Mais quand, lâchant les brosses, ses doigts s’attaquèrent aux agrafes qui fermaient la robe dans le dos, Judith bondit de son siège comme si une guêpe l’avait piquée et chercha refuge derrière une grande bergère.
— Allez-vous-en ! grinça-t-elle entre ses dents serrées. Sortez d’ici ! Vous n’êtes pas mon mari et je ne suis pas votre femme.
— Ah non ! Vous n’allez pas me parler encore de votre pseudo-Kernoa. Êtes-vous sotte au point de n’avoir pas compris…
— J’ai tout compris mais si je dis que je ne suis pas votre femme c’est que je ne veux plus l’être, plus jamais, vous entendez ! Que m’importe à moi s’il était bandit, truand ou n’importe quoi d’autre. Je l’aime, vous m’entendez ? Je l’aime et vous je ne vous aime plus… en admettant même que je vous aie jamais aimé. Je n’ai que faire de votre amour…
— Où avez-vous pris que je vous aime encore ? Moi non plus je ne vous aime plus, ma chère, mettez bien cela dans votre jolie tête. Seulement ni vous ni moi ne pouvons défaire ce qui a été fait par Dieu : vous êtes ma femme… et il se trouve que je vous désire.
De cette acerbe sortie, Judith n’avait retenu qu’une chose qui paraissait la surprendre au-delà de toutes choses.
— Vous ne m’aimez plus ?
— Eh non ! Vous savez, d’expérience, que ce sont des choses qui arrivent. Il n’y a pas si longtemps ma mort faisait de vous une veuve éplorée allant même jusqu’au régicide tant vous étiez altérée de vengeance.
— Mais… comment est-ce possible ?
Il y avait tant de naïve vanité dans cette question que Gilles éclata de rire.
— De la plus simple des façons. Je ne vous aime plus parce que j’en aime une autre.
— Qui ? Votre précieuse comtesse de Balbi, j’imagine ?
Gilles pensa, à part lui, que toute la femme tenait dans ces quelques mots. Judith clamait sur tous les tons qu’elle ne l’aimait plus, mais cela ne l’empêchait pas d’exprimer une acrimonie qui ressemblait bigrement à de la jalousie dès qu’il s’agissait d’une rivale éventuelle.
— Permettez-moi de vous dire, respectueusement, que cela ne vous regarde pas. Comme vous le voyez, nous sommes à deux de jeu et les sentiments sont égaux de part et d’autre… à ceci près que vous êtes enceinte de votre amant et qu’il me serait difficile de vous rejoindre sur ce terrain. J’ajoute qu’en dépit du corset que l’on vous serre impitoyablement, votre taille est moins fine. Votre grossesse commence à se voir et il est grand temps que je m’occupe de vous, sinon les gens finiront par jaser.
— Vous occuper de moi ? Qu’allez-vous me faire ? s’écria-t-elle en portant, d’un geste instinctif, ses mains à la hauteur de son ventre cependant encore bien protégé par la cage d’osier de ses « paniers ».
— Vous faire ? Moi ? Mais rien du tout, ma chère… sinon coucher avec vous tant que la chose est encore possible… et agréable.
— Jamais, vous entendez ? Jamais ! Je vous interdis de me toucher.
— C’est ce que nous allons voir…
Allant tranquillement à la porte, il la ferma soigneusement à clef, fourra ladite clef dans sa poche puis, d’un geste si rapide qu’un prestidigitateur le lui eût envié, il arracha sa robe de chambre. L’apparition de son corps nu arracha un petit cri à Judith mais la sidéra tellement qu’elle resta sans réaction. Déjà Gilles avait bondi sur elle, envoyant valser la bergère qui lui servait de refuge et qui roula sur le tapis avec un grondement sourd.
