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— Ce gonzier est un poulet à la retraite, ami du taulier, l’affranchis-je.

— Hello ! tonitrue l’ex-superintendant.

Il écoute et beugle :

— Oui, je suis W. C. ; en effet, l’écoute n’est pas fameuse. Vous direz à Sir Hugh de parler fort ! Passez-le-moi.

— Catastrophe, dis-je au Gros.

Il a pigé, Césarin.

Et je dois reconnaître qu’il se comporte toujours très bien dans les situations particulièrement délicates.

Il se lève, posément. Exécute un mouvement roulant des épaules pour se décontracter les deltoïdes.

— Hello, sir Hugh ? jette joyeusement W. C.

Et puis voilà tout ce qu’il peut articuler vu que mister Babar vient de lui parachuter un O.V.N.I. à travers le portrait. Il s’y est pris de telle sorte que l’écouteur éclate contre la tempe de l’ancien super-machin. L’autre descend à dame, l’oreille garnie de tessons d’ébonite.

Béru frotte son poing écorché à son pantalon. Puis il saisit le fil du bigophone, le suit jusqu’à la prise murale, arrache le tout, rrranh !

Il n’ose plus me regarder.

Je me penche sur le grand Rosbif groggy.

« Bien, me dis-je à tête reposée, ainsi va la vie, l’harmonie n’est pas toujours constante sur cette terre. Nous ne sommes que des hommes ballottés par les circonstances. Lorsqu’ils croient assurer leur destin, celui-ci se mue en sable et tombe de leurs mains… »

C’est beau, non, de penser des choses aussi élevées à un moment critique ? T’en as qui diraient : « Merde, quel foutoir ! On l’a dans l’os ! » Voire des trucs encore plus mal embouchés. Eh bien, l’Antonio, au contraire, il sent son esprit qui fait du deltaplane. Il devient souverain.

Le gars W. C. respire comme une locomotive haut-le-foot. Mme Mary entre pour annoncer the dinner.

CHAPITRE X

Mme Mary entre pour annoncer the dinner.

Elle est consternée, la pauvre dame chérie, en apprenant que Mister W. C. s’est pris les nougats dans un pli du tapis, tandis qu’il téléphonait, et qu’il s’est pété le bocal contre le coin de la table.

On lui dit que ça ne sera pas grave. Et, hop, Béru et moi, nous drivons le commotionné jusqu’à son dodo. Mesure provisoire. L’ex-superintendant va récupérer et rameuter la garde ! Si on ne le neutralise pas, cela risque d’engendrer des conséquences fâcheuses pour notre quiétude bourgeoise. Pendant que mister Gradube le veille, je bombe jusqu’à la salle de bains de sir Hugh où j’ai aperçu une pharmacie. Tout lord d’un certain âge possède fatalement des somnifères, car seuls les plébéiens dorment naturellement. L’insomnie est le tribut que les riches paient à la fortune. On dort bien sur un lit de paille, rarement sur un matelas de banknotes, cela dit, j’aime mieux veiller riche que dormir pauvre, car si le pauvre peut mettre son sommeil à profit pour rêver, le riche peut, quant à lui, user ses insomnies à faire des projets. Et voilà !

Une boîte plate contenant douze comprimés me paraît apte à mes noirs desseins. Il y est dit, recto verso, qu’un demi-comprimé t’assure une nuit enchanteresse. Je pense qu’avec six, l’aimable pêcheur de truites sera out pour un bon bout de temps. Nous délayons iceux dans un peu d’eau, et profitons de ce qu’il reprend un peu conscience pour lui faire avaler la potion d’oubli. Il nous dit merci et repart à fond de train dans les tunnels de son subconscient. Et voilà !

Mme Mary est fort aise (et non Forez comme l’assurent les merveilleux habitants de Montbrison) de savoir l’ancien poulet sur le chemin de la guérison. Tandis qu’elle nous sert un délectable repas composé de tétine trop cuite accompagnée de patates trop crues, le tout arrosé d’une crème à la rhubarbe, je l’interviewe à propos du blessé. Au début elle rétice un peu, la daronne. Mais, le ton tournant à la confidence aimable, elle finit par nous dire que Wallace Coy est une vieille peau de vache et qu’elle ne comprend pas « mon oncle » qui lui accorde le gîte et le couvert depuis si (et pour si) longtemps. Un pique-assiette de première grandeur, grigou, grincheux, taciturne.

