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— Judith, vous vous faites du mal. Je vous en supplie, ne…

Mais elle ne l’écoutait pas. Le regard à nouveau perdu sur l’horizon bleu, elle continua :

— Pourquoi m’avoir emmenée, Gilles, si vous ne m’aimiez plus ? Pourquoi ne m’avoir pas laissée à ma misère, à ma folie ? Vous seriez libre puisque je croyais notre mariage nul…

— Mais il ne l’était pas. Devant Dieu, devant ma conscience vous êtes toujours ma femme et vous le serez…

— Jusqu’à ce que la mort nous sépare ? Je sais, je sais… À présent, je vous en prie, laissez-moi, j’ai besoin d’être seule.

Il hésita un instant à s’approcher d’elle, à prendre cette main que Finnegan avait abandonnée mais il n’osa pas.

— Me pardonnerez-vous mes injustes soupçons et le mal qu’ils vous ont fait ?

Sous le moelleux tissu blanc de sa robe, ses épaules eurent un mouvement plein de lassitude.

— Je n’ai plus de colère contre vous, si c’est cela que vous souhaitez entendre. Je n’ai que des regrets auxquels vous ne pouvez rien. Laissez-moi seule, je vous en prie…

Il obéit sans insister et quitta la chambre sur la pointe des pieds. Il ne vit pas, sur le visage détourné de Judith, les larmes qu’elle ne pouvait plus retenir…

Contrairement à ce que l’on aurait pu supposer, Pongo ne rattrapa pas Fanchon et en ressentit une grande indignation. La disparition inexplicable de la jeune femme, qu’aucune trace ne signalait hors de la maison et que personne n’avait vue, lui avait fait l’effet d’une atteinte à sa science des pistes et à son flair de chasseur. Fanchon semblait s’être volatilisée dans le vestibule même de « Haute-Savane » et ce ne fut que le lendemain, après avoir fouillé maison et jardin avec acharnement, que Pongo découvrit, dans une des caves, un étroit passage caché par des fagots qui débouchait dans une petite grotte au flanc du morne. Curieuse comme un chat, la camériste de Judith avait beaucoup fureté dans la maison et avait dû garder pour elle sa découverte.

— Laissons-la à son destin, dit Gilles quand l’Indien vint lui rapporter le résultat de ses recherches, mais fais boucher ce souterrain. Je n’aime pas beaucoup savoir qu’un chemin d’invasion arrive jusque dans la maison. Legros ne devait pas le connaître car il n’aurait certainement pas négligé pareil atout.

— Lui plus se manifester. Peut-être parti ? Ou bien renoncé ?

— Cela m’étonnerait. Ce genre d’homme ne renonce guère. Bien sûr, il n’a rien tenté contre nous depuis deux mois mais cela ne veut pas dire, crois-moi, qu’il est enfin décidé à nous laisser en paix. Je croirais plutôt qu’il prépare autre chose.

— Peut-être mort ? sugéra Pongo avec un espoir si visible que Gilles se mit à rire.

— Tu aimerais bien et moi aussi ! Tu as peut-être raison, après tout. Il arrive qu’un bandit finisse par se prendre à son propre piège et, de toute façon, il ne doit pas avoir que des amis…

Mais Simon Legros n’était pas mort.

CHAPITRE XV

UNE GROTTE À LA TORTUE

— Ma mère est morte et Madalen a été enlevée…

Le visage couleur de craie sous la broussaille de ses cheveux blonds en désordre, Pierre Gauthier appuyé de tout son poids sur sa canne et au bord de l’évanouissement s’efforçait visiblement de ne pas s’abattre sur le tapis.

Repoussant sa chaise qui se renversa, Gilles courut vers le jeune homme, le soutint et, doucement, l’amena jusqu’à un fauteuil dans lequel il le fit asseoir. Il était temps. Les jambes de Pierre ne le portaient plus et pliaient sous lui tandis que ses yeux commençaient à se révulser.

— Charlot ! De l’eau-de-vie ! cria le chevalier.

Mais déjà Judith avait quitté la table où, en face de son époux, elle achevait le repas du soir et elle avait empli un verre de vieux cognac qu’elle apporta à Gilles en constatant, non sans chagrin, qu’il était presque aussi pâle que Pierre. Mais elle ne dit rien. À eux deux, ils réussirent à faire avaler au malheureux garçon quelques gouttes du généreux breuvage et un peu de couleur revint à ses joues blanches. Un instant plus tard, il rouvrait les yeux.

