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5 Vladimir le Soleil Rouge : le baptême de la Russie

Une lumière apparut sur le chemin et tout changea de signe, comme dans une opération algébrique.

Vladimir VOLKOFF.

Les bylines (chants épiques) baptisent Vladimir d’un nom tendre, poétique : le « Soleil Rouge ». Dans l’histoire, il est entré sous l’appellation de Vladimir le Grand. L’Église le compte au nombre de ses saints et en fait « l’égal des Apôtres ». Tant d’attention peut surprendre, mais il n’y a là rien que de très normal : Vladimir a eu, comme aucun autre, un rôle déterminant sur la nature du futur État russe, sur le caractère d’un peuple qui commençait seulement, alors, à se former. On peut donc, à bon droit, considérer son action sur le trône de Kiev comme décisive pour le destin de la Russie.

L’ère nouvelle commence du vivant même de Sviatoslav. Pour la première fois, le prince partage ses possessions entre ses fils. Combien sont-ils exactement, on ne saurait le dire. La polygamie des Normands, qui l’ont importée dans la Rus, permet toutes les hypothèses. On sait en revanche ce que le prince attribua à son aîné et à son cadet, et qu’il permit au plus jeune, Vladimir, bâtard né de Maloucha, la propre intendante d’Olga, de gouverner Novgorod, cité indépendante mais qui entretenait des liens commerciaux étroits avec Kiev. Indociles, les Novgorodiens souhaitaient avoir pour prince un descendant de Rurik, plus à titre d’ornement que pour gouverner : le pouvoir princier était en effet fortement restreint dans la ville par l’assemblée populaire : le viétché.

Vladimir a dix ans environ (la date exacte de sa naissance n’est pas connue, on la situe hypothétiquement en 960), lorsqu’il commence à régner sur Novgorod. Son destin bascule au moment où son frère aîné, Iaropolk, honoré du titre de grand-prince puisqu’il règne à Kiev, entreprend une campagne contre son cadet, Oleg, prince des Drevlianes. C’est le premier exemple de ces luttes fratricides qui seront un élément capital de l’histoire russe, des siècles durant. Iaropolk s’empare des possessions de son frère (Oleg est mort au cours de l’empoignade) et part à la conquête de Novgorod. Prudent, Vladimir a quitté la ville. Privé de son trône, il erre quelque deux ans à travers le monde. Les historiens divergent sur les lieux où il a séjourné : la France, l’Italie, peut-être la Scandinavie. Le débat est d’autant plus vif qu’on ne dispose d’aucun témoignage.

Détenant toutes les possessions de ses frères, Iaropolk fait de Kiev la capitale de Russie et affirme la suprématie de son prince. Les chroniqueurs attestent de ses tentatives en vue d’établir des contacts avec le monde occidental : il envoie une ambassade chargée de riches présents à Othon Ier (973), reçoit le légat du pape Benoît VII à Kiev (977). Certains historiens de notre temps lui reprochent d’ailleurs ses « sympathies pro-occidentales ».

En 980, rapporte la Chronique du temps jadis, Vladimir revient « d’au-delà des mers » et regagne Novgorod, ramenant avec lui une droujina varègue. Il annonce à Kiev qu’il s’apprête à combattre le grand-prince et demande au prince Rogvolod de Polotsk la main de sa fille Rogned. Il essuie un refus, la princesse jugeant indigne d’épouser le bâtard d’une intendante, et part en campagne. La Chronique est laconique sur le film des événements : « Et Vladimir assiégea Polotsk, et il tua Rogvolod et ses deux fils, puis il prit sa fille pour femme. » Après Polotsk, Vladimir s’attaque à Kiev. La ville ne résiste pas, l’assaillant s’étant fait des alliés jusque dans l’entourage de Iaropolk, retranché à Rodnia. Vladimir entre dans Kiev en vainqueur ; à Rodnia, Iaropolk est tué.

Le règne du grand-prince Vladimir commence par le meurtre d’un frère, ce que son biographe, Vladimir Volkoff, apprécie comme suit : « Ce n’était peut-être pas très moral, mais c’était éminemment politique, et fait avec élégance et même une touche de cynisme1. » Quoi qu’il en soit, conclut l’écrivain, « rarement d’aussi grands résultats ont été atteints avec si peu de moyens2 ».

