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Et voilà comme tout est compassé; un philosophe dirait en lisant cette narration: si, de mille personnes que toucha peut-être cette aventure, cinq cents furent contentes et les cinq cents autres affligées, l’action devient indifférente; mais si malheureusement le calcul donne huit cents êtres malheureux de la privation des plaisirs occasionnée par cette catastrophe, contre seulement deux cents qui se trouvent y gagner, M. de Savari faisait plus de bien que de mal et le seul coupable fut celui qui l’immola à son ressentiment; je vous laisse la chose à décider et pas se rapidement à un autre sujet.

L’ÉVÊQUE EMBOURBÉ

C’est une chose assez singulière que l’idée que quelques personnes pieuses se font des jurements; elles s’imaginent que certaines lettres de l’alphabet arrangées dans tel ou tel sens, peuvent aussi bien dans un de ces sens infiniment plaire à l’Éternel que l’outrager cruellement, prises dans l’autre, et ce préjugé sans doute est un des plus plaisants de tous ceux qui offusquent la gent dévote.

Du nombre de ces gens scrupuleux sur les b et les f était un ancien évêque de Mirepoix qui passait pour un saint au commencement de ce siècle; allant un jour voir l’évêque de Damiers, son carrosse embourba dans les chemins horribles qui séparent ces deux villes: on avait beau faire, les chevaux n’en voulaient plus.

– Monseigneur, dit à la fin le cocher fulminant, tant que vous serez là, mes chevaux n’avanceront pas.

– Et pourquoi donc? reprit l’évêque.

– C’est qu’il faut absolument que je jure, et que Votre Grandeur s’y oppose; cependant nous coucherons ici si Elle ne veut pas me le permettre.

– Eh bien, eh bien, reprit le doucereux évêque en faisant un signe de croix, jurez donc, mon enfant, mais bien peu.

Le cocher sacre, les chevaux tirent, monseigneur remonte… et l’on arrive sans accident.

LE REVENANT

La chose du monde à laquelle les philosophes ajoutent le moins de foi, c’est aux revenants; si cependant le trait extraordinaire que je vais rapporter, trait revêtu de la signature de plusieurs témoins et consigné dans des archives respectables, si ce trait, dis-je, et d’après ces titres et d’après l’authenticité qu’il eut dans son temps, peut devenir susceptible d’être cru, il faudra bien, malgré le scepticisme de nos stoïciens, se persuader que si tous les contes de revenants ne sont pas vrais, au moins y a-t-il sur cela des choses très extraordinaires.

Une grosse Mme Dallemand que tout Paris connaissait alors pour une femme gaie, franche, naïve et de bonne compagnie, vivait depuis plus de vingt ans qu’elle était veuve, avec un certain Ménou, homme d’affaires qui logeait auprès de Saint-Jean-en-Grève. Mme Dallemand se trouvait un jour à dîner chez une Mme Duplatz, femme de sa tournure et de sa société, lorsqu’au milieu d’une partie que l’on avait commencée en sortant de table, un laquais vint prier Mme Dallemand de passer dans une chambre voisine, attendu qu’une personne de sa connaissance demandait instamment à lui parler pour une affaire aussi pressée que conséquente; Mme Dallemand dit qu’on attende, qu’elle ne veut point déranger sa partie; le laquais revient, et insiste tellement que la maîtresse de la maison est la première à presser Mme Dallemand d’aller voir ce qu’on lui veut. Elle sort et reconnaît Ménou.

– Quelle affaire si pressée, lui dit-elle, peut vous engager à venir me troubler ainsi dans une maison où vous n’êtes point connu?

– Une très essentielle, madame, répond le courtier, et vous devez croire qu’il faut bien qu’elle soit de cette espèce, pour que j’aie obtenu de Dieu la permission de venir vous parler pour la dernière fois de ma vie…

A ces paroles qui n’annonçaient pas un homme très en bon sens, Mme Dallemand se trouble et fixant son ami qu’elle n’avait pas vu depuis quelques jours, elle s’effraye encore plus en le voyant pâle et défiguré.