— Donnez-lui encore un peu de cognac, conseilla Judith qui s’efforçait de réchauffer entre les siennes les mains glacées du jeune homme.

De lui-même, cette fois, Pierre vida le verre. Il eut un long frisson comme si un courant électrique le parcourait.

— Ça va mieux ! dit-il enfin. Merci, madame… Je… je suis désolé de vous déranger…

— Ne dites pas de sottises ! Que s’est-il passé ?

— Je ne sais pas exactement… Je me suis attardé à Port-Margot ce soir, à causer avec M. Vernet qui souhaitait d’ailleurs me garder à souper mais j’ai refusé : je ne voulais pas que ma mère et ma sœur s’inquiètent et j’étais déjà en retard. Et c’est en rentrant que j’ai vu… Oh ! monsieur Gilles, la maison est bouleversée comme si l’on s’y était battu. Ma mère gît au pied de son lit, assommée. Elle a dû vouloir défendre Madalen…

— Mais comment sais-tu qu’elle a été enlevée ?

— Il y avait ça sur la table.

Pierre tira de sa poche un morceau de papier plié qu’il tendit à Gilles.

« Je tiens la fille, Tournemine, lut celui-ci. Ne me cours pas après si tu ne veux pas que je la livre à mes hommes. Je te ferai savoir où et comment tu pourras la récupérer vivante. »

C’était signé Simon Legros…

Un nuage rouge passa devant les yeux de Gilles. Furieux, il froissa l’insolent billet et allait le jeter quand Judith le lui ôta des mains.

— Donnez ! dit-elle seulement. (Puis, quand elle eut parcouru les quelques lignes :) Qu’allez-vous faire ?

— Que voulez-vous que je fasse ? hurla-t-il. Rien ! Je ne peux rien faire ! Non seulement ce misérable a tué une femme pratiquement sous mon toit, il en a enlevé une autre mais encore je dois attendre son bon plaisir sous peine de…

— Je conçois, murmura Judith, que cette idée vous soit insupportable, mais il y a peut-être tout de même quelque chose à faire…

— Quoi ? Voulez-vous me dire quoi ? Si je lance mes hommes sur sa trace, il…

— Bien entendu. Aussi ne s’agit-il pas de « lancer vos hommes » comme vous dites mais bien d’en lancer un seul. Dieu vous a donné la chance d’avoir à votre service un homme pour qui les pistes les plus embrouillées se lisent à livre ouvert, un homme qui sait passer partout sans coucher l’herbe, sans froisser les feuilles, un homme qui sait se rendre invisible, silencieux. Vous avez Pongo et vous osez dire que vous ne savez pas quoi faire ? Où sont passés le Gerfaut et son habileté à la guerre d’embuscade ?

Gilles regarda sa femme comme s’il la voyait pour la première fois, presque foudroyé par sa soudaine violence.

— Vous ? C’est vous qui me dites cela ? Vous vous souciez donc du sort de cette pauvre enfant ?…

— Je me soucie surtout de « Haute-Savane ». Ne comprenez-vous pas ce que signifie le chantage de ce Legros ? Ne devinez-vous pas quel prix il vous faudra payer pour qu’on vous la rende vivante… et intacte ? Seule l’habileté de Pongo peut nous sauver. Alors qu’attendez-vous ?

— Vous avez raison… Cent fois, mille fois raison ! Pongo ! Pongo !

Et Gilles, criant à pleins poumons, sortit en courant de la maison laissant Pierre seul en face de Judith.

— Madame, dit le jeune homme d’une voix altérée, vous ne voulez pas dire que ce Legros oserait exiger qu’on lui rende le domaine en échange de la vie de ma sœur ?

— Inutile de se leurrer, mon pauvre Pierre. C’est certainement cela. La plantation a été le but de tous les agissements de cet homme depuis que nous sommes arrivés. Mais inutile aussi de vous tourmenter. Madalen ne craint rien tant que Legros n’a pas fait connaître ses exigences et que mon époux ne les a pas refusées… ce qu’il ne ferait certainement pas, d’ailleurs. Ce qu’il faut, c’est le prendre de vitesse et, grâce à Pongo, la chose est possible, croyez-moi… Vous allez rester ici cette nuit. Je vais dire que l’on vous prépare une chambre…