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Sa réparation terminée, Marsch mit ses moteurs en route, fit rouler l’appareil sur une cinquantaine de mètres. C’était parfait. La roue-arrière avait l’air de tenir.

Pendant son absence Sara avait assemblé une quantité impressionnante de billets. Ludwig eut pour le tas un regard morne. Il n’était plus certain de pouvoir en jouir dans un avenir rapproché.

La jeune femme chercha son regard.

— Délivrez-le. Lui seul peut nous sortir de là.

Marsch crispa ses mâchoires. Il savait bien qu’il finirait par en passer par là. Clifton aux commandes, Clifton triomphant de la difficulté. Car il réussirait, il en avait la conviction. Il avait travaillé souvent dans les mêmes conditions.

Dehors la lumière devenait violette. Le soleil n’était plus qu’en haut des arbres et il disparaissait rapidement.

— Vous attendez la nuit ? demanda Sara d’un ton acerbe. Vous savez bien que vous finirez par aller le chercher.

— Ferme ta gueule !

— Non. Vous reculerez le moment… De combien d’heures ? Pour le regretter ensuite.

— C’est un terrain impossible, ni moi ni lui n’y pouvons rien. Il ne fallait pas s’y poser. Qui me dit même que ce n’est pas un piège ? Fang n’est même pas venu voir pourquoi nous n’avions pas décollé, et les rebelles ne sont plus avec lui.

Les yeux de la fille s’agrandirent d’épouvante.

— Vous croyez…

— Deux cent mille dollars, c’est bien dommage de les laisser s’envoler, vous ne trouvez pas ? Je me demande si le patriotisme de Fang va jusqu’à mépriser une somme pareille.

— Pourquoi aurait-il attendu ?

— Il avait les soldats birmans sur le dos. Et puis ? Il peut fourrer le général dans l’hélicoptère et refuser d’y monter.

Sara jeta un coup d’œil furtif autour d’elle. De verdâtre, la jungle tournait au noir. Elle frémit à la pensée qu’ils n’en sortiraient jamais.

— Atterrir est toujours possible. Mais décoller est une autre affaire. Peut-être Fang doit récupérer et le général et l’argent. Ce sont des devises malgré tout, et elles ont cours dans le monde entier. Les Chinois entretiennent des agents secrets dans les autres pays. Il faut bien les payer.

— Délivrez Clifton… Nous sommes solidaires maintenant. Il faut sauver notre peau.

Marsch mordait son pouce avec une rageuse obstination. C’était brutalement que l’idée d’un piège, se refermant lentement sur eux, lui était venue. Fang avait eu des sourires équivoques, des mines inquiétantes.

— Et cet hélicoptère, vous y croyez ?

— Il ne va pas traverser la frontière de jour tout de même. La Birmanie est en grande pagaille, mais il existe une surveillance. Peut-être ne viendra-t-il qu’en pleine nuit. Il suffit que les Birmans allument quelques feux pour que l’appareil les repère et se pose.

— Combien avons-nous de jour devant nous ? demanda la jeune femme.

— Une heure environ.

— Installez Clifton aux commandes.

Marsch fuyait son regard.

— Vous savez bien qu’une fois à cette place il me sera impossible de l’en faire sortir. Nous serons en vol et une bagarre serait une folie.

— Éloignez-vous au moins de la bordure. Les rebelles peuvent nous surprendre à tout moment.

Marsch fit rouler l’appareil jusqu’au centre du terrain, coupa le contact. Il était épuisé, vidé. Il n’éprouvait plus la moindre haine pour Clifton et ne pensait même pas aux deux cent mille dollars. Son dernier échec lui avait ôté ses dernières illusions. Il n’était qu’un pauvre type de pilote vieilli sous le harnais.

— Sur la pente, murmura-t-il. Et on l’a rudement savonnée pour que je tombe plus vite.

