La Royce s’arrête devant la lourde. Mrs. Aïlikitt apparaît, plus belle que jamais depuis qu’elle a été royalement baisée par un garçon de valeur sachant ce que bander veut dire. Elle rougit de confusance en m’apercevant.
— Ainsi donc, ce pauvre père a défunté ? je lui demande.
— Cette nuit, répond-elle.
Donc, elle ignorait le décès du cher homme quand elle est venue tâter de mon zoom, ce morninge à l’auberge.
— Je désirerais lui donner ma bénédiction épiscopale, madame.
Elle semble hésiter chouchouille, puis s’efface.
Et alors, on entre dans la chambre mortuaire. On a repoussé le lit contre le mur. Au mitan, y a deux tréteaux avec un cercueil tout neuf dessus, dont le crucifix d’argent brille à la lumière rasante du sun couchant.
— Il est déjà en bière ? m’étonne-je.
— Oui, il a fallu, car son pauvre corps…
Elle se tait pour me faire comprendre qu’il fouettait, O’Goghnaud. T’as des gonziers qui se saponifient plus rapidement que d’autres sans qu’Airvouique n’y puisse rien.
Je file sur le cercueil une petite bénédictine maison, urbi, mais sur orbite. Poum, voilà !
— Je voudrais présenter mes condoléances à votre époux.
— Il s’est absenté.
— Mais il va rentrer ?
— Sans doute !
Son regard est un peu bizarre à Mrs. Aïlikitt. Chaviré. Vaguement craintif. En tout cas plein de mensonge.
Pour tout te dire, elle semble être dans ses petits souliers (en irlandais : little shoes). Alors, l’Antonio décide qu’il ne jouera pas les truffes dix secondes supplémentaires.
Béru attend devant la tire en mangeant la sucette au caramel d’un des enfants.
Je le hèle :
— Psst, le sacristain !
Il se pointe.
— Je viens de décider d’explorer le premier, mec. Surveille-moi un peu le bas pendant ce temps.
Et, sans demander l’avis de ma conquête du matin, je m’engager dans l’escalier.
— But, where did you go ! exclame la toute belle. Where did you go donc ?
— Je cherche les toilettes, réponds-je, pardonnez-moi.
— Elles sont ici, ici, ici ! m’implore quasiment presque dame Aïlikitt en me désignant un renfoncement de l’entrée.
— Je préfère celles du haut !
Et ça suffit, je ne réponds plus à ses hélages. La première porte donne sur la nurserie. Joliment décorée de créatures enfantées par Walt Disney. Car enfin, l’art véritable de ce siècle, celui qui l’aura le plus marqué de son empreinte, qui aura eu le retentissement le plus universel et le plus profond, ce n’est ni celui de Picasso ni celui de Kandinsky, pas plus que celui de Miro ou de Magritte, non, l’art souverain du vingtième siècle restera celui de Walt Disney. Les nains de Blanche-Neige et le canard Donald demeurent les créations les mieux abouties, celles dont l’impact aura été le plus grand. L’individu de notre époque appartiendra à Disney, jusqu’à la fin de ses jours et des jours de ses enfants. Le Cubisme, le Surréalisme, l’Abstrait ne signifient rien comparés à Atchoum ou à Bambi.
Le monde actuel n’est plus l’œuvre de Dieu, mais celle de Disney. Et nous sommes désormais les frères cadets de Mickey et des Trois petits cochons !
Deuxième porte : elle donne sur une camera vide, pleine de gravures pieuses.
La troisième est la bonne. C’est celle de la salle de bains. T’admettras que dans ce bled, la salle de bains est le dernier endroit où l’on cause. Cette nuit, j’ai déniché trois malfrats dans la mienne, dans celle des Aïlikitt, j’ai la bonne fortune de découvrir le maître de maison en compagnie d’une charmante infirmière brune, au regard trop « fait » (y a tellement de couleurs autour de ses orbites qu’on est obligé de triller pour pouvoir dénicher sa prunelle).
— Hello ! je leur lance aimablement.
Ils sont debout contre le mur, près de l’armoire à pharmacie, à gauche de la porte.
— Dites donc, c’est pas très convenable ! leur dis-je, ce genre d’endroit est généralement destiné à une seule personne.
Aïlikitt est un garçon maigre, plutôt banal, mais il a l’air grincheux. Son instant de désarroi passé, il m’interpelle ; car les grincheux, leur grincherie leur tient lieu d’énergie.
— Que faites-vous ici ?
— Je vous cherche. Et voyez comme le Seigneur est miséricordieux : je vous trouve.
— Que me voulez-vous ?
— Du bien, cher monsieur. Quelque chose me dit que vous vous êtes engagé dans une vilaine histoire d’où je ne demande qu’à vous sortir.
— