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Au bout d’une heure, la personne avec laquelle il se croit, lui dit:

– Eh quoi, baron, tu ne me reconnais pas, oublies-tu donc le vœu de ta jeunesse, oublies-tu la façon dont je l’ai accompli?

Le baron frémit.

– Ne crains rien, lui dit l’esprit avec lequel il s’entretient, je ne suis pas maître de ta vie, mais je le sais de te retirer et mes dons, et tout ce qui t’est cher; retourne en ta maison, tu verras en quel état elle est, tu y verras la juste punition de ton imprudence et de tes crimes… Je les aime, les crimes, baron, je les désire, et mon sort me contraint à les punir; retourne chez toi, te dis-je, et convertis-toi, tu as encore un lustre à vivre, tu mourras dans cinq ans, mais sans que l’espoir d’être un jour à Dieu te soit ravi, si tu changes de conduite… Adieu.

Et le baron alors se trouvant seul sans avoir vu personne se séparer de lui, retourne promptement sur ses pas, il demande à tous les paysans qu’il rencontre, si on ne l’a pas vu entrer sous le berceau avec un homme de telle et telle façon; chacun lui répond qu’il y est entré seul, qu’effrayé de le voir gesticuler ainsi, on a même été avertir madame, mais qu’il n’y a personne au château.

– Personne, s’écrie le baron tout ému, j’y ai laissé six domestiques, sept enfants et ma femme.

– Il n’y a personne, monsieur, lui répond-on.

Effrayé de plus en plus il vole à sa maison, il frappe, on ne répond pas, il enfonce une porte, il pénètre, du sang inondant les degrés lui annonce le malheur qui va l’anéantir, il ouvre une grande salle, il y voit sa femme, ses sept enfants et ses six domestiques, tous égorgés et jonchés à terre dans des attitudes différentes, au milieu des flots de leur sang. Il s’évanouit, quelques paysans dont les dépositions existent entrent et voient le même spectacle; ils secourent leur maître, qui revient peu à peu à lui, qui les prie de rendre à cette malheureuse famille les derniers devoirs, et qui de ce même pas gagne à pied la Grande Chartreuse, où il est mort au bout de cinq ans dans les exercices de la plus haute piété.

Nous nous interdisons toute réflexion sur ce fait incompréhensible; il existe, il ne peut se révoquer, mais il est inexplicable. Il faut éviter de croire aux chimères sans doute, mais quand une chose est universellement attestée, et qu’elle est du genre de singularité de celle-ci, il faut baisser la tête, fermer les yeux, et dire: Je ne comprends pas comment les mondes flottent dans l’espace, il peut donc y avoir aussi des choses sur la terre que je n’entende pas.

LA FLEUR DE CHÂTAIGNIER

On prétend, je ne l’assurerais pas, mais quelques savants nous persuadent que la fleur de châtaignier a positivement la même odeur que cette semence prolifique qu’il plut à la nature de placer dans les reins de l’homme pour la reproduction de ses semblables.

Une jeune demoiselle d’environ quinze ans, qui n’était jamais sortie de la maison paternelle, se promenait un jour avec sa mère et un abbé coquet dans une allée de châtaigniers dont l’exhalaison de fleurs parfumait l’air dans le sens suspect que nous venons de prendre la liberté d’énoncer.

– Oh mon Dieu, maman, la singulière odeur, dit la jeune personne à sa mère, ne s’apercevant pas d’où elle venait… mais sentez-vous, maman… c’est une odeur que je connais.

– Taisez-vous donc, mademoiselle, ne dites pas de ces choses-là, je vous en prie.

– Eh pourquoi donc, maman, je ne vois pas qu’il y ait de mal à vous dire que cette odeur ne m’est point étrangère, et très assurément elle ne me l’est pas.

– Mais, mademoiselle…

– Mais, maman, je la connais, vous dis-je; monsieur l’abbé, dites-moi donc, je vous prie, quel mal je fais d’assurer maman que je connais cette odeur-là.

– Mademoiselle, dit l’abbé en pinçant son jabot et flûtant le son de sa voix, il est bien certain que le mal en lui-même est peu de chose; mais c’est que nous sommes ici sous des châtaigniers, et que nous autres naturalistes, nous admettons en botanique que la fleur de châtaignier…

– Eh bien, la fleur de châtaignier?

– Eh bien, mademoiselle, c’est que ça sent le f…

L’INSTITUTEUR PHILOSOPHE

De toutes les sciences qu’on inculque dans la tête d’un enfant lorsqu’on travaille à son éducation, les mystères du christianisme, quoique une des plus sublimes parties de cette éducation sans doute, ne sont pourtant celles qui s’introduisent avec le plus de facilités dans son jeune esprit. Persuader par exemple à un jeune homme de quatorze ou quinze ans que Dieu le père et Dieu le fils ne sont qu’un, que le fils est consubstantiel à son père et que le père l’est au fils, etc., tout cela, quelque nécessaire néanmoins que cela soit au bonheur de la vie, est plus difficile à faire entendre que de l’algèbre et lorsqu’on veut y réussir, on est obligé d’employer de certaines tournures physiques, de certaines explications matérielles qui, toutes disproportionnées qu’elles sont, facilitent pourtant à un jeune homme l’intelligence de l’objet mystérieux.

Personne n’était plus profondément pénétré de cette méthode que M. l’abbé Du Parquet, précepteur du jeune comte de Nerceuil, âgé d’environ quinze ans et de la plus jolie figure qu’il fût possible de voir.

– M. l’abbé, disait journellement le petit comte à son instituteur, en vérité la consubstantialité est au-dessus de mes forces, il m’est absolument impossible d’entendre que deux personnes puissent n’en faire qu’une: développez-moi ce mystère, je vous en conjure, ou mettez-le du moins à ma portée.

L’honnête abbé, envieux de réussir dans son éducation, content de pouvoir faciliter à son élève tout ce qui pouvait en faire un jour un joli sujet, imagina un moyen assez plaisant d’aplanir les difficultés qui embarrassaient le comte, et ce moyen pris dans la nature devait nécessairement réussir. Il fit venir chez lui une petite fille de treize à quatorze ans et ayant bien éduqué la mignonne, il la conjoint à son jeune élève.

– Eh bien, lui dit-il, à présent, mon ami, concevez le mystère de la consubstantialité: comprenez-vous avec moins de peine qu’il est possible que deux personnes n’en fassent qu’une?

– Oh mon Dieu, oui, monsieur l’abbé, dit le charmant énergumène, j’entends tout maintenant avec une facilité surprenante; je ne m’étonne pas si ce mystère fait, dit-on, toute la joie des personnes célestes, car il est bien doux quand on est deux de s’amuser à ne faire qu’un.

Quelques jours après, le petit comte pria son instituteur de lui donner une autre leçon, parce que, prétendait-il, il y avait encore quelque chose dans le mystère qu’il n’entendait pas bien et qui ne pouvait s’expliquer qu’en le célébrant encore une fois, ainsi qu’il l’avait déjà fait. Le complaisant abbé que cette scène amusait vraisemblablement autant que son élève, fait revenir la petite fille et la leçon se recommence, mais cette fois, l’abbé singulièrement ému de la perspective délicieuse que le joli petit de Nerceuil lui présentait en se consubstantiant avec sa compagne, ne put tenir à se mettre en tiers dans l’explication de la parabole évangélique, et les beautés que ses mains doivent parcourir pour cela finissent bientôt par l’enflammer totalement.