On délecte son repas. Puis c’est la dorme bien méritée après tant d’émotions, que je sais pas si tu mesures toute leur intensité. Et voilà !

Je gaze un peu parce que qu’est-ce t’en as à branler de ce qui se raconte en détail, et le dessert dégeulasse, et itou de Béru qui va calcer la fille givrée au clair de lune irlandais, manière de se mettre à jour les tempéraments ?

W. C. en écrase super dans son lit de vieux truiteur. Le téléphone est en rideau. A défaut de la vie, on a la nuit devant soi. Alors je me paie une partie de pucier comme y a longtemps que pas. Et si je te disais qu’il est midi tout net lorsque je me réveille le lendemain morninge. Des corbeaux croassent dans le verger. Une petite pluie océane cingle les vitres de ma turne. En Irlande, j’oubliais : ils pratiquent pas beaucoup le volet, ce qui est royalement con dans un patelin où les jours sont plus longs que chez nous. Je m’offre une longue douche, remets mes fringues de la veille et descends pour breakfaster. Bérurier n’est pas dans les parages, par contre, un monsieur qui ne m’est pas entièrement inconnu mange des œufs au bacon et des petites saucisses grillées. Il porte une veste intérieure écossaise dans les tons blanc-gris-noir, en écoutant parler de nous à la radio. C’est un homme au visage fin et délicat, peau très fine, très pâle, cheveux poivre et sel.

— Hello ! me dit-il fort civilement, comment êtes-vous, mister Santonio ?

— Très bien, merci, et vous, sir Hugh ?

* * *

Tu n’es pas un surdoué, pourtant tu dois bien comprendre qu’une fois ces deux répliques échangées, il nous reste beaucoup de choses à nous dire, lord Hugh et moi. Cet homme est très beau, racé, séduisant, efféminé. Bon, lord je veux bien, ça rend précieux, mais pas besoin de lui mettre un grain de sel sous la queue pour piger d’emblée qu’il en est pire qu’Henri III. En tout cas, il a beau batifoler dans la vaseline, ça n’ôte rien à son self-control. Il comporte avec une nonchalance pleine d’élégance, le geste gracieux, la voix qui fait « haoeu haeeu » au fond de la gorge avant de sortir.

— Comment trouvez-vous Glenbeigh ? s’inquiète lord Hugh.

— Aussi passionnant que vos ouvrages sur les camées.

Il a une amorce de courbette pour me donner quitus de mon compliment.

— Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de vous accueillir ici, mister Santonio ?

— Les circonstances, mylord.

— Votre visite n’était donc pas… heu… préméditée ?

— Absolument pas. J’ai dû emprunter une voiture à Dublin, les papiers qui s’y trouvaient m’ont fourni votre adresse de Glenbeigh et comme il me fallait absolument un gîte… Je suis navré de vous importuner, croyez-le bien, et je ne demande qu’à vous dédommager du préjudice que je vous ai causé.

Il a une façon de grignoter un toast unique au monde, l’Hugh. On dirait qu’il joue le rôle d’un lord anglais dans une pièce de Michèle Sagan.

— Je crois que c’est à Wallace Coy que vous en avez surtout causé, me répond-il. Que lui avez-vous fait prendre pour qu’il dorme de la sorte ?

— Quelques-uns de vos comprimés, mylord.

— Vous vouliez retarder l’instant de son réveil afin de gagner du temps ?

— En effet.

Quelque chose m’intrigue chez mon interlocuteur, c’est son profond détachement. Il marque un certain dédain pour cette aventure qui devrait cependant l’inquiéter. Il sait qui je suis, ce que j’ai fait, et au lieu d’alerter les bourdilles, il prend son breakfast en devisant avec moi.