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L’empire soviétique s’effondre encore plus facilement que l’Empire russe, parce que son chef a décidé de remédier à quelques défauts mineurs du système communiste, tout en le préservant. Comme en 1917, les ambitions personnelles, les conflits entre individus jouent, en 1991, un rôle fatal. Comme en 1917, il semble absolument indispensable, en 1991, de se défaire, non plus du tsar, mais du président en place. Comme Nicolas II, Mikhaïl Gorbatchev a atteint le fond de l’impopularité. L’atmosphère dans laquelle se déroule la chute de l’empire soviétique aide à mieux comprendre les sentiments qui l’emportent aux jours où tombe la maison Romanov.

Pour se débarrasser du président Gorbatchev, ses adversaires liquident l’URSS. Il n’est sans doute pas d’autre cas dans l’histoire, où une nation impériale sorte de l’Empire, avec, en l’oocurrence, l’accord des deux Républiques-sœurs slaves. La « première parmi les égales » part avec la seconde et la troisième, les autres restent seules.

Étant la plus grande et la plus puissante, la Russie se décrète l’héritière de l’Union soviétique. Toutefois, la Russie, ou la « Fédération de Russie », ainsi que se nomme ce nouvel État, ne veut pas se qualifier de « Seconde République » de l’histoire russe. Les huit mois d’existence de la République de Russie créée en 1917 – un laps de temps bien trop court pour instaurer un État démocratique – sont vécus comme un échec, voire la préparation consciente et volontaire de la prise du pouvoir par Lénine. Les arguments en faveur de cette affirmation sont toutefois peu nombreux. Il est clair que le Gouvernement provisoire péchait surtout par excès de faiblesse et d’indécision. La Russie nouvelle ne veut pas de cet héritage.

Mais que veut la Russie nouvelle ? Ses frontières, à l’exception de la Sibérie conquise plus tardivement, rappellent celles de l’État moscovite au XVIe siècle. À l’ouest, la frontière passe non loin de Smolensk. Les rives de la Baltique et de la mer Noire ont été perdues – hormis, dans les deux cas, une minuscule bande –, la Crimée aussi, pour laquelle la Russie s’était battue durant plus de deux siècles. D’un autre côté, les lignes de chemin de fer, le réseau des gazoducs et des oléoducs, les liens économiques reliant des régions lointaines ont été préservés, comme autant de vaisseaux sanguins d’un même organisme. L’héritage de l’empire reste bien vivant, alors même que ses formes politiques ont été anéanties.

L’avenir devrait fournir des réponses à plusieurs questions essentielles : la Russie instaurera-t-elle le capitalisme et quel rôle y jouera l’État ? En d’autres termes, quel degré de démocratie le pays atteindra-t-il ? Autre question majeure : la Russie peut-elle exister dans ses frontières actuelles ou devra-t-elle immanquablement, pour des motifs géopolitiques et psychologiques, les élargir ? L’histoire connaît de nombreux exemples d’empires déchus. Elle a vu aussi renaître des puissances. Qui eût pu prévoir, en 1945, que l’Allemagne et le Japon deviendraient des grandes puissances ? De la même façon, il y a tout lieu de penser qu’au XXIe siècle, la Turquie, héritière de l’Empire ottoman, jouera un rôle considérable.

Au seuil du XXIe siècle, la Russie se cherche une visée nationale. Par deux fois, au cours du XXe siècle, elle aura perdu son empire. Quelles leçons tirera-t-elle du passé ? Quelle réponse donnera-t-elle au défi de l’Histoire ?

Paris, mars 1992-novembre 1995.

Notes

Introduction

1. Bibliographie complémentaire :

Jane BURBANK (dir.), Russian Empire: Space, People, Power, 1700-1930, Bloomington, Indiana University Press, 2007.

Jane BURBANK et Frederick COOPER, Empires, De la Chine ancienne à nos jours, Paris, Payot, 2011 (pour la version française).

