— Dou you quenove Paris, maille darlinge ? il lui murmure dans le tiroir à mélodie.
La dame regrette que non.
— If you voulez, aille embarque tou you wiz avec me ? On méquera la grand-duc’s tournanche : tour Eiffel, Folies-Bergère, hôtel of Nervouze’ poux.
Et il lui place une paluche basse qui fait se trémousser notre bonne hôtesse.
Comprenant que ma présence risque d’entraver la bonne marche de son opération Bigzob, j’ai la pudeur de sortir opportunément.
Direction Galway.
Tu vois la grand-place de Galway ? Celle qui fait parking ? Y a plein de marchands ambulants qui vendent des machins pour l’équitation : selles, brides, cravaches. Eh bien, le Dr Oldthing, le gérontologue, y a son cabinet, à gauche du musée de la tourbe. Il s’agit d’une maison très ancienne, au moins du seizième siècle av. Ch. de G. Mon coup de sonnette amène une vieillerie qui me conduit au docteur. Réactions en chaîne.
Ce toubib, tu comprends qu’il s’intéresse au vieillissement dès que tu l’aperçois. Il sait des chiées de trucs sur la question car il a franchi depuis belle burette le cap de la centaine et s’est élancé dans la foulée de Mathusalem.
Il ressemble à Bernard Shaw, mais en chauve, et sa barbe est si longue, si fournie, qu’on pourrait, de loin, prendre sa tête pour celle d’un cosaque glabre à l’envers.
— Bonjour, mon enfant, me dit-il, je crains que vous ayez confondu pédiatre et gériatre. Si vous venez à cause des vers, je puis vous prescrire un vermifuge ; mais s’il s’agit de vos dents de lait, ma vue est trop mauvaise pour que je me risque à vous les ôter.
Je rassure l’éminent docteur. Je viens seulement pour lui parler du père O’Goghnaud.
Comme je le pressentais, il ignore tout du vieux prêtre. Quant à la localité d’Oughterard, bien qu’elle soit proche, la dernière fois qu’il y a mis les pieds, M. De Valera n’avait pas encore été élu président de la République.
— Existe-t-il un autre docteur Oldthing dans le comté ?
— Oui : mon père, mais il est retiré depuis déjà cinquante-quatre ans.
— Alors je suis victime d’une erreur, docteur ; veuillez me pardonner.
Et je le laisse derrière sa belle barbe blanche à changement de vitesse, poils tressés-main, floconnage incorporé, énergie induro-statique. Je le laisse en emportant au creux de l’âme un grand bonheur, comme l’écrirait Machin s’il savait écrire. Enfin la piste O’Goghnaud se précise. Enfin je tiens du sérieux. Voilà-t-il pas que je siffle en me retirant. Et tu sais quoi ? La Marseillaise, mon petit, tout simplement. C’est une grande méconnue, la Marseillaise. On la garde connement pour les manifestations solennelles alors qu’elle est faite pour la vie courante. « Le goût suave du singe » (comme dit Béru en parlant du God Save the King), ça oui, c’est un hymne ultra-pompeux, quasi religieux. Mais l’Allons-z’enfants c’est chouettement passe-partout : pour la promenade forestière, le séjour prolongé aux cagoinsses, le dévalage d’escalier, tout ça, un petit lalère de Marseillaise « Na nana nana nananèèèère » ! En pissant, sur la plate-forme de l’autobus, à la cantoche, en courant à un rancard, en se rinçant Coquette pendant que ta souris se paie une petite séance de trot anglais sur le bidet : Marseillaise ! « Pom pom pom pom … » Bath ! Syncope un peu, la faire tourner jazz. Ça peut se danser, j’ai essayé. Pendant que tu remplis ta déclaration d’impôt, tiens ! Voire ton devoir conjugal si bobonne est longuette à décarrer : Marseillaise. Hésite pas, elle est à nous tous. Patrimoine de saint Bernardin ! l’étang, dard sans gland, élevé… Faut pas se priver. Puisqu’il est réputé national, cet hymne, il doit participer plus étroitement à la vie de la nation, moi je prétends.
Et donc je marseillaise sur un rythme de valse en retournant à « ma » Royce.
