— Eh bien, voici le conseil que j’espérais, mylord.
Il fait une grimace.
— Cela dit, monsieur Santonio, il semble que vos préoccupations vous éloignent passablement des miennes. N’oubliez pas que vous m’avez promis de solutionner mon problème en échange de mon esprit coopératif. Je crains que la police d’ici, ou bien les bandits qui paraît-il vous tourmentent, ne mettent fin à vos activités avant que vous n’ayez tenu parole.
— Je vous donnerai satisfaction, mylord ! assuré-je dans un élan. Et à propos, comment se porte Mister Coy ?
— Il ne se porte pas : il est toujours au lit. J’ai pris la précaution de l’attacher.
— Dame Mary n’est pas surprise ?
— Elle appartient encore à cette race de domestiques qui ne s’étonnent pas des faits et gestes de leurs maîtres.
Il balance son canard comme un pendule, puis gagne la maison. Après quelque furetage, je déniche un énorme soc de charrue rouillé dans un massif d’orties. Ensuite un rouleau de fil de fer sous la remise.
En route pour le lac !
Wallace Coy roule des gobilles de mauvais aloi sur son plumard.
Sir Beston a poussé la sollicitude jusqu’à lui barricader la gueule avec plusieurs bandes de sparadrap entrecroisées, si bien que le pauvre W. C. en est réduit à respirer uniquement par le nez, ce qui n’est déjà pas si mal, car enfin il doit bien lui arriver d’attraper des rhumes ?
— Hello ? vieille branche ! jeté-je joyeusement, étant libéré de ma vilaine besogne d’immergeur.
Je prends place au bord de son lit.
— Figurez-vous que je suis chargé de mission : lord Beston en a sa claque de dépendre de vous et il tient à récupérer le document que vous savez. Comme je n’ai rien à refuser à cet homme exquis, vous allez vous montrer de bonne composition et restituer la chose en question.
Ses yeux furaxent à outrance.
— Ecoutez, W. C., dis-je, ménagez vos rétines, un regard courroucé n’a jamais tué personne ; à ce petit jeu, vous risquez de vous déconnecter le nerf optique et vous irez à la pêche avec une canne blanche !
Le grand cœur qui paraît au discours que je tiens ne l’amadoue pas, il est ignifugé de la pensarde, cézigus.
— Wally, reprends-je, le document, vous ne l’avez pas laissé à Manchester ; il se trouve dans les parages. Et vous ne l’avez pas non plus déposé dans le coffre d’une banque car vous teniez à le garder à disposition de jour comme de nuit. Me trompé-je ?
Il ne peut répondre vocalement, se trouvant muselé comme un journal d’Occupation ; mais il lui est loisible d’opiner.
— Vrai ou faux, Wally ? insisté-je en lui pinçant le nez entre mon pouce et mon index.
Il manque d’oxygène, m’en informe en se trémoussant comme un beau diable.
— Vrai ou faux, Wally ?
Je continue de lui azimuter le circuit. Il continue de se débattre dans les affres de l’asphyxie. Quand son teint violet vire au noir, je lâche son nez blanchi par ma pression énergique.
— Il va falloir me répondre, mon cher. Sinon je vais réitérer en augmentant la durée. Certes votre nez ressemble à une fraise gâtée et m’inspire une profonde répulsion, pourtant je suis décidé à vous le comprimer jusqu’à ce que vous parliez… ou que vous vous taisiez pour toujours. Un signe de tête suffira.
« Le document est-il ici ? »
Il reste impavide. Courageux, ce Rosbif. Je comprends qu’il ne cédera pas. Il a beau être une ordure de maître chanteur, sa force de caractère est monolithique. Pourquoi monolithique ? Parce que tel est mon bon plaisir, mon pauvre vieux, qu’est-ce qu’on peut à ça ?
Et une force de caractère monolithique, eh ben tiens, tu repasseras ! De Dieu de Dieu, la vacca !
Moi alors tu veux savoir ?
J’attire une chaise à son chevet et m’y installe. J’ai le sentiment confus de vivre une autre vie. Ailleurs, plus loin, plus tard, sans signification patente (pourquoi « patente » ? parce que monolithique, pauvre con !). Une vie qui n’aurait jamais été prévue, ni conçue. Une vie fortuite dans une dimension diamétrale, comprends-tu ? Ça ne fait rien, moi non plus.
Et j’attends ainsi, les pinceaux posés sur le montant du lit, les mains croisées sur le bide, comme ce pauvre Thomson naguère, dans la Royce. Et j’essaie de réfléchir, mais ne le puis que par petits flashes, inconséquents. Je fulgure du citron. Plouf ! Une image, un souvenir, un goût de quelque chose, une odeur d’autre chose, une palpitation… Des riens, quoi !
Je fixe W. C.
