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J’attends un moment. Au loin, un ronflement de bagnole décarrant en catastrophe. Et puis voilà tout. J’éteins la lampe. Ouvre grandes les fenêtres pour laisser l’odeur se dissiper. Dans la chambre voisine, l’éminent Bérurier roupille à s’en lézarder la cloison nasale.

Je constate alors que mon guignol cogne à grands coups rapides. Aurais-je eu peur, mine de rien ? Probable. Mais l’essentiel est que je ne m’en sois pas rendu compte en cours d’action.

Je me dépose dans un fauteuil déglingué. Ouf ! Une fois de plus j’ai vécu des minutes très exceptionnelles.

Quelle bizarre aventure tout de même[5] !

Au bout d’un instant, ma respiration est redevenue celle d’un champion au réveil. Un calme salvateur m’embellit. Ton Sana est en pleine possession de ses moyens et de ceux des autres.

Un instant, l’envie me prend de réveiller le Gros pour l’affranchir, mais je me dis qu’à quoi bon, et qu’on aura tout son temps, demain morninge, pour épiloguer, cataloguer, déconnasser. Je vais récupérer le cachet car il m’intéresse de connaître la nature de la marque que ces noctambules voulaient m’imprimer dans la chair. Sur le tampon, cinq lettres en relief. Pas celles que tu crois. Ici, qu’est-ce qu’elles voudraient dire ? Je les mate à l’envers, bien sûr, puis, par acquit de conscience, dans la glace. Le mot « SLAVE » est d’une netteté parfaite. Slave ! Pourquoi Slave ? Qu’est-ce que les slaves ont à fiche dans ce tohu-boesque ? Pourquoi m’allait-on planter ces cinq lettres dans le corps, à moi Français, chaud latin, si éloigné des norderies glaciaires ?

Et alors, mon caberlot va plus loin avec le sujet. Bon, tu lis un mot qui te paraît français, d’instinct tu l’acceptes comme tel. Dans un second temps, un San-A. digne de ce nom prestigieux s’enfonce dans le problème. Il va chercher le fond des choses, là qu’elles se planquent, derrière les apparences. « Slave », en anglais, veut dire « Esclave ». Ça y est, je brûle, moi qui ai failli brûler.

On voulait me marquer d’un mot infamant, histoire de me punir de ma curiosité sans doute ?

« Slave ». Esclave ! Santonio, tu réalises ? Lui, si libre de tempérament, de conviction, de cœur, de corps, d’esprit, de queue, de partout, d’ailleurs, d’autour, de passé, de futur, de vie, de mort, de jamais ! Santonio, la Liberté faite homme, lui qui secoue tous les jougs, celui des autres, de la tradition, de la langue, de la pensée. L’homme qui ne veut pas ! Esclave ! Le mot sculpté au feu indélébile dans ses cellules. Ah, juste Dieu, à quelle infamie viens-je de me soustraire !

Mais pourquoi un tel châtiment ? Pourquoi cette flétrissure moyenâgeuse ? Sommes-nous retournés à l’époque de la question ? La question est là !

Furieux, je retourne mon matelas de manière à obtenir sa face encore intacte, arrache le drap brûlé, m’enroule dans une couvrante et m’abîme dans un sommeil plein de rage et de je ne sais quel désespoir, non sans avoir bloqué ma lourde à l’aide d’une chaise.

* * *

Toc, toc, que faisait le petit chaperon rouquinos.

— Qui qu’est làguche ? que s’informait l’hypocrite loup déguisé en grande vioque.

Les toc, toc retentissent à mon huis.

Discrets, furtifs, tout ça, quoi !

Je m’éveille à l’arraché, constate qu’il fait jour. Ma chambre est sinistre dans la lumière grise. Elle pue encore l’incendie éteint, l’essence, la poudre.

En slip, je me dirige vers la porte et dégage la chaise coincée sous le loquet. J’ouvre. Me faut une bribe de moment pour réaliser que c’est la ravissante Mrs. Aïlikitt qui se tient debout devant moi, pimpante, radieuse, dans une robe printanière, jaune paille avec des dentelles.

Elle a son sac à main au bras, des gants blancs, et tient un livre de messe. De plus en plus, elle évoque un passé heureux dans une province flaubertienne.

— Je suis navrée, veuillez me pardonner cette visite matinale, monseigneur…

Elle me regarde sans paraître me voir. Sa pâleur me frappe, de même que les cernes qui l’accentuent.

— Mais je vous en prie, dis-je, en m’effaçant.

Elle entre, sans paraître se rendre compte qu’elle est en compagnie d’un jeune évêque en slip.

Je lui désigne THE fauteuil. Gauchement, et comme embarrassé par ma presque nudité, je retourne à mon lit et me drape dans une couvrante.

— Vous me paraissez bien émue, ma chère dame ?

— Je ne sais si j’ai bien fait de venir. C’est sûrement de la folie. D’autant plus que…

— Que quoi ?

— Que mon mari prétend que vous ne seriez pas un véritable évêque, monseigneur.

Je souris avec toute la noblesse mansuète dont je peux. J’irradie rose. Ma lumière intérieure m’éclaire la vitrine.

— Voyons, voyons, reprenez-vous, et dites-moi ce qui cause un tel émoi.

Elle pleure en guise de réponse. Je n’en demandais pas plus. Voilà qui me fournit le prétexte d’une intervention tactile et tactique. Vite, monseigneur Santonio bondit auprès de la pauvrette mal baisée, làlà que ça se sent ces choses, rien qu’à la tristesse qui lui monte de la chatte, Mme Aïlikitt, tu parles ! Faut pas m’en conter ! Je mets un genou en terre, près d’elle, un peu à gauche, si tu vois ? La prends dans mes bras. Elle blottit sa merveilleuse figure contre mon épaule nue. Pleure à grande larmée silencieuse, et de vraies larmes, pas du chagrin de cinoche, espère ! Et moi, je sens couler tiède sur ma poitrine, ça chatouille, ça m’émeut, pas la glande lacrymale, que non, mais les deux autres, plus bas, que je porte dans mon ostensoir en peau de couilles.

Elle sent doux, capiteux, la femme.

— Cher petit ange, je balbutie, manière de garder un pied dans le clergé, tout en posant l’autre dans son intimité.

Pas larguer les amarres religieuses trop sec, surtout ! Piano, piano ! A queue, certes ! Mais piano, pianissimo. Les gonzesses, leur drame c’est l’effarouchement. Elles naviguent avec des escarpins de satin, et les matous leur déambulent contre avec des cuissardes de terre-neuvas, ces cons ! Mézigue, ma force, c’est velours, velours et re-velours ! Souplesse, douceur, insidieusité. Miou-mioummm, le beau cha-chat à la dadame ! Caresse, caresse ! Tout dans le mouillé, rien à sec ; abraser les contacts. Oh, la la, et comme ! Peau de pêche et balai de soie ! Plume-plume, tralala ! Chuchotis, main douce, nuage, musique céleste. Je lui masse imperceptiblement le cou. C’est si ténu, si pas grand-chose. J’entends taper son admirable cœur. Ma joue se risque contre la sienne.

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5

Comme aurait dit Mac-Mahon s’il s’était trouvé à ma place.