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Le khan Toqtaï se prononce en faveur de Michel, qui se voit doté d’une armée tatare, afin de châtier Novgorod l’indocile. L’échec ne décourage pas Iouri. Il élargit les limites de la principauté de Moscou : une incursion en terre de Smolensk lui permet de prendre Mojaïsk et d’arracher Kolomna au prince de Riazan. En 1313, Toqtaï meurt. Son neveu, Özbeg, lui succède. Son règne – il meurt en 1341 – est l’une des périodes les plus brillantes de l’histoire de la Horde d’Or. C’est alors que l’islam devient la principale religion des Tataro-Mongols, mais les autres religions, en particulier chrétiennes (cela vaut tant pour l’orthodoxie que pour le catholicisme) continuent d’être considérées avec bienveillance. Michel de Tver va trouver Özbeg pour se faire confirmer le iarlyk de grand-prince. Pendant ce temps, Iouri, prince de Moscou, occupe sans iarlyk le trône de Novgorod. Convoqué à Saraï, il réussit non seulement à se disculper, mais gagne la sympathie du khan. L’une des conséquences du séjour de deux ans effectué par Iouri au sein de la Horde, sera son mariage avec la sœur d’Özbeg. Le khan, lui, a épousé une fille de l’empereur de Byzance. Le prince de Moscou appartient donc à la plus haute société de son temps. À titre de dot, Iouri reçoit un détachement tatar qu’il mène aussitôt contre Tver. À quarante verstes de la ville, le 22 décembre 1317, le prince Michel met en déroute l’armée russo-mongole et fait prisonniers le chef de guerre du khan et l’épouse de Iouri, Kontchaka, baptisée Agafia dans la religion orthodoxe. L’épouse du prince de Moscou, sœur du khan Özbeg, meurt en captivité. Les chroniqueurs supposent qu’elle fut empoisonnée.

Iouri, parvenu à se sauver après la défaite, et son vainqueur Michel sont convoqués par la Horde. Accusé du meurtre de la sœur du khan, d’insubordination et de tentative de fuite chez les Allemands, avec le trésor, le grand-prince Michel est exécuté, le 22 novembre 1319. Iouri reçoit le iarlyk de grand-prince. C’est la première fois qu’un prince de Moscou est élevé à cette dignité. La principauté la plus insignifiante des oudiels du nord-est de la Rus, au début du XIVe siècle, devient soudain l’un de ses centres. La position du grand-prince de Moscou n’est certes pas encore très stable. Tver n’a pas l’intention de lui céder ce qu’elle considère comme lui revenant de droit : le titre de grand-prince. En 1322, Iouri, accusé par Dmitri, prince de Tver, d’avoir détourné une partie du tribut dû aux Tatars, est à nouveau convoqué à Saraï. Convoqué également, Dmitri dont les yeux, selon la chronique, « sèment l’effroi », tue Iouri de ses propres mains, vengeant ainsi son père. Puis il est à son tour exécuté par le khan. Le titre de grand-prince est décerné au plus jeune fils de Michel, Alexandre, que les Novgorodiens ont reconnu pour prince.

Selon les usages du temps, Alexandre, grand-prince de Vladimir, vit dans sa votchina de Tver. Le 15 août 1327, les habitants sonnent le tocsin et mettent en pièces un petit détachement tatar stationné dans la ville. Les chroniqueurs rapportent diversement les détails de cet incident. On prétend que le détachement était commandé par un cousin d’Özbeg (nommé tantôt Tchol Khan, tantôt Chevkal ou Chtchelkan) qui montrait une insupportable morgue ; on dit aussi que le signal de la révolte fut le moment où les Tatars prétendirent enlever au diacre Dioudka, une jeune et grasse cavale. Quoi qu’il en soit, les Tatars de Tchol Khan sont massacrés. On sait, par ailleurs, que le prince tenta de refréner la fureur des habitants de Tver.

