Une crevasse apparut à quelque distance. « C’est la fin », se dit Evguéni qui commença à se débattre tel un nageur en difficulté.
L’orifice qui menait sous terre rappelait une fouille abandonnée. Les mêmes branches-lianes omniprésentes pendaient aux parois du puits. Dès que la tête du captif disparut elles rabattirent sur l’orifice une trappe faite de gazon.
Dans l’obscurité les lianes émettaient une faible lueur. Un souffle froid parvenait de quelque part en dessous. Pendant une éternité l’ingénieur fut trimbalé par un passage latéral plongé dans la pénombre. Enfin les branches poussèrent l’homme, totalement épuisé à force de s’être débattu, dans un étrange local ovale. Des appareils de différents gabarits étaient faiblement éclairés par la lumière que diffusaient les parois plastifiées inclinées.
« On dirait la cabine d’un astronef étranger… » Il n’eut pas le temps de réfléchir. Des tentacules le poussèrent impitoyablement vers le centre du local où se dressait une construction insolite. Evguéni se rua vers la sortie, mais il se prit les jambes dans les lianes et chuta.
Les lianes le soulevaient patiemment et le poussaient vers la construction qui avait l’apparence d’une armoire. Décidé à vendre chèrement sa vie — il ne doutait pas d’avoir été capturé par des créatures mystérieuses—, l’ingénieur, dans un dernier acte de désespoir, planta ses dents dans une liane qui oscillait lentement devant son visage tel un cobra en passe d’attaquer. La liane tressaillit et s’échappa. Evguéni conserva dans la bouche un goût de caoutchouc chaud. A cet instant une autre liane saisit précautionneusement, presque tendrement, l’ingénieur par le torse et le souleva du plancher. Les parois et le plafond fusionnèrent et tournoyèrent…
C’est le froid qui faisait le plus souffrir Zabara. Durant le combat ardent il n’avait pas remarqué le froid. Qui plus est, le dispositif chauffant de sa combinaison s’était branché. Mais au fil des heures le froid avait pénétré le corps de l’ingénieur jusqu’aux os. Zabara mit en veilleuse le dispositif chauffant, ignorant combien durerait sa captivité : il fallait économiser les piles. L’intérieur de la construction dans laquelle les lianes avaient poussé Evguéni était plongé dans l’obscurité et exigu, mais celui-là était relativement libre dans ses mouvements.
Zabara n’avait qu’une seule idée en tête : recouvrer la liberté par tous les moyens. Mais son intuition lui disait de ne pas se presser. Les écrans des oscillographes cathodiques, les spectroscopes, les polarisateurs et autres appareils qu’il avait eu le temps d’apercevoir dans la faible lumière diffusée par les parois du local ovale avant que les lianes le poussent ici cadraient mal avec l’hypothèse quant à la présence de mystérieux étrangers venus de l’espace.
D’abord se maîtriser. Ne pas verser dans l’abattement. Qu’il soit prisonnier d’un gigantesque mécanisme, c’est l’évidence même. Certes, la machine s’est montrée assez peu affable à son égard. Mais il serait ridicule d’en vouloir au torrent parce qu’il vous emporte vers le tourbillon. Ce qu’il faut, c’est deviner le caractère du courant et regagner la rive en marchant sur les pierres glissantes. Cependant, à la différence du torrent, un mécanisme cybernétique (si mécanisme il y a) conserve l’empreinte de la volonté du constructeur et du programmeur…
Zabara doit y voir clair dans tout cela. Mais de nouveau il est pris de vertige. A peine visibles dans l’obscurité, les tuyaux hérissés tous azimuts ressemblent aux tentacules d’un mystérieux carnivore dont le nom est absent du lexique terrien. Satané froid !
Il fige le cerveau, rend la respiration difficile. Des cerceaux de feu se mirent à danser devant ses yeux.
La lampe rouge du signal « situation exceptionnelle » s’alluma sur le pupitre massif du kiosque de commandement.
— L’homme a perdu connaissance, annonça la voix.
— Apportez immédiatement le biostimulateur, tonna la basse.
— Compris.
— Ensuite… branchez d’emblée le cerveau, poursuivit la basse qui faiblissait peu à peu. Il ne faut pas tarder. Je ne suis plus en mesure de diriger le complexe. D’une minute à l’autre… La basse se tut, sans avoir terminé la phrase.
Zabara ouvrit lentement les yeux, mais sans y voir goutte. Il avait des nausées. Sa tête lui tournait, comme en altitude. Deux ans auparavant, au sommet du pic sélénite Tsiolkovski, Evguéni avait éprouvé une sensation identique.
Brusquement les muscles de l’ingénieur se tendirent. Il eut l’impression de tomber d’une grande hauteur. Mais peut-être descendait-il à la vitesse d’un ascenseur ? Autrement comment expliquer ces choses rondes pareilles à des hublots et venues d’on ne sait où ? Elles laissent apparaître des silhouettes et des robots, émettent des signaux saccadés…
La chute angoissée cessa.
Derrière les hublots toutes sortes de mécanismes sophistiqués se succédaient devant Zabara immobile. Où avait-il vu chose pareille ? Dans les impressionnantes carrières de minéraux martiennes ? Dans les mines lunaires ? Ou, peut-être, à bord du fameux satellite de montage S-1 5, pendant son stage de fin d’études ?
Un mécanisme oblong glissa derrière un hublot, l’obstruant presque entièrement. Il semblait être dépourvu d’extrémité. Il comportait des articulations scintillantes, des antennes mouvantes, des transmissions chenillées qui fonctionnaient impeccablement et sans bruit. Zabara s’attendait à voir arriver l’autre bout du monstre chenillé, mais des sections sans cesse nouvelles défilaient derrière le disque clair du hublot. De temps à autre il remarquait des lettres à moitié effacées inscrites sur les sections… U… R… A… Uranium ? Il ne restait presque plus rien des derniers caractères. L’ingénieur fit un effort visuel. « Uranus » ! Le projet Uranus. Encore à l’institut il avait entendu parler de ce grandiose dessein. Un astronef automatisé devait acheminer un cerveau électronique et des matériaux sur une nouvelle planète à mettre en valeur. Bien sûr, le cerveau électronique ne pouvait pas se déplacer, mais il avait été doté d’un détachement de robots commandés par des signaux radio.
Ils s’éparpillent sur la planète mystérieuse. Ce sont les bras prolongés du Grand Cerveau. Les robots communiquent de manière ininterrompue à celui-là des informations sur ce qui a déjà été réalisé et sur ce qu’ils font au moment présent. Le Cerveau les emmagasine, les analyse et envoie des ordres appropriés.
Les robots planent dans l’atmosphère, sillonnent les marais et la jungle, creusent le sol, prélèvent des carottes à diverses profondeurs, envoyant à leur maître électronique une foule de données sur la pression, l’humidité, la composition chimique de l’atmosphère, sur les courants aériens, sur l’analyse radiographique des minéraux qui constituent les rochers…
Le Grand Cerveau décidera peut-être qu’il est possible de viabiliser la planète. Alors, après avoir consulté les données emmagasinées, il élaborera un programme général d’action, un programme qu’il n’aurait bien sûr pas été possible d’ébaucher au préalable sur Terre. Les robots, après avoir élaboré les leurs, se répandent partout sur la planète. Ils abattent des forêts, labourent les plaines, construisent des habitations, aménagent des cosmodromes pour les astronefs. Cette colossale entreprise de transformation de la planète réclamera peut-être des années, des décennies, voire des siècles. Mais ses fruits compenseront amplement toutes les dépenses engagées, c’est évident.