ils n’auraient à tirer l’appareil que sur une trentaine de mètres.

Rapidement il démonta les plaques d’accès du poste, mais ne découvrit rien. Il dut sortir avec la petite échelle, grimper sur l’aile pour continuer ses investigations. Les trois hommes arrivés depuis cinq minutes attendaient assis en ligne à quelques mètres, le regardant et échangeant des paroles dans leur dialecte karen.

Marsch sauta en bas de l’échelle et leur désigna la queue de l’appareil. Ils s’y arc-boutèrent et l’emmenèrent contre la lisière de la jungle. Marsch sortit trois billets de cinq dollars et les leur donna. Puis il leur désigna l’autre bout du camp, en souhaitant qu’ils lui fichent la paix. Mais eux s’installèrent commodément un peu plus loin, et reprirent leur discussion sur les chances qu’avait l’homme blanc de réparer sa machine volante avant la nuit.

L’Allemand ne trouva rien et pénétra à nouveau dans le poste. Il essaya de le mettre en route et cette fois, le moteur répondit à ses sollicitations. Il savait fort bien qu’il risquait de s’arrêter en plein vol, mais il n’avait plus de temps à perdre.

— Vous avez réparé ? demanda Sara d’une voix indifférente. Elle avait maintenant pour trois mille dollars de billets reconstitués devant elle.

— Oui, grogna Marsch, en allant récupérer l’échelle.

Il referma la porte, revint aux commandes. Devant lui le champ s’étendait ridiculement court.

— Jamais je n’y arriverai, murmura-t-il entre ses dents.

Sara releva la tête. Il parlait tout seul, mais dans le vacarme des deux moteurs elle n’entendait rien. Elle s’arrêta de coller ses billets et regarda, elle aussi. Sur leur droite, il y avait le groupe des rebelles et de Fang autour du brancard du général. Ils l’avaient tourné de façon que Nangiang assiste au départ du D.C. 3.

Marsch emballa ses moteurs. Dans l’habitacle-radio, Clifton comprenait que c’était le départ. Ce qui l’étonnait le plus, c’était d’être en vie. Marsch ne l’avait pas abandonné sur le terrain. Et une fois en vol, ce serait difficile pour lui de se débarrasser de son ancien compagnon.

Les tôles de l’appareil vibrèrent terriblement. Marsch devait augmenter le régime de ses moteurs tout en se cramponnant sur les freins. Clifton se demandait si le train-avant y résisterait. Combien de fois avaient-ils utilisé le même procédé pour s’envoler de terrains trop courts. Mais celui-là battait tous les records.

Le fuselage se souleva légèrement, attiré en avant par la puissance des moteurs. Si jamais le train cédait, tout serait perdu. Clifton enfonçait ses ongles dans ses paumes. Marsch irait jusqu’à la limite de sa résistance pour un démarrage foudroyant. Le vent paraissait être nul et c’était encore une chance. S’il avait soufflé du nord comme d’ordinaire dans ces régions, Marsch n’aurait pu utiliser la grande diagonale. Et elle ne faisait pas douze cents pieds. Il faudrait rentrer la roue arrière au milieu et le train-avant juste à temps pour ne pas heurter les grands arbres.

Brusquement il perdit son équilibre et tomba en avant. Marsch avait lâché ses freins et donné toute la puissance aux moteurs.

CHAPITRE XI

L’avion fit un bond en avant. Marsch cramponné aux commandes était pâle comme un mort. Sara serra ses mains l’une dans l’autre. Toute la puissance possible était donnée et les moteurs rugissaient littéralement.

Le groupe de Fang et du général se rapprochait rapidement, marquant approximativement la moitié de la diagonale. Marsch attendait ce moment-là pour rentrer sa roue-arrière. Déjà lui semblait-il les cahots du terrain était moins perceptibles. Les roues frôlaient simplement le sol.

