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L’histoire de la ville et de ses institutions politiques atteste d’un modèle alternatif de développement sur la Terre russe. La république « féodale », vivant du négoce et de son action colonisatrice, rappelle par bien des aspects les villes italiennes des XIe-XIVe siècles. Soucieuse de préserver ses voies commerciales, d’élargir ses possessions et de défendre ses frontières, la principauté, dans son organisation politique, évoque aussi Byzance. Assemblée populaire du viétché ou pouvoir autocratique du prince ? Modèle novgorodien ou kiévien ? Tel est le choix offert par l’histoire russe. Énumérant les mérites du tsar Pierre le Grand, Pouchkine insiste sur la fenêtre qu’il a percée sur l’Europe. La voie novgorodienne de développement eût permis, elle, d’ouvrir une porte.

Mais en se déplaçant vers le nord-est, les princes de Kiev conservent pieusement « l’idée du Monomaque » : celle d’un pouvoir autocratique unique. Le heurt entre les princes de Vladimir-et-Souzdal et la république de Novgorod est donc inévitable. La situation de Novgorod ne lui est pas favorable : emprisonnée dans le demi-cercle des domaines du grand-prince, la ville peut, certes, résister aux expéditions des droujinas de Vladimir-et-Souzdal, mais elle n’est pas en mesure de s’approvisionner. Un blocus économique – les convois de blé sont bloqués – contraint la cité à des concessions. Ses victoires militaires – en 1216, les Novgorodiens infligent une défaite cuisante à l’armée souzdalienne, sur les bords de la Lipitsa – n’y changent rien : la pression se renforce sur la république. La soumission de Novgorod est un épisode capital de la politique impériale du grand-prince de Vladimir. Mais l’apparition des Mongols repousse temporairement l’absorption des terres novgorodiennes.

La mort de Vsevolod la Grande-Nichée, en 1212, déclenche la traditionnelle explosion de guerres fratricides, d’autant plus incontournable que Vsevolod a de nombreux fils. Le grand-prince l’a d’ailleurs favorisée, en rompant, peu avant de mourir, avec son aîné Constantin, le privant de son droit d’aînesse au profit de son cadet, Iouri. Ces conflits contribuent à morceler un peu plus le territoire et les possessions. Au début du XIIIe siècle, la grande-principauté de Vladimir comprend quatre oudiels. Au milieu du siècle, il y en aura trois de plus, dont la principauté de Moscou. D’autres principautés se fractionnent également, telles Riazan, Iaroslavl, Rostov.

Les princes scellent des alliances, toujours éphémères, ils guerroient contre leurs voisins, poursuivent leurs petits intérêts personnels. Cependant, un nouvel ennemi fait son apparition sur les frontières de l’ouest. Au milieu du XIIe siècle, des marchands et missionnaires allemands déploient une activité croissante à l’embouchure de la Dvina occidentale. Ils parviennent difficilement à convertir les populations païennes locales (Lives, Lettons). En 1200, l’évêque Albert de Buxhövden fonde Riga, à l’embouchure de la Dvina. Deux ans plus tard, il crée l’Ordre des chevaliers Porte-Glaive, vêtus d’une cape blanche à croix rouge, le glaive à l’épaule. Ne reculant devant aucune atrocité, ils convertissent les populations locales au christianisme, étendant bientôt leurs possessions à l’est de Riga. En 1207, le territoire conquis – la Livonie – est vassalisé par l’Ordre, cadeau de l’empereur germanique.

Au sud-est des possessions des Porte-Glaive, apparaît un autre ordre, celui des Chevaliers teutoniques. Fondé pour reconquérir la Terre sainte au XIIe siècle, il est contraint de regagner l’Europe, après l’échec de la troisième croisade et la prise de Jérusalem par Saladin, en 1187. Les Chevaliers teutoniques portent une cape noire, ornée d’une croix blanche. En 1226, le prince polonais Conrad de Mazovie, qui éprouve quelques difficultés à convertir la tribu slave des Prusses, appelle à la rescousse l’ordre teutonique. Les croisés répondent volontiers à son invite, et reçoivent une bulle du pape Grégoire IX, leur assurant le soutien du Vatican. L’ordre étend bientôt son pouvoir sur la terre des Prusses et, en 1237, oblige les Porte-Glaive à fusionner avec lui. Le Drang nach Osten prend des formes de plus en plus agressives. On voit assez vite se dessiner les contours de l’État régi par l’ordre, englobant la Poméranie, la Prusse, la Courlande, la Livonie, l’Estonie. Un danger sérieux menace Novgorod et ses possessions. L’offensive des Chevaliers est toutefois stoppée, en 1240-1242, par Alexandre Nevski qui les défait à deux reprises.

Les historiens, principalement soviétiques et eurasiens, perçoivent dans l’action des croisés (français et vénitiens) qui prennent et saccagent Constantinople en 1204, et dans le Drang nach Osten des Chevaliers teutoniques et Porte-Glaive, une croisade contre l’orthodoxie. S’il est difficile de parler d’actions concertées en Palestine et en Europe du Nord et de l’Est, on peut en revanche déceler les traits d’une politique commune, conjuguant les intérêts de la papauté et de l’empire. Après les victoires remportées par les Novgorodiens dans la colonisation des terres finnoises, Grégoire IX appelle les chevaliers allemands et suédois à marcher sus aux Finnois convertis à l’orthodoxie, leur promettant en échange la rémission de leurs péchés et les faveurs obtenues par les chevaliers francs, qui avaient combattu pour reprendre le tombeau du Christ aux Arabes.

L’impression d’« encerclement » éprouvée par les historiens d’aujourd’hui, est un sentiment plus tardif, qui ne peut naître que d’une vision globale du passé, à distance. Absorbés par leurs affaires et leurs conflits locaux, les acteurs de l’époque la perçoivent d’autant moins, sans doute, que, depuis le milieu du XIIe siècle et l’effondrement de la Russie kiévienne, ils perdent la notion de l’unité de la Terre russe. Ils ignorent, en outre, que l’apparition, en 1223 – alors que les croisés prennent de plus en plus d’importance –, de l’armée mongole dans les steppes du Don, signifie la venue d’un nouvel ennemi. Un ennemi qu’il faudra combattre des siècles durant et qui aura un rôle décisif dans l’histoire de la Russie.

CHAPITRE DEUXIÈME

Le joug mongol

L’espace occupé par l’Empire mongol coïncide avec celui de l’Eurasie.

Gueorgui VERNADSKI.

1 L’invasion

La même année, apparurent des peuples dont nul ne savait au juste qui ils étaient ni d’où ils venaient, quelle langue ils parlaient, de quelle tribu ils étaient ni de quelle confession.

Chronique laurentienne.

En l’an 1223, des peuples inconnus, surgis « de nulle part », font leur apparition dans les steppes russes du sud. Sur les bords de la rivière Kalka, qui se jette dans la mer d’Azov, les troupes russes livrent bataille à un mystérieux adversaire et sont décimées. Les princes russes coalisés – princes de Kiev, Galitch, Tchernigov, Smolensk – représentent une armée de quatre-vingt mille hommes. Ils se portent au secours des Polovtsiens, incapables de résister à ces cavaliers qui déferlent soudain sur leur territoire.