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Ici, les sources historiques sont peu nombreuses et divergentes. Les historiens ne s’accordent ni sur le lieu du baptême de Vladimir – Cherson ou Kiev ? –, ni sur les raisons et les circonstances de cet acte. Un seul point ne fait pas de doute : Vladimir adopte la foi chrétienne. Et après lui, sur son ordre, le peuple, la population de la Russie kiévienne se convertit. La Chronique évoque les Kiéviens baptisés en masse dans les eaux du Dniepr. On sait que Novgorod résiste, ne voulant pas abandonner ses idoles. La relative facilité avec laquelle les habitants de Kiev se convertissent s’explique par le fait que la ville a commencé à se christianiser depuis près d’un siècle. Le chroniqueur allemand Thietmar, qui écrit dans le premier quart du XIe siècle, rapporte qu’en 1018, soit trois ans après la mort de Vladimir, Kiev compte déjà quatre cents églises4. On imagine mal qu’elles aient pu être construites au cours des vingt années suivant la conversion.

La deuxième moitié du Xe siècle est marquée par le triomphe du monothéisme sur le paganisme : les tribus slaves des bords de la Baltique, les Scandinaves, le prince polonais Mieszko Ier, Géza, roi de Hongrie, adoptent la foi chrétienne ; les Khazars optent pour le judaïsme et les Bulgares de la Volga pour l’islam. Dernier État païen d’Europe orientale, la Russie kiévienne finit par accorder la préférence au christianisme. Malgré les progrès accomplis par la christianisation dans les possessions des Rurik, Vladimir effectue un choix conscient et mûrement réfléchi. La Chronique du temps jadis rapporte la dispute théologique, le tournoi des religions organisé à la cour de Vladimir en 986. Des émissaires des différentes confessions – Bulgares musulmans, juifs khazars, envoyé du pape – y viennent vanter les mérites de leur religion. Le grand-prince de Kiev réfute leurs arguments. Il est toutefois séduit par la description du paradis mahométan car, dit le chroniqueur, « Vladimir… aimait les femmes et toute sorte de débauche ; aussi les écouta-t-il avec ravissement » ; en revanche, « il ne prisa guère » la circoncision, de même que l’interdiction de manger du porc et de boire. La Chronique a consigné cette observation du prince : « La joie des Russes est de boire, nous ne saurions nous en passer. » Il faudra attendre encore six siècles avant l’apparition de la vodka, mais l’hydromel satisfait pleinement ce joyeux besoin dont le grand-prince, dans sa sagesse, a compris qu’il était vital à son peuple.

Le christianisme venu de Rome est rejeté par Vladimir pour la simple raison que ses ancêtres, « nos pères », ne l’ont pas adopté. Les émissaires du judaïsme (leur venue montre que la Khazarie anéantie par Sviatoslav existe malgré tout et que le fils du vainqueur ne nourrit aucune réelle animosité à leur endroit) sont renvoyés, après avoir été contraints d’avouer qu’ils « n’ont pas de pays », que la colère de Dieu s’est déchaînée contre eux, les « dispersant de par le monde ».

Le prince accorde attention et sympathie au « philosophe grec » délégué par Byzance, mais il ne se satisfait pas de ses seuls arguments théologiques et envoie à Constantinople une ambassade qui, auparavant, observe les rites des musulmans et des catholiques. Les émissaires de Kiev rapportent que les musulmans prient « sans joie », que les « temples des Allemands sont dépourvus de beauté ». En revanche, dans les temples grecs, « la beauté et le spectacle » sont tels que les ambassadeurs ne savent plus s’ils sont « au ciel ou sur la terre ». Réunis en conseil, les boïars et les échevins de Kiev se prononcent en faveur de la foi grecque, d’autant plus volontiers que la grand-mère de Vladimir, Olga, « la plus sage qui fût jamais » s’y était déjà convertie. Néanmoins, à la question du prince : « Eh bien, où allons-nous nous faire baptiser ? », ils répondent : « Là où il te plaira. » Vladimir choisit finalement le christianisme de rite byzantin, orthodoxe. C’est un choix spirituel, esthétique et, inévitablement, politique.

Le prince polonais Mieszko Ier renonce au paganisme pour se convertir au christianisme latin en 965. La future Pologne, il est vrai, n’a guère le choix : Othon Ier, roi de Germanie sacré empereur à Rome en 962, exerce une pression sans faille sur les tribus slaves, les contraignant à se faire baptiser. Le Drang nach Osten est en passe de devenir un facteur politique capital. Mieszko Ier sait qu’il lui faudra accepter le christianisme de gré ou de force. Le baptême, en outre, est une forme de dépendance politique à l’égard de la couronne impériale. Le fils de Mieszko, Boleslas le Brave, futur adversaire de Vladimir et premier roi de Pologne, reçoit sa couronne de Rome. Le grand-prince de Kiev, lui, tente par les armes d’obtenir que soit tenue la promesse donnée : la main de la princesse Anne. C’est ensuite seulement qu’il se fait baptiser.

Vladimir a d’autant plus conscience d’être confronté à un choix que, ancien prince de Novgorod, il est familier du modèle hanséatique. Même si les informations manquent sur ses voyages, il est clair qu’il a découvert l’Europe durant ses années d’errance. Il n’est pas exclu que, plus que par la beauté des cérémonies orthodoxes, il ait été séduit par le système étatique byzantin.

En se convertissant en 988 et en s’apparentant, par la même occasion, à l’empereur de Byzance, le grand-prince Vladimir prétend aussi élever le rang de la Russie kiévienne. Il a à cela des raisons objectives. La Chronique note que, devenu chrétien, Vladimir s’aperçoit soudain qu’il existe peu de villes autour de Kiev et qu’il le déplore. Il entreprend aussitôt d’en bâtir, notamment sur les bords de la Desna, du Troubej, de la Soula, les peuplant de guerriers, « les meilleurs des hommes » selon la Chronique, qu’il recrute parmi les différentes tribus, slaves et finnoises, établies dans la plaine russe. Par la suite, ces cités fortifiées, réunies entre elles par des remblais de terre et une palissade de troncs d’arbres, formeront un « rempart » contre les nomades de la steppe. Le territoire de la Russie, au temps de Vladimir, s’étend, du nord au sud, depuis le lac Ladoga jusqu’aux affluents du Dniepr et, d’est en ouest, depuis l’embouchure de la Kliazma jusqu’en amont du Boug occidental. Seul reste en litige – opposant militairement Russes et Polonais – le territoire des ancêtres des Croates, qui prendra plus tard le nom de Galicie. La Russie possède l’antique colonie de Tmoutarakan, coupée géographiquement de Kiev, le contact étant maintenu par voie fluviale, grâce aux affluents de la rive gauche du Dniepr et aux fleuves se jetant dans la mer d’Azov.

L’État accède à une cohésion territoriale, inconnue du temps de Sviatoslav qui rêvait de conquêtes lointaines et dédaignait Kiev. L’historien polonais G. Lowmianski a tenté de calculer la densité de la population au Xe siècle. Partant du principe qu’une famille de six personnes, pratiquant l’assolement biennal avait besoin, pour se nourrir, de vingt-deux hectares de terre, il est parvenu, dans le cas de la Russie kiévienne, à une densité de trois personnes par kilomètre carré, soit une population globale de 4 500 000 âmes. En conséquence, selon les mêmes calculs, la Pologne comptait 1 225 000 habitants, la Bohême et la Moravie 450 000, l’Allemagne 3 500 0005.