– Qu’avez-vous, monsieur, lui dit-elle, quels sont les motifs et de l’état où je vous vois, et des choses sinistres que vous m’adressez… éclaircissez-moi au plus vite, que vous est-il donc arrivé?

– Rien que de très ordinaire, madame, dit Ménou, après soixante ans de vie il était tout simple d’arriver au port, grâce au ciel m’y voilà; j’ai payé à la nature le tribut que tous les hommes lui doivent, je ne me plains que de vous avoir oubliée dans mes derniers instants, et c’est cette faute, madame, dont je viens vous demander excuse.

– Mais, monsieur, vous battez la campagne, il n’y a point d’exemple d’une telle déraison; ou revenez à vous, ou je vais appeler à moi.

– N’appelez point, madame, cette visite importune ne sera pas longue, j’approche du terme qui m’a été accordé par l’Éternel; écoutez donc mes dernières paroles et c’est pour jamais que nous allons nous quitter… Je suis mort, vous dis-je, madame, vous serez bientôt éclaircie de la vérité de ce que je vous avance. Je vous ai oubliée dans mon testament, je viens réparer ma faute; prenez cette clef, transportez-vous à l’instant chez moi; derrière la tapisserie de mon lit vous trouverez une porte de fer, vous l’ouvrirez avec la clef que je vous donne, et vous emporterez l’argent que contiendra l’armoire fermée par cette porte; ces sommes sont inconnues de mes héritiers, elles sont à vous, personne ne vous les disputera. Adieu, madame, ne me suivez pas…

Et Ménou disparaît.

Il est aisé d’imaginer avec quel trouble Mme Dallemand rentra dans le salon de son amie; il lui fut impossible d’en cacher le sujet…

– La chose mérite d’être reconnue, lui dit Mme Duplatz, ne perdons pas un instant.

On demande des chevaux, on monte en voiture, on se transporte chez Ménou… Il était à sa porte, gisant dans son cercueil; les deux femmes montent dans les appartements, l’amie du maître, trop connue pour être refusée, parcourt toutes les chambres qui lui plaisent, elle arrive à celle indiquée, trouve la porte de fer, l’ouvre avec la clef qu’on lui a remise, reconnaît le trésor et l’emporte.

Voilà sans doute des preuves d’amitié et de reconnaissance dont les exemples ne sont pas fréquents et qui, si les revenants effrayent, doivent au moins, l’on en conviendra, leur faire pardonner les peurs qu’ils peuvent nous causer, en faveur des motifs qui les conduisent vers nous.

LES HARANGUEURS PROVENÇAUX

Il parut, comme on sait, sous le règne de Louis XIV un ambassadeur perse en France; ce prince aimait à attirer à sa cour des étrangers de toutes les nations qui pussent admirer sa grandeur, et rapporter dans leur pays quelques étincelles des rayons de la gloire dont il couvrait les deux bouts de la terre; l’ambassadeur, en passant à Marseille, y fut reçu magnifiquement. Sur cela, MM. les magistrats du Parlement d’Aix désirèrent, quand il arriverait chez eux, de ne pas se trouver en reste avec une ville au-dessus de laquelle ils placent la leur avec assez peu de raison; en conséquence, le premier de tous les projets fut de complimenter le Persan; le haranguer en provençal n’eût pas été difficile, mais l’ambassadeur n’y eût rien compris; cette difficulté arrêta longtemps. La cour délibéra: il lui faut peu de chose pour délibérer, un procès de paysans, un train à la comédie, et principalement une affaire de catins, tout cela sont de grands objets pour ces magistrats oisifs, depuis qu’il ne leur est plus possible de porter encore, comme sous François Ier, le fer et la flamme dans la province et de l’arroser des flots du sang des malheureux peuples qui l’habitent.