Ces « grands résultats » sont le trône de Kiev. Vladimir régnera trente-cinq ans. Son biographe songe sans doute au principal « résultat » de son règne, le baptême de la Russie, qui aura lieu à l’initiative et par la volonté du grand-prince.

Le règne de Vladimir s’ouvre sur des campagnes militaires. Le grand-prince se fait en cela le continuateur de la politique des Rurik, soucieux avant tout d’élargir les territoires sur lesquels il peut prélever le tribut. Mais le règne de Vladimir comptera bien des événements inédits. En 981, le grand-prince de Kiev affronte pour la première fois les Liakhs (les Polonais). G. Vernadski y voit même le « début de cette lutte contre l’Occident latin qui allait se poursuivre durant toute l’histoire russe ». On peut aussi considérer cet affrontement comme la première guerre russo-polonaise. La campagne de Vladimir au nord-ouest, vers la Vistule, est couronnée de succès : il s’empare des « villes tcherveniennes », futures Volhynie et Russie galicienne. Les adversaires du grand-prince de Kiev sont alors les tribus slaves de l’Est, unifiées durant la deuxième moitié du Xe siècle. En 965, le premier souverain historique de ce qui constituera le noyau de la Pologne, le prince Mieszko Ier (dynastie des Piast) se convertit au christianisme de rite latin. Le conflit oppose donc chrétiens (le Schisme de l’Église chrétienne n’aura lieu qu’en 1054) et païens, mais annonce déjà les guerres entre Polonais catholiques et Russes orthodoxes.

La campagne suivante (984) est une expédition punitive contre les Radimitchs, tribu slave établie entre la Soj et la Desna, deux affluents du Dniepr. En 985, augmentant l’amplitude de ses mouvements en direction du nord-ouest, Vladimir mène sa droujina contre les Bulgares installés sur les bords de la Kama, affluent de la Volga. Il triomphe de ses adversaires et conclut aussitôt un traité avec eux. La Chronique rapporte un entretien entre Dobrynia, oncle du prince, et Vladimir lui-même. Dobrynia conseille au prince de signer la paix avec les Bulgares et de les laisser tranquilles, car tous les prisonniers ramenés du combat portent des bottes. Pour Dobrynia, il est clair que ces gens-là ne sont pas faits pour payer le tribut. Mieux vaut chercher des ennemis en chaussons de tille, les fameux lapti. Il y a là tout un programme de politique étrangère : on ne touche pas aux voisins riches, donc puissants ; on s’intéresse, de préférence, aux pauvres et inoffensives tribus du Nord.

Vladimir, pourtant, ne suit pas le conseil avisé de son oncle. Assurant ses positions au nord, il atteint le Boug qui devient la frontière entre les possessions des Piast et la Russie kiévienne, et se tourne vers le sud. En 972, Sviatoslav avait dû passer, à Dorostol, un accord avec Byzance, aux termes duquel il s’engageait à ne jamais porter atteinte à la Bulgarie et aux colonies byzantines de Crimée. Mais les relations – commerciales et diplomatiques – entre l’empire et Kiev n’étaient pas rompues pour autant. En 986 (ou 987), l’empereur Basile II, qui guerroie en Europe contre les Bulgares, et en Asie contre les troupes soulevées de Bardas Phokas, demande l’aide de Vladimir. Le grand-prince de Kiev réclame alors en paiement la main d’Anne, sœur de l’empereur3. Constantinople accepte, ce qui en dit long sur la situation désespérée de l’empire, car Byzance se refusait catégoriquement à donner des princesses porphyrogénètes en mariage à des étrangers. Vladimir envoie six mille hommes, contribuant ainsi à la défaite de Phokas et de sa troupe, durant l’été 988. Mais l’empereur tarde à honorer sa promesse. Vladimir déclare alors la guerre à Byzance. Au printemps 989, il assiège Cherson, colonie grecque de Crimée. À l’été, la ville est prise. Vladimir, toutefois, la rend à Byzance, sur l’engagement de l’empereur que sa promesse sera tenue. Le grand-prince de Kiev se convertit au christianisme et épouse Anne.