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Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrait sous la main d’une jeune femme de chambre en tablier amidonné et bonnet tuyauté.

— Je voudrais voir M. Louis Vernet, dit Hortense. Si cela ne le dérange pas trop tout au moins…

— C’est que… je ne sais pas si Monsieur peut recevoir. Il faudrait que je demande à Madame…

— Eh bien, demandez-le-lui. Je suis la comtesse de Lauzargues mais votre maître me situera mieux si vous dites Mlle Granier de Berny…

Visiblement impressionnée par le titre, la petite bonne esquissa une révérence.

— Si Madame la Comtesse veut se donner la peine d’attendre, fit-elle en désignant la banquette de velours brun qui tenait tout un côté de l’antichambre.

Puis elle disparut par une porte donnant sur une pièce qui devait être très claire. Un moment plus tard, une dame d’une cinquantaine d’années, vêtue de noir à l’exception d’un petit col blanc, ses cheveux gris dépassant à peine d’un grand bonnet de dentelle blanche, faisait son entrée par cette même porte en la refermant soigneusement derrière elle. Hortense vit que ses yeux bruns étaient pleins d’inquiétude en se posant sur elle. D’ailleurs la dame ne s’embarrassa pas de formules préliminaires.

— Vous êtes Mlle Granier de Berny, mademoiselle Hortense ?…

— Je ne m’appelle plus ainsi mais, effectivement, je suis Hortense…

— Alors, je vous supplie de partir ! Pardonnez-moi si je vous parais discourtoise, grossière même… mais je ne puis permettre que vous voyiez mon fils ! Votre présence auprès de lui ne pourrait que lui rendre plus présentes les heures terribles que je m’efforce de lui faire oublier !

— Permettez-moi de m’étonner, madame… Mon père a toujours témoigné à M. Vernet une entière confiance et même une grande amitié. Je pensais pouvoir lui redemander un peu de cette amitié à un moment où je me trouve aux prises avec de grandes difficultés…

— Je vous supplie de ne pas insister, madame. Mon fils a payé trop cher l’amitié respectueuse que lui-même portait à monsieur votre père. Comprenez que je veuille qu’il en reste là !… Encore une fois, je vous demande de me pardonner si je vous parais aussi inhospitalière, incivile, tout ce que vous voudrez. Mais je suis sa mère et aucune force humaine ne m’empêchera de veiller sur lui, de le défendre…

La porte qui avait livré passage à Mme Vernet se rouvrit. La jeune femme de chambre parut. Sans oser regarder sa maîtresse, elle annonça :

— Monsieur prie Madame la Comtesse de bien vouloir venir jusqu’à lui !

Avec un sanglot, la mère alla s’asseoir sur la banquette et se mit à pleurer, le visage caché dans son mouchoir. Hortense hésita un instant. La douleur de cette femme la touchait mais elle avait trop besoin de savoir ce qui motivait l’étrange réception qu’on lui faisait. Elle avait trop besoin d’entendre ce que Louis Vernet avait à lui dire. Alors, résolument, elle marcha vers la porte qu’on lui tenait ouverte, entra…

La pièce était un grand salon meublé de ces jolis meubles clairs que la Restauration avait mis à la mode. Elle était pleine de livres et de fleurs et, par les fenêtres dont les grands rideaux bleus étaient ouverts, on pouvait voir un petit jardin vert autour d’un étroit bassin où chantait un jet d’eau. C’était en vérité une très jolie pièce, pleine de lumière et de gaieté mais toute cette lumière sombra pour Hortense quand elle vit Louis Vernet, ou ce qu’elle devina être Louis Vernet tant il avait changé.

Assis dans un fauteuil près de la fenêtre, une couverture écossaise sur les genoux, il semblait n’être plus que l’ombre de lui-même. Ses cheveux blonds, jadis épais, étaient à présent rares et clairsemés. Il était maigre et pâle et son visage aux traits creusés disait assez les longues souffrances endurées. Il eut pourtant, pour la jeune femme si visiblement déroutée, un sourire :

— C’est bien moi, mademoiselle Hortense… Pardonnez-moi de ne pas aller vous accueillir mais je n’ai plus l’usage de mes jambes. Voulez-vous venir jusqu’à moi ?