Le prince Ivan Kalita de Moscou, frère puîné de Iouri et quatrième fils de Daniel, se rend en hâte à Saraï. L’historien I. Zabeline écrit : « Un orage terrible gagnait toute la Rus ; le khan envoyait contre elle cinquante mille hommes. Craignant pour lui-même et pour toute sa terre, Ivan de Moscou… résolut de détourner le coup inévitable sur la seule principauté de Tver1. » Vernadski décode cette parabole : « Özbeg confia au prince de Moscou Ivan Danilovitch le soin de châtier Alexandre Mikhaïlovitch et la population de Tver. Kalita (“l’Escarcelle”) se vit confier à cet effet une importante armée mongole et “conquit” Tver. Le prince Alexandre se réfugia à Pskov. Ivan reçut le iarlyk de grand-prince2. »

Sous le commandement du prince de Moscou, l’armée mongole saccage effroyablement la terre de Tver, détruisant la capitale de la principauté et réduisant la population en esclavage. Ceux qui parviennent à s’enfuir dans les forêts, y mourront de froid, l’expédition punitive ayant lieu durant l’hiver 1328. Ivan donne la chasse à Alexandre, afin de le remettre à la justice du khan. Pskov refuse de le livrer. Le métropolite Théognoste lance sa malédiction sur les habitants de Pskov et les excommunie, pour avoir accordé l’asile à un criminel ayant enfreint la loi du khan. Alexandre quitte alors Pskov pour la Lituanie.

Le règne d’Ivan marque un tournant important dans l’histoire de la Rus. Le titre de grand-prince est définitivement acquis à Moscou, et garanti par le remarquable essor matériel et spirituel de la principauté. Dès sa jeunesse, Ivan a été doté du surnom de « Kalita » (l’Escarcelle), en raison de la petite bourse qu’il porte en permanence à la ceinture. Pour certains historiens, le prince, connu pour sa charité, avait toujours sur lui un petit sac empli de piècettes de cuivre à l’intention des miséreux. D’autres estiment que ce surnom traduisait un de ses traits de caractère essentiels : le souci de l’épargne, qui se transformerait finalement en avarice. Cette qualité n’apparaît pas seulement dans le prudent usage qu’il fait de l’argent et du trésor princier, mais aussi dans sa recherche inlassable de terres nouvelles à ajouter au territoire de la principauté. Ivan Kalita achète trois villes (Ouglitch, Bieloozero, Galitch), ainsi que des villages aux environs de Novgorod, Vladimir et Rostov. Il transfère la capitale du grand-prince à Moscou, où s’installe le métropolite Pierre qui prophétise, avant de mourir : si Ivan fait bâtir une église en l’honneur de l’Assomption de la Vierge, Moscou rassemblera autour d’elle toutes les terres russes. Le 4 août 1326, Ivan Kalita ordonne d’ériger la cathédrale de l’Assomption, première église en pierre de Moscou. Après la mort du métropolite Pierre, son successeur confirme la présence du siège métropolitain à Moscou, qu’il transforme en capitale religieuse de la Terre russe.

La politique d’étroite collaboration avec la Horde donne des résultats que le chroniqueur évoque avec un plaisir très compréhensible : « Les maudits cessèrent de conquérir la Terre russe, ils cessèrent de massacrer les chrétiens ; les chrétiens purent se reposer de leur grande fatigue et de l’écrasant fardeau de toutes les violences commises par les Tatars. Dès lors, la paix s’installa sur toute la terre. » Remplissant scrupuleusement ses fonctions de collecteur du tribut pour le khan, sans oublier de remplir son escarcelle, Ivan Kalita fait régner la « paix » dans la principauté de Moscou. On commence à affluer de toutes parts vers ce coin de la Russie du Nord-Est où l’on se sent d’autant plus en sécurité que, comme en atteste un document du XVe siècle, Ivan « débarrassa la Terre russe des brigands », et assura la tranquillité des routes et des cités.

Ivan Kalita vide définitivement la querelle entre Moscou et Tver. Après une dizaine d’années passées en Lituanie, le prince Alexandre de Tver va trouver le khan Özbeg à la Horde, pour implorer son pardon et obtenir l’autorisation de rentrer chez lui. Le khan lui rend sa ville de Tver. Le prince de Moscou gagne alors la Horde en compagnie de ses deux fils et, promettant au khan que ses héritiers et lui le serviront fidèlement, noircit autant que possible son adversaire. Özbeg convoque Alexandre de Tver à Saraï et, le 29 novembre 1339, le fait exécuter, ainsi que son fils Fiodor. La querelle entre Moscou et Tver est réglée.