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— Croyez-vous ? L’amour est une force terrible à laquelle on ne résiste pas. Votre plus grande faute est, sans doute, de vous être détournée de Dieu. Il vous aurait aidée. Quant à votre malheureux époux, je crois que tôt ou tard, il aurait fini par commettre ce crime contre lui-même. Dieu le lui aura pardonné. Ce n’est pas lui le coupable mais celui qui a laissé se développer en son enfant ce dégoût de la vie, cette volonté de s’en délivrer. Vous n’avez été que l’instrument… Quant à celui qui est le père de votre fils, quels sont actuellement vos sentiments pour lui ?

— Je l’aime… et je crois que je ne cesserai jamais de l’aimer. J’ai besoin de lui…

— Pourtant, il est bon que vous en soyez séparée pendant quelque temps au moins. Acceptez cela comme une pénitence et n’accusez pas le Ciel si cette pénitence dure plus que vous le voudriez. Dieu n’envoie jamais à l’homme plus qu’il ne peut supporter. Même quand c’est le martyre car le martyre ouvre le chemin de l’éternelle béatitude. Prenez courage, ma fille, et priez pour ceux que vous aimez. Ce sera votre meilleure manière de les aider…

Après l’absolution, après qu’elle eut récité les quelques prières de pénitence rituelle, Hortense resta un long moment agenouillée sur un prie-Dieu, sans prier, ensevelie dans le silence qui accentuait l’extraordinaire impression de paix dont l’enveloppait le pardon divin. La chapelle était vide à l’exception d’une autre femme, également vêtue de noir comme elle-même. On n’entendait aucun bruit. C’était comme si un grand mur se dressait, infranchissable, entre cette chapelle et le monde extérieur, et Hortense, pour la première fois, comprit que ce silence pouvait être un appel assez fort pour tenter, attirer de jeunes vies éprises de pureté ou d’autres, moins jeunes, avides de panser des blessures.

Elle goûta longuement cette paix profonde à laquelle se joignait une grande sensation de délivrance et, quand enfin elle quitta la chapelle, il lui sembla que ses pieds avaient des ailes.

Le temps pourtant n’avait rien d’exaltant, ce matin-là. Ce premier jour de mai était doux mais gris, ce gris particulier au ciel de Paris qui fait si bien ressortir le vert des feuilles nouvelles. Et ce feuillage, il en débordait de hautes vagues par-dessus les hauts murs de la rue de Babylone.

Le nez en l’air, l’œil fixé sur les joues roses d’un buisson d’aubépine cultivée qui se montraient à travers les lances d’une grille, Hortense ne prêtait guère attention au mouvement de la rue quand elle fut tirée de sa contemplation par des appels qui venaient derrière elle.

— Monsieur ! Eh, monsieur ! Ne courez donc pas si vite, je ne vous veux aucun mal…

Elle se retourna et vit Timour qui fonçait droit sur elle. Un grand jeune homme brun courait après lui et c’était lui qui lançait ces appels. Hortense pensa que le Turc allait s’arrêter auprès d’elle pour lui rendre compte de sa mission : il revenait en effet des Messageries où il était allé porter ses lettres. Mais il n’en fit rien. Bien plus, la jeune femme dut s’écarter précipitamment pour ne pas être renversée par lui. Timour ne l’avait même pas vue.

Les deux hommes passèrent près d’elle comme des flèches, l’un mâchonnant on ne sait quels jurons dans sa langue natale, l’autre continuant ses appels et ses objurgations. Surprise mais amusée, Hortense les vit s’engouffrer l’un derrière l’autre dans la cour de l’hôtel Morosini et les y suivit presque immédiatement car elle était rendue à destination.

Elle arriva juste à temps d’ailleurs pour voir le dos de Timour qui disparaissait derrière la porte tandis que l’inconnu arrachait son élégant chapeau, le jetait à terre et le piétinait de rage :

— Quel imbécile, mon Dieu ! Mais quel imbécile ! glapissait-il.