Elle s’avança comme dans un rêve et prit place sur le petit fauteuil qu’une main trop maigre lui indiquait. Elle ne savait pas très bien ce qu’elle devait faire : s’enfuir ou éclater en sanglots comme l’avait fait la mère.

— C’est à vous de me pardonner, dit-elle enfin. Si j’avais su… si j’avais pu deviner, je ne me serais jamais permis de venir vous importuner.

— Vous ne m’importunez pas. Je suis même heureux de vous voir. Les journées sont longues, vous savez, quand on est comme je suis. Et les nuits plus encore… Mais oublions cela un moment ! Ainsi vous êtes mariée ? Au nom que vous portez j’imagine que vous avez épousé votre cousin ?

— En effet, mais je suis veuve. Il est mort quelques mois avant la naissance de mon fils… Mais vous, je vous prie, dites-moi ce qui vous est arrivé ! Ou bien est-ce… trop difficile ?

— Non. Il vaut mieux que vous sachiez. Nous y reviendrons tout à l’heure. Dites-moi d’abord comment est mort votre époux ?

Une vague de sang monta au visage d’Hortense et l’empourpra… Elle faillit mentir, attribuer à Étienne une mort bénigne, maladie ou accident, mais elle n’était pas venue ici pour mentir :

— Il s’est pendu ! dit-elle d’une voix dont la sécheresse l’étonna. Il… il ne voulait pas de notre mariage. Il ne m’a épousée… que pour me sauver moi-même.

Si horribles qu’eussent été ses paroles, elles ne parurent pas faire grande impression sur Louis Vernet. C’était comme si de tels événements lui étaient devenus naturels.

— Bien sûr, approuva-t-il. Si vous n’aviez pas contracté mariage, le seul moyen qu’avait le marquis de s’attribuer votre fortune était de vous supprimer…

— Il n’y a pas renoncé et j’ai dû fuir après qu’il m’eut enlevé mon fils au lendemain de sa naissance…

— L’héritier, bien entendu !… Pauvre, pauvre demoiselle Hortense ! Comme vous avez dû souffrir mais comme tout cela éclaire ma lanterne à moi…

— Vous ne semblez pas surpris, en effet !

— Non. Vous vous souvenez de ce jeune homme qui, au cimetière, est venu vous crier que votre père ne s’était pas tué mais qu’on l’avait tué ainsi que votre mère ?

— Je m’en souviens d’autant mieux qu’il est le frère d’une de mes compagnes de couvent, la princesse Orsini, aujourd’hui comtesse Morosini qui me donne asile. Il a été arrêté aussitôt et je dois dire que sa sœur ignore toujours ce qu’il est devenu…

— Il doit être enfoui dans quelque prison, au secret… Le préfet de police d’alors, M. de Belleyme, était un homme juste et honnête. Il n’aurait pas permis un assassinat… Dans un sens, ce garçon est mieux en prison que libre car il serait en butte à ceux qui m’ont mis dans cet état…

— Qui sont-ils ? Le savez-vous ?

— Je m’en doute, pour ne pas dire que j’en suis sûr ceux-là mêmes qui ont voulu la mort de vos parents. Êtes-vous retournée rue de la Chaussée d’Antin ?

— C’est là que je suis allée en arrivant. J’ai eu la pénible surprise de trouver ma maison occupée par un certain prince San Severo dont on m’a dit qu’il est apparenté à la famille royale…

— On le dit, en effet… Votre père le connaissait d’ailleurs et entretenait avec lui de bonnes relations. C’est un financier de quelque valeur. Après le drame, il a proposé ses talents au conseil d’administration. Le sachant bien en cour certains l’ont accepté, d’autres pas…

— MM. Didelot, Girodet et de Dureville ?