— La bombe pouvait se trouver dans l’appareil avant Palawbum. Il existe des systèmes pouvant déclencher l’explosion après quarante-huit heures.
— Aucune cachette n’est possible dans le poste. Ce serait plus facile de dissimuler un engin dans la soute. Mais n’oubliez pas les moteurs. Dans ce cas, il nous faut atterrir et vous passerez l’appareil au peigne fin.
Tamoï lui adressa un regard noir.
— Vous ne voulez pas que j’entre dans le poste ?
— Écoutez, mon vieux, les pilotes sont des gens superstitieux qui pensent qu’un profane apporte le mauvais œil. N’insistez pas. Mon camarade est très nerveux et serait capable d’une fausse manœuvre s’il vous voyait entrer.
Malgré le ton plaisant de ses paroles son visage restait dur et il était prêt à frapper si l’homme insistait. Mais le garde pivota sur les talons de ses bottes et rejoignit son camarade. Philip tourna le verrou et soupira de soulagement. Ils l’avaient échappé belle.
Marsch était intrigué par sa sortie subite. Il lui expliqua ce qui s’était passé. L’Allemand l’écouta avec attention avant de répondre.
— Ils vont nous harceler maintenant. Ce sont des méfiants et ils vont s’hypnotiser sur le poste de pilotage. Il faudrait trouver un moyen de les tranquilliser.
Philip regarda autour de lui, puis se souvint d’un détail. Il pénétra dans l’habitacle-radio et se pencha sous le support de l’appareil. Une plaque se soulevait, découvrant les nervures inférieures. La jeune femme pourrait s’y glisser durant quelques minutes, le temps de faire visiter l’avant par l’un des gardes du général.
Sara le suivit sur un signe et il lui désigna le trou carré qu’il venait de dégager.
— Oseriez-vous vous glisser là-dedans ? L’un des gardes veut à tout prix visiter le poste.
Pour toute réponse elle engagea ses jambes dans le réduit, et en se contorsionnant, disparut complètement. Il s’agenouilla, son visage à quelques centimètres de celui de Sara.
— Ne craignez rien. Dans quelques instants je reviendrai vous chercher.
Philip remit la plaque en place, la fixa tant bien que mal. Il alla remplacer Ludwig aux commandes.
— Va les trouver et, sous un prétexte quelconque, amènes-en un ici.
L’Allemand disparut. Clifton calcula que, dans une demi-heure ils arriveraient en vue de Mandalay. La vitesse ne dépassait pas cent soixante milles. Les moteurs étaient fatigués et il était inutile de les pousser, sous peine de consommer dangereusement de l’huile.
Marsch revint dix minutes plus tard avec Tamoï. Le garde regarda Clifton avec défi. Le pilote fronça les sourcils comme s’il était furieux. Du coup le garde, ravi d’être passé outre l’interdiction se contenta de regarder le paysage, de se pencher vers les cadrans. Quand il fut parti, Marsch reprit les commandes et Philip alla délivrer la jeune femme.
— Cette fois il nous fichera complètement la paix. Je ne sais pas ce qu’il imaginait, mais il a satisfait sa curiosité. Il ne reviendra pas.
Brusquement il sentit que l’avion perdait de l’altitude.
— Mandalay certainement.
Il désigna le hublot.
— Vous jetterez un coup d’œil à la grande statue de Bouddha, en marbre et en or, sur le terrain d’atterrissage.
Refermant la porte de l’habitacle sur elle, il passa à l’avant. Il y avait deux avions sur le terrain et l’un d’eux s’écartait de la piste d’atterrissage.
— Je vois le camion-citerne. Ce sera vite fait.
— Ils m’ont dit qu’un seul de nous devait descendre. Ça t’intéresse ?
— J’irai chercher des cigarettes et de quoi casser une croûte, proposa Ludwig.
Cinq minutes plus tard il immobilisait l’appareil tandis qu’un vieux camion-citerne fonçait vers eux. Il coupa le contact et les batteries.
