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Je lui déballe une fable express, pas dure à piger. Nous sommes les représentants d’une grande étude de notaire parisienne. Un ancien élève du père O’Goghnaud est mort, lui léguant un monceau d’artiche. Alors on cherche après le saint homme pour lui annoncer la bonne nouvelle et préparer les formalités. Le supérieur décroche ses battoirs et les envole, histoire de marquer son impuissance devant les desseins de la Providence. Hélas, le père O’Goghnaud n’est plus ici. Non, pas mort, du moins il ne pense pas ; mais son état de santé était précaire et quelqu’un de sa famille est venu le chercher, deux mois plus tôt, pour le prendre chez lui et lui assurer une fin confortable.

Béru qui ne pige de la langue de Shakespeare que ce que les autres ne veulent pas, comprend néanmoins.

— Il a mis les adjas ?

— Oui.

— Quand j’te disais que je l’sentais pas…

— C’est bonnard au contraire : ça signifie que notre copain est venu le chercher.

Je me tourne vers le costaud en robe de burne :

— Vous avez probablement son adresse, mon père !

— Bien entendu.

Mais il est drôlement déjanté du bulbe, le moine-chef. Ça l’aurait assez botté que O’Goghnaud enfouille son héritage pendant qu’il se trouvait dans ses murs. L’osier allait tomber en pluie dans la corbeille de la communauté, alors qu’à présent, c’est la family qui va mettre l’embargo sur la fraîche. Dire qu’il s’en fallait de quelques semaines, bordel de Dieu ! Tu parles d’un manque de bol-à-faire-les-tonsures !

Il se retire pour aller vérifier l’adresse de la nouvelle retraite du père O’Goghnaud.

— Tu croyes qu’c’est l’O’Bannon qu’est venu chercher le vieux ?

— T’en doutes ?

— Y s’le serait embarqué pourquoi, un vieux kroum abasourdi par l’âge ? C’est plutôt une étrave qu’aut’ chose.

— Il devait avoir son idée.

Le retour du supérieur nous ferme le clapoir. Il tient un feuillet où sont tracées quelques lignes et l’agite afin d’en sécher l’encre fraîche.

— Vous devriez conseiller au cher père de revenir parmi nous, dit-il. Je suis persuadé que notre communauté lui manque cruellement et que ses derniers jours connaîtraient une paix bien plus grande s’il était en compagnie de ses frères en Dieu.

Sous-entendu : son auber tomberait dans notre plat d’offrande et ça ne serait pas dégueulasse, youpi, whiskey pour tout le monde !

Mézigue, tout ce qui m’intéresse au plus vivement, c’est le bout de papelard où figure l’adresse. L’athlétique moine me le présente enfin. Je mate « Early Morning House » Oughterard.

T’as bien ligoté, l’artiste ? Oughterard, le pays natal de Vernon O’Bannon.

CHAPITRE XII

Le pays natal de Vernon O’Bannon.

Là-bas, le lac, ils appellent ça le « lough ».

Moi je veux bien, qu’est-ce que j’en ai à branler, entre nous, hein ? Les Anglais disent le « lake », mais y n’en ont pas, ces cons. Quant aux Ecossemards, chez eux, c’est « loch » ; comme quoi des goûts et des couleurs…

Toujours est-il que, tout de suite après Galway, t’as le lough Corrib qui commence et qui se met à trémousser dans ses roseaux. La route s’en écarte pour ne s’en rapprocher qu’à Oughterard précisément. Et encore, pas complètement. Faut parcourir deux trois bornes avant de retrouver cette sauvage étendue de flotte, piquetée d’îlots couleur de paille. C’est plein de zoizeaux aquatiques dont les cris suraigus te font tressaillir. Des barques, peu nombreuses, emmènent dans les petites anses poissonneuses des pêcheurs silencieux loqués de cirés. Le ciel est plus triste que partout ailleurs, pommelé léger, tout en camaïeu gris et blanc. Ça respire le calme inexpugnable, la sérénité tombale.