Mais à « Ils viennent jusque dans nos bras… », je m’arrête car je viens d’apercevoir quelque chose d’insolite. Ce quelque chose est en réalité un quelqu’un. Et ledit quelqu’un occupe la place passager de la Royce. Je le reconnais de loin : c’est Ted Thomson, le détective de la Mafia ricaine qui m’a chargé de mon actuelle mission.
Il s’est installé dans ma tire et il roupille, ou fait semblant, son chapeau de paille noir à ruban écossais posé sur les yeux. Il a les mains croisées sur son estomac, dans une attitude très made in U.S.A.
— Hello, vieux loustic ! lancé-je en ouvrant brusquement sa portière, c’est pas beau de copier sur le cahier de son petit camarade !
Ted Thomson ne réagit pas. Cherche-t-il à me faire marcher ? Je soulève son bada. Non : c’est lui qui ne peut plus marcher. Il a pris une bastos en plein front, un peu au-dessus du nez. P’t’être qu’il ne s’agit pas d’une balle après tout. On dirait plutôt qu’on se l’est fait avec un pistolet à air comprimé, comme ceux qui servent à équarrir les bœufs. Toujours est-il qu’il est extrêmement mort. Je visionne les alentours. Excepté une vieille quenouille mistifrisée occupée à faire caler le moteur de sa malheureuse petite Austin, le parking est désert. Au-delà, la place conserve sa sérénité.
Bon Dieu de bois, je n’ai pas fait long feu chez le docteur, cependant ! Ça m’a pris cinq minutes à tout casser. Ce laps de temps a suffi pour que Thomson grimpe dans ma tire et se fasse assaisonner. Sa posture relaxe ne lui a pas été composée post mortem, il l’avait adoptée au moment où on l’a praliné. Donc il se trouvait en compagnie de son assassin et entretenait de bonnes relations avec lui puisqu’il ne s’en est pas méfié. Et ma pomme, dans l’histoire ? Je fais quoi de sa carcasse, au collègue ?
Tout en cherchant une réponse à cette angoissante question, je m’installe au volant.
Sir Beston est en superbe tenue de chasseuse lorsque je me pointe à Glenbeigh. Une vraie Diane moderne. Son fusil ne parvient même pas à lui donner l’allure martiale. Et la plume de faisan ornant son bada, il aurait intérêt à se la carrer dans l’oigne où elle ferait plus gai et serait mieux en situation.
— Hello, policier ! il me lance, joyeusement.
Je lui presse la louche. Tout folingue, il tire de sa carnassière un canard à col chmeurtz des marais, et me le montre.
— N’est-ce pas un royal coup de fusil ? exulte le joyeux sir. Rien n’est plus difficile à tirer que le canard à col chmeurtz.
Je lui fais signe d’approcher et je soupire en lui désignant mon pote Ted :
— Ce coup de flingue n’est pas mal non plus, rien n’étant plus délicat à tirer qu’un détective américain.
Sa seigneurerie en laisse quimper son palmipède (qui serait plutôt, une fois dans sa gibecière, un palmipédé).
— C’est vous qui l’avez tué ? questionne-t-il sans émotion trop excessive.
— Oh ! que non. Mais c’est moi qui hérite de sa carcasse.
Je raconte la piquante anecdote à mon « protecteur ».
— Mon impression, cher ami, me dit-il, est qu’une très puissante organisation s’attache à votre perte. On désire vous neutraliser en vous compromettant, la chose est claire.
Il ramasse son col chmeurtz et ajoute :
— A moins que vous ne me racontiez une vaste fable, mon brave monsieur. Que comptez-vous faire de cet individu ?
— J’allais solliciter un conseil de votre haute bienveillance, mylord.
— Ah, diable, que vous dire, vous êtes déjà un pensionnaire dangereux, monsieur Santonio, je ne vais pas de surcroit héberger les cadavres que vous me ramenez. Cette région est lacustre et les lacs y sont profonds comme… des tombeaux. Ce grand sot de W. C. possède une barque amarrée au ponton privé et qui porte le joli nom de « Brise de Mai ». Tout cela constitue une heureuse conjecture, me semble-t-il.