Il agit de même. Nos yeux vont se promener les uns dans les autres. Il doit s’étonner de mon attitude.
— Vous savez, W. C., je ne suis pas un coquin. Il n’est pas question que je porte atteinte à vos jours…
C’est moi qui cause ainsi, de ce ton feutré, noyé, absent lui aussi ?
— Mais vous vous êtes lancé dans une aventure dangereuse, W. C., car vous avez conduit doucettement un homme à vouloir votre mort. Sir Beston vous tuera bientôt si vous ne quittez pas ces lieux. Moi, à votre place, et avec votre mentalité, je lui demanderais une somme en échange du document. Et puis j’irais finir mes jours sous d’autres cieux. Tenez, en Ecosse puisque la pêche est votre passion. Il y a également de la truite et du saumon là-bas, non ?
Je me tais. Ses yeux viennent de me quitter pour se porter ailleurs. Il regarde son attirail de pêche déposé dans un coin de la chambre.
Un hobbie, comme nous disons en France !
— Dites donc, W. C. de mon cœur, vous savez que je viens de deviner ?
Et l’Antonio bien joli fonce s’emparer de la canne à lancer de l’ancien poulaga.
— Vous voyez, Wally : je vais à la pêche.
CHAPITRE XVI
Je vais à la pêche.
Très joli objet, entièrement en bois de chnock refendu et ligaturé soie avec planture démesurée variable et convexion superlatérale double. C’est léger, souple et d’un maniement zaizé. Lancer, avec cette pure merveille, nécessite une simple pichenette du poignet si j’ose ainsi prétendre.
La bouille du W. C. quand il me voit dégainer l’engin de sa housse !
Je l’examine avec l’attention d’un horloger en train de réparer une Piaget extra-plate. Par moments, je cesse de comporter en brasse-bouillon pour agir minutieusement, surtout lorsque je suis regardé. Un regard, c’est vachement intimidant. Ça te fait paumer tes moyens. Surtout chez nous autres Français. T’as qu’à voir nos piètres résultats en sport. On a les capacités, les moyens, la technique, tout ça. La merde, c’est notre sacrée timidité. En foot, je te prends, personne assisterait à nos matches internationaux et les joueurs adverses auraient les yeux bandés, on gagnerait tout, parole ! Pas une partie nous échapperait. Le tennis pareil ! On est les meilleurs, la chiotte c’est d’être regardé — et faut voir comme ! — par le gonzier situé de l’autre côté du filet. Mais que tu lui cloques deux mochards d’Ayan sur les vasistas et il ne te place plus une balle, ce nœud ! Tu me crois pas ? Et la boxe, tiens. Amène-le, le Monzon, amène-le Cassius-Mohamerde Ali Clay, obstrue-leur les lampions, pas qu’ils t’intimident et tu les alignes comme des sardines chez Amieux. Ali devient Baba !
D’à force de scruter cette canne à lancer sublime, je finis par piger que la poignée de liège de Malte se dévisse. Mais dans le sens contraire au normal. Faut tourniquer de gauche à droite pour qu’elle se dégoupille. Ayant agi de la sorte, elle me reste dans la main. Je désappointe en constatant qu’elle n’est pas creuse, contrairement à ce dont j’espérais. Mais moi, toujours astucieux, voilà que je potasse (d’Alsace) le problo, pas me laisser enfler au premier degré ; me disant qu’une poignée de canne à lancer, y a pas de raison pêchuelle pour qu’elle se visse. Qu’à quoi ça rimerait ? Chaque extrémité de cette poignée comporte une virole en résine siliconnée abrupte. Je force un peu celle du bas, en vain (et même en cent). Puis l’autre. Et la v’là qui se dévisse aussi, la garce, mais dans le bon sens, découvrant une cavité caviteuse de zéro virgule cinq de diamètre. J’oriente la cavité vers la lumière du jour. A première vue, elle paraît vide. Mais j’ai appris à me méfier des premières vues, aussi commencé-je par la seconde. Aussi passé-je délicatement l’extrémité (et comment pratiquerais-je sans commencer par ladite) de mon auriculaire dans l’ouverture le plus profondément possible, je décris un léger mouvement rotatif, comme tu opérais avec ta petite cousine, jadis, lorsque vous jouiez à cache-cache, boug’ de p’tits dégueulasses ! Et je sens frémir la paroi, je me livre alors à l’opération vrille. Tu sais ? Le document ne tarde pas à montrer le coin de sa page, exactement pareil que les vers de terre quand tu joues à enfoncer une tige de métal électrifiée dans le sol. Par ici la bonne soupe ! Je lis rapidement le texte manuscrit qui figure sur cette feuille de vélin inférieur. Du papier vergé. Vergé, il était nécessaire, vu le sujet qui s’y trouve traité.