Je regarde un instant ce panorama d’un autre monde. Je sais que je me ferais tarter dans cette campagne chimiquement belle, mais ça me rassure confusément de savoir qu’elle existe. Ayant dragué dans la contrée, je reviens au village, une sorte de station de vacances, avec des hôtels modestes, des boutiques de souvenirs. Les gens y vivent pénardos. On sent que le temps ne leur est pas marchandé. Tout ce qu’ils ont à faire, c’est pas grand-chose en buvant de la Guinness, alors tu juges ?

Notre Royce ne fait pas sensation, car on en voit pas mal en circulation. Elle nous pose. La presse n’a pas diffusé nos portraits car elle n’en a pas, et tu peux compter que c’est pas en France que les bourdilles irlandais risquent de s’en procurer. On ne cause presque plus de la tuerie de Dublin dans les baveux du patelin. Les attentats, en ces temps troublés, sont, comme on dit dans les beaux livres, monnaie fréquente dans ce vaillant pays. Un flingage de plus ou de moins, si c’est pas vous qui le dégustez, c’est un autre !

Bérurier ranime sa foi défaillante en nos étoiles.

— Et maintenant, comment tu comptes procéder, mec ?

— Comme un chef, mon pote.

— Si on se clatapulte directo chez le gonzier, sur ses gardes comme il est, on risque d’effacer des coups d’arquebuse !

— Aussi procéderons-nous autrement, mon bon ami. Viens dîner, je t’expliquerai la chose en détail.

* * *

— Tu sais que ça te va impec, assure l’Infâmure en me regardant évoluer entre les rayons ; dans un sens, t’as raté ta convocation, mec.

— Je vous prie, mon fils, le sermonné-je, il n’est pas convenable d’appeler « mec » un évêque, quand bien même l’Eglise donne de la bande.

Il est de fait que la soutane à liséré violet me confère une classe et une dignité que je suis fort heureusement à même d’assumer. J’ai un côté curie romaine, ainsi travesti.

Nous quittons le solennel magasin de Galway, fournisseur de messieurs les curetons où je viens de faire mes emplettes et repartons pour Oughterard avec Bérurier au volant, casquetté d’une gapette noire à visière de plastique. Somptueux équipage en vérité.

Et qui affole le brave curé d’Oughterard quand il le voit stopper devant son jardinet où il est en train de déguster un verre de quelque chose.

Il est chenu, ce digne prêtre, courtaud, massif, avec un gros pif poilu.

Je me présente : Monseigneur Dugenou, chargé par le Vatican d’une tournée d’inspection dans les différents monastères d’Irlande. Je souhaiterais rencontrer un vieux prêtre retiré de la vie ecclésiastique : le père O’Goghnaud, qui, paraît-il, nani nanère, nana lala et j’en passe. Voir blabla de circonstance, construit comme un musée Beaubourg, en plus solide toutefois. Le cher curé m’écoute en ponctuant de « yes yes, I see ».

Il « see » tout, comprend parfaitement… Veut ce que je veux. Est prêt à ce que je souhaite. Tout comme ce gars qui sodomisait un pauvre pour aller au-devant de ses besoins, il est décidé à tout faire pour me faciliter les choses. Un Monseigneur chez lui ; dans sa petite cure à trois peines ! Il en bave des ronds de barrette ! Il savait pas la chose possible. Se croit à Lourdes tout soudain.

Oui, il a appris qu’un vieux prêtre s’était retiré à Oughterard, chez ses neveux. Parfaitement : il connaît ces derniers : des gens extrêmement comme il faut de partout, bons catholiques, bons éducateurs, paroissiens sans reproche. Lui a un cabinet d’assurances et sévit dans la contrée, la dame joue de l’harmonium à la messe. Les filles sont élevées chez les Sœurs Karita de la Rédemption, les garçons, chez les Frères Troigros-de-la-Sainte-Restauration ; ce qu’on fait d’ultra-mieux en Irlandie, quoi !

J’opine, tout en ressentant un confus désagrément. Car ça ne colle pas. Ces gens édifiants, établis depuis toujours dans le pays, ne correspondent pas à ceux que j’escomptais.