Dominic LIEVEN, The Russian Empire and its rivals, Yale University Press, 2002.

Martin MALIA, L’Occident et l’énigme russe, du cavalier de bronze au mausolée de Lénine, Paris, Seuil, 2003 (pour la version française).

Georges NIVAT (dir.), Les sites de la mémoire russe, tome 1 : Géographie de la mémoire russe, Paris, Fayard, 2007.

Vadim PARSAMOV, Istorija Rossii XVIII – nachala XX veka (Histoire de la Russie du XVIIIe siècle au début du XXe siècle), Moscou, Akademiia, 2007.

Richard PIPES, Histoire de la Russie des tsars, Paris, Perrin, 2013, traduction française revue.

Marie-Pierre REY, Le dilemme russe, la Russie et l’Europe occidentale d’Ivan le Terrible à Boris Eltsine, Paris, Flammarion, 2002.

Nikolaj TROICKIJ, Rossija v XIX veke (La Russie au XIXe siècle), Moscou, Vysshaja Shkola, 1997 et 2003.

Richard WORTMAN, Scenarios of Power: Myth and Ceremony in Russian Monarchy from Peter the Great to the Abdication of Nicholas II, Princeton University Press, 2006, version remaniée et publiée en un seul volume.

Première partie

Avant-propos

1. Ancien nom de la Russie.

2. B. Grekov, « Kievskaja Rus’ i problema proisxoždenija russkogo feodalizma u M.N. Pokrovskogo », in Protiv istoričeskoj koncepcii M.N. Pokrovskogo, 1, 1939, p. 90.

3. B. Grekov, « Pervyj trud po istorii Rossii », Istoričeskij žurnal, 1943, pp. 65-67.

4. Vladimir Dal’, Tolkovyj slovar’, deuxième édition, 1880-1882, tome 2, p. 42.

5. N. Kostomarov, « Ličnost’ carja Ivana Groznogo », in Sobranie sočinenij, tome 5, p. 413.

6. E. Tarle, Geroičeskoe prošloe russkogo naroda, Moscou, 1946, p. 133.

Chapitre premier

L’EMPIRE DES RURIK

1. L’Eurasie

1. Georgij Florovskij, « Evrazijskij soblazn », Sovremennye zapiski, N° 34, Paris, 1928, p. 346.

2. Karl Radek, Pjat’ let Kominterna v 2 tomax, Moscou, 1924, tome 2, p. 228.

3. G.V. Vernadskij, Načertanie russkoj istorii, Ire partie, Prague, 1927, p. 13.

2. Le temps et le lieu

1. Dimitrij Lixačev, Pamjatniki literatury Drevnej Rusi. XI – načalo XII vv., Moscou, 1978.

2. Omeljan Pritsak, The Origin of Rus’. An Inaugural Lecture, 24 octobre 1975, Harvard Ukrainian Research Institute, Harvard University.

3. Les voisins : les Khazars, Byzance et les autres

1. Cité d’après Henryk Paszkiewicz, The Origin of Russia, Londres, 1954, p. 6.

2. V. Ključevskij, op. cit., p. 147.

3. J.V. Got’e, « Xazarskaja kul’tura », Novyj vostok, no 8-9, Moscou, 1922, pp. 290-292.

4. L.N. Gumilev, Drevnjaja Rus’ i Velikaja step’, Moscou, 1989, p. 24.

5. Ibid., p. 41.

6. L.N. Gumilev, op. cit., pp. 127-128.

7. Istorija Vizantii v trex tomax, Moscou, 1967, tome 2, p. 227.

8. Omeljan Pritsak, op. cit., p. 18.

9. Istorija Vizantii, op. cit., tome 2, p. 227.

4. Les premiers pas

1. N.K. Gudzij, Istorija drevnej russkoj literatury. Učebnik dlja vysšix učebnyx zavedenij, Moscou, 1938, p. 125.