Ce fut seulement quand il la saisit qu’elle réagit et, dès lors, livra une défense d’autant plus désespérée qu’elle se savait par trop inférieure. Griffant, mordant, feulant, elle se battit comme une chatte en fureur tandis que, morceau après morceau, il lui arrachait sa magnifique robe nacrée, faisant rouler sur le parquet les perles qui la garnissaient. La robe partit en trois morceaux, puis les jupons, les paniers d’osier dont il coupa prestement les liens à l’aide d’un petit couteau trouvé sur la toilette, le corset dont les lacets subirent le même sort, le tout en maintenant d’une seule main la jeune femme à demi folle de fureur. Les petites mains de Judith, ses dents ne semblaient pas pouvoir trouver prise suffisante sur ces muscles durs comme de la pierre et elle avait l’impression de lutter contre une statue.
Le dernier voile, une ravissante chemise de linon brodé, s’envola enfin sans que Judith cessât de cracher et de mordre. Les épaules de Gilles le brûlaient tant elles étaient zébrées de coups de griffes. Furieux d’avoir eu tant de mal à en venir à bout, il la traîna jusqu’à l’une des colonnes d’acajou qui soutenaient le grand baldaquin de mousseline au-dessus du lit, arracha l’une des embrasses des rideaux en passant et lia les poignets de Judith derrière la colonne puis, lui ouvrant les jambes d’un coup de genou, il entra en elle avec tant de violence qu’il la souleva de terre lui arrachant une longue plainte vite couverte par son propre râle. Le plaisir déferla en lui avec la violence d’une cataracte et le laissa haletant, le cœur cognant comme un battant de cloche. Alors il s’écarta, la regarda.
Elle ressemblait à quelque jeune chrétienne liée au poteau du supplice, attendant les fauves. La masse somptueuse de ses cheveux ruisselait sur son visage, cachant en partie son corps dont la beauté le frappa. Les prémices de la maternité avaient épanoui ses seins qui, légèrement alourdis, ressemblaient à de beaux fruits. La taille était moins fine, bien sûr, mais le ventre, déjà doucement arrondi, avait des reflets de nacre. Et que ses longues cuisses couronnées d’or frisé avaient donc de grâce !
Retrouvant au fond de son cœur un reflet de l’ancienne tendresse, il éprouva une légère honte de l’avoir ainsi brutalisée, mais la défense furieuse qu’elle lui avait opposée méritait au moins une leçon. S’approchant d’elle de nouveau, il releva le flot de ses cheveux, découvrant son visage inondé de larmes et, doucement, posa sa bouche sur celle de la jeune femme tout en l’entourant de ses bras.
Comme si Judith n’avait attendu que cette caresse, elle s’amollit tout à coup et Gilles comprit qu’elle s’était évanouie en la sentant glisser contre la colonne. Se hâtant alors de la délivrer de ses liens il la souleva de terre, l’étendit sur le lit et posa son oreille contre le cœur de la jeune femme. Il battait régulièrement, peut-être un tout petit peu trop vite, mais il fut rassuré. Ce n’était qu’une faiblesse passagère. Alors, se glissant contre elle, il se mit à lui tapoter les joues puis, quand il l’entendit soupirer et vit battre ses longs cils dorés, il commença, très doucement, à la caresser.
Grâce à Sitapanoki et à l’ardente comtesse de Balbi, il avait du corps féminin et de ses zones érogènes une connaissance parfaite que décuplait son instinct. À cette femme dont les yeux demeuraient obstinément clos encore qu’il fût absolument certain qu’elle était attentive à chacun de ses gestes, il prodigua un flot de savantes caresses. Ses doigts, ses lèvres étaient partout, des douces collines des seins aux ombres tendres du ventre, des lèvres gonflées aux aisselles soyeuses et Judith, peu à peu, se mit à vivre, à vibrer. Son souffle, léger d’abord, devint haletant, coupé de petites plaintes heureuses qu’il amena lentement, patiemment, jusqu’à un grand cri de joie animale. Le bel instrument d’amour qu’était Judith avait répondu merveilleusement au concerto voluptueux qu’il venait de jouer sur lui.