Le général ouvrit les yeux quand Philip se pencha vers lui. Le regard de l’homme était flou.
— Où sommes-nous ? demanda-t-il avec effort.
— Mandalay. Ravitaillement en essence.
Le général referma les yeux. Mais il ne dormait pas.
— Avez-vous besoin de quelque chose ?
— Non.
Sur le terrain, la foule habituelle des Birmans attendant un départ. Les voyageurs emportaient avec eux toutes sortes d’objets et d’animaux. Un vieillard tenait à la main une cage avec deux poulets hargneux. Beaucoup de femmes en sari, dont plusieurs étaient d’une beauté éclatante. Plus loin, sur un petit feu de brindilles, une famille confectionnait du thé. Une vieille femme, avec des bracelets autour des chevilles, se promenait en chantant une berceuse pour l’enfant qui dormait dans ses bras. Philip détourna le regard, se souvenant de Pékin. Mais la foule était tranquille, joyeuse souvent.
Il aperçut Ludwig qui revenait, un panier en osier à la main. Mais le copilote ne remonta pas tout de suite. Il dut parlementer avec le pompiste sur la quantité d’essence envoyée dans les réservoirs. Il fallait constamment se méfier et effectuer des sondages sonores. Pour gagner quelques roupies, les employés auraient envoyé les passagers et l’équipage vers une mort certaine.
Enfin Marsch remonta à bord. Philip fila vers l’avant, s’installa aux commandes. Un homme agitait un drapeau blanc au bout de la piste, et un mulet la traversait d’un pas lent. Il fallut qu’il emballe les moteurs pour que la foule comprenne et s’écarte.
L’appareil eut besoin de toute la piste pour s’arracher au sol, preuve que les réservoirs étaient pleins à craquer. Dans six heures ils arriveraient à Bangkok, si tout allait bien. En cas de difficulté, ils ne pourraient trouver de quoi réparer qu’à Chiang-Mai, en Thaïlande, à mi-chemin de la capitale. Il y avait une dizaine de terrains sur le parcours, mais de simples pistes aménagées dans la jungle, sans réserve d’essence et encore moins de pièces détachées.
Ludwig Marsch vint s’installer dans le poste avec un énorme sandwich et une boîte de bière. Sara sortit de son habitacle avec sa valise à la main. L’Allemand lui jeta un regard surpris. Parfois, le pare-brise faisant miroir, Philip les apercevait.
Au bout d’une demi-heure de vol, Sara se saisit de sa valise et l’installa sur ses genoux. L’Allemand ne perdait pas un seul de ses gestes et poussa un cri de surprise quand le couvercle fut ouvert.
Clifton se retourna et resta bouche bée. De la valise, la jeune femme sortait des liasses de billets de vingt dollars. Marsch mit un certain temps à se rendre compte du format étrange de tous ces billets. Ils étaient coupés en deux.
Sara le regarda, puis soutint le regard de Clifton tourné vers elle.
— Il y en a pour deux cent mille dollars, dit-elle d’une voix forte. À condition de retrouver les autres morceaux.
Ludwig tendit la main et s’empara d’une liasse. Il compta cent billets.
— Il y a cent liasses, dit Sara.
Les billets avaient été tranchés au massicot, de façon nette, sans bavures. La reconstitution serait très facile, grâce aux numéros de série.
— Deux cent mille dollars partagés en trois, ça fait presque soixante-dix mille dollars chacun.
Clifton entendait mal ce qu’elle disait. Ludwig lui apporta une liasse. Les billets étaient neufs mais bons.
— Incroyable, hein ? Dans sa petite valise.
Le pilote regarda devant lui. Brusquement il était furieux contre la jeune femme. Elle s’était moquée de lui, aidée par cet imbécile de Slade. Il crispa ses mains sur les commandes.
— Certainement une combine, dit Marsch à son oreille.
— Envoie-la paître ! fit son ami entre ses dents.
Ludwig le dévisagea d’un air moqueur, puis sifflota doucement :