Il rentra sa roue-arrière, et c’était maintenant que la partie se décidait. Il lui restait environ trois cents pieds pour arracher suffisamment le D.C. 3, amorcer un léger virage vers la gauche pour passer dans la faille de l’écran de verdure.

Mais son altimètre resta inerte. L’avion ne décollait pas. Rapidement il sortit sa roue-arrière en même temps qu’il coupa les gaz. Il freina à mort.

L’appareil se dirigeait droit vers la jungle. Sara voyait le tronc énorme contre lequel ils allaient s’écraser. Le Douglas exploserait, et les débris s’éparpilleraient sur des centaines de mètres.

Ludwig relança le moteur de droite et dans un craquement sinistre, le D.C. 3 pivota tout élan brisé. Le pilote relâcha les freins, mais se rendit compte que quelque chose avait cédé. Finalement l’appareil s’arrêta à quelques mètres de la bordure sud.

Marsch coupa le moteur, s’affala dans son siège. Il était décomposé. Ses mains tremblaient et il les enfouit dans ses poches. Il ferma les yeux, voulant tout oublier pour quelques secondes.

Silencieuse, Sara avait du mal à comprendre qu’ils étaient encore en vie. Une douleur lui fit baisser les yeux. Elle avait enfoncé les ongles de sa main dans son poignet gauche, et le sang coulait de quatre petites blessures en forme de croissant.

Puis elle se pencha en avant. Le groupe des rebelles était resté sur place. Ils ne couraient pas vers eux. Ils étaient indifférents, et peut-être que Fang avait obscurément souhaité que l’avion s’écrase.

Marsch se redressa, alluma une cigarette. Il essaya de se lever, mais ses jambes se dérobaient sous lui. Il s’assit à nouveau.

L’évidence le torturait. Il ne pouvait arracher l’appareil à ce terrain. C’était même une chance de ne pas s’être enfoncé dans le mur de la jungle. Ils n’en seraient pas sortis vivants.

Seul Clifton pouvait tenter un deuxième essai. Lui savait qu’il lui serait impossible de recommencer. Chaque fois, il ne pourrait aller plus loin que la moitié du terrain. Ce qu’il n’avait pu supporter, c’était l’approche terrifiante des arbres. Il lui avait été impossible de continuer à courir vers une mort à peu près certaine.

Sara avait l’impression que l’appareil penchait davantage. Peut-être que la roue-arrière s’était enfoncée dans un creux. Plusieurs minutes s’écoulèrent dans un silence total. Les rebelles étaient toujours à la même place. Marsch, le regard hébété, fixait au loin.

Quand il se leva, il n’eut pas un regard pour la jeune femme et sortit du poste. Une fois à terre il put se rendre compte des dégâts. La béquille arrière avait été arrachée. Le fuselage reposait dessus, la tordait davantage. Mais c’était réparable. Une simple plaque de métal à l’intérieur du fuselage, percée de trous pour remplacer la partie défectueuse.

Dans la boîte à outils, il prit une scie à métaux et découpa le couvercle. Il était en tôle épaisse, suffisante. Il prit ses mesures et perça les trous à la chignole à main. Il travaillait rageusement.

Puis il dut rassembler des matériaux, son cric étant insuffisamment long pour relever la queue de l’appareil. En moins d’une heure il abattit un travail considérable. Mais la même pensée le taraudait. C’était un effort inutile. Il ne pourrait jamais faire décoller l’appareil.

La roue était bloquée, et c’était la cause de la rupture. Il parvint à la faire tourner librement dans tous les sens, commença de revisser les tire-fonds. Pour être plus à l’aise, il s’était débarrassé de sa combinaison et travaillait en slip. Il remarqua que les rebelles étaient moins nombreux. Seuls les habitants étaient restés auprès du lieutenant. Les partisans avaient dû s’éloigner dans la jungle. Peut-être craignaient-ils un retour des soldats. Quant à Fang, il ne quittait pas d’un pouce le général Nangiang.