Ne restait que ce vieil amour-propre qui refusait de demander l’aide de Clifton. Serait-il plus fort que la peur de perdre sa peau ? Il tripota une cigarette entre ses doigts avant de la porter à sa bouche. Sara Tiensane attendait, elle aussi. Elle crevait de peur. S’il hésitait trop, elle lui tirerait une balle dans la peau et irait délivrer Clifton. Il n’avait même plus l’envie de se tenir sur ses gardes. Lui qui était si méfiant. Elle était armée et viendrait un moment où elle se déciderait, à bout de nerfs.

Son briquet claqua et il ne s’aperçut de la flamme que lorsqu’elle lui chauffa les doigts.

— C’est bon, fit-il.

Il s’approcha de l’habitacle-radio et ouvrit la porte étroite.

— Tu as entendu ?

Clifton, assis sur son tabouret, l’examinait d’un air étonné.

— Je vais te délivrer, dit Marsch.

— Inutile de faire des discours.

Les courroies de cuir tombèrent sur le sol et Clifton se redressa avec une grimace. Il massa longuement ses poignets, puis ses chevilles, avant de faire un pas.

— Il reste quelque chose à bouffer ?

— J’y vais, dit Sara.

— Donne-moi une cigarette en attendant.

Tout en l’allumant, Philip épia son ancien compagnon. Le visage de Marsch était tiré, désabusé. Son œil même avait perdu son éclat virulent, Clifton se laissa tomber sur le tabouret pour fumer sa cigarette.

Sara arriva avec un plateau garni. Il y avait du fromage en boîte et des biscottes. Une boîte de bière ouverte. Clifton but longuement, puis commença à manger. De temps en temps il jetait un coup d’œil inquisiteur à ses deux compagnons.

— Nous ne pourrons pas décoller avant la nuit, dit-il.

Sara étouffa un cri de stupeur tandis que Marsch éclatait de rire.

— C’est la peur de la nuit qui m’a pourtant décidé à te délivrer ! dit-il d’un ton âpre.

— Je sais. Mais inutile de tenter le diable. Si un hélicoptère doit venir chercher le général, ils seront obligés d’allumer des feux. Nous attendrons donc. Mais il faudra faire un travail assez dur, renforcer le train avant. Ça ajoutera un peu de poids, mais c’est indispensable. D’ailleurs nous pouvons nous alléger en balançant certains trucs. Avant la nuit il faut aller couper quelques bambous. Je veux du souple et du résistant. Il faut aussi tailler des cales en bois.

— Mais si les rebelles nous attaquent ?

— Nous veillerons. Il faut installer le phare au-dessus de la porte.

Marsch partit chercher les bambous tandis que Clifton inspectait le terrain depuis l’intérieur. Ils avaient décidé de dissimuler sa libération. Il se rendit ensuite au poste de pilotage, examina les billets de banque.

Sara continuait sa besogne, mais ses mains tremblaient.

— Je vous dois ma libération, dit Philip sans aucune ironie. Merci beaucoup.

Son visage se leva vers lui.

— Dites merci à ma peur.

— Je ne me fais pas d’illusions, dit-il sèchement. Il prit les jumelles et examina le groupe de Fang et des Karen.

— Les rebelles sont partis ?

— Marsch suppose qu’ils sont en train de nous encercler.

Clifton fit la moue.

— Peu probable. Mais ce Fang doit avoir l’esprit tortueux.

Il apercevait le brancard du général, mais le visage de Nangiang était flou. Il faisait déjà très sombre et la nuit allait être complète dans moins d’une demi-heure.

— Si l’hélicoptère vient cette nuit, ils ne vont pas tarder à apporter des brassées de bois.

— Sinon ?

— Notre départ sera remis à demain matin.

Une liasse de billets tomba des genoux de la jeune femme, mais elle ne se baissa pas pour les ramasser.

— La nuit sera terrible.

— Ce n’est pas moi qui ai voulu me poser sur ce fichu terrain. Sans lumière, impossible de décoller.