Après une courte hésitation, il allait s’élancer à l’assaut de la porte quand il s’aperçut de la présence d’Hortense, ramassa son chapeau, le secoua vigoureusement et s’approcha de la jeune femme avec la mine qui convient lorsque l’on est surpris dans une posture ridicule…

— Pardonnez-moi, madame… mais habiteriez-vous cette maison par hasard ?

— En effet, monsieur. Encore que j’y sois seulement reçue en invitée…

— Ah ! fit le jeune homme visiblement déçu. Est-ce trop demander que vous prier de me dire qui en est le propriétaire… ou l’habitant principal ?

Hortense se donna, avant de répondre, le temps d’examiner son interlocuteur. Très élégamment habillé de gris foncé avec un gilet vert, c’était un grand garçon qui pouvait avoir trente ans, très mince mais dont l’extraordinaire physionomie faisait oublier ce que son corps pouvait avoir d’un peu maigre. Sous d’abondants cheveux noirs poussant dru et un peu en désordre, il avait un visage mat, légèrement olivâtre, éclairé par des yeux fauves, presque sauvages, couverts d’épais sourcils dont la pointe intérieure se retroussait. Les lèvres étaient fines, bien tendues sur des dents éclatantes de blancheur, le menton volontaire et puissant. Le nez légèrement retroussé avait de l’insolence, encore souligné par une fine moustache…

Son examen se révélant favorable, Hortense consentit à dire que l’hôtel était celui de la comtesse Morosini puis se hâta de demander ce que Timour avait pu faire à l’inconnu pour justifier une poursuite aussi ardente.

— Rien du tout, madame. Et je crains bien sincèrement que ce brave homme ne se soit mépris sur mes intentions, que je vais d’ailleurs vous expliquer si vous voulez bien m’entendre encore un moment. Auparavant, souffrez que je vous adresse une nouvelle question. Cet homme a tout à fait l’air d’un Turc…

— Il n’en a pas que l’air, monsieur ; c’en est un. Il est né je crois sur les bords de la mer Caspienne.

Le jeune homme parut soudain s’épanouir comme si un rayon de soleil était venu se poser sur lui :

— C’est merveilleux ! Il me le faut absolument !

— Il vous le faut, dites-vous ? s’écria Hortense choquée. Mais, monsieur, comment l’entendez-vous ? La comtesse Morosini dont il est le plus fidèle serviteur n’acceptera jamais de vous le céder…

— Je n’en demande pas tant, madame…

— Alors que demandez-vous au juste, monsieur ? coupa la voix froide de Félicia qui venait d’apparaître sur les marches du perron, flanquée de Timour qui dirigeait vers l’inconnu un doigt accusateur.

Le chapeau cabossé exécuta un balayage tout à fait Grand Siècle tandis que son propriétaire saluait profondément, en homme du monde.

— Que vous accordiez à votre serviteur l’autorisation de venir poser dans mon atelier… madame. A condition qu’il y consente, bien sûr… Ce qui ne me paraît pas évident.

— Vous êtes peintre ?

— J’ai cet honneur, fit le jeune homme avec une certaine hauteur. Mon nom est Eugène Delacroix. Les nuages d’orage qui assombrissaient les yeux de la comtesse s’envolèrent comme par miracle.

— Vous êtes l’auteur de la Barque de Dante, et de cette extraordinaire Mort de Sardanapale ?

Si le peintre fut flatté, il n’en montra rien et ne daigna même pas sourire mais il salua de nouveau :

— En remarquant mon œuvre, vous me faites, madame, une précieuse faveur…

Félicia se mit à rire.

— Il serait difficile de ne pas la remarquer. Votre peinture a autant de puissance que d’originalité, monsieur Delacroix. Mais, je vous en prie, prenez la peine d’entrer au salon. J’ai honte de vous obliger à discuter ainsi au milieu de la cour…

Suivi de Timour dont l’œil soupçonneux ne quittait pas l’intrus, le groupe pénétra dans la maison et gagna le salon.

— Ainsi, dit Félicia en désignant un siège à son étrange visiteur, vous souhaitez que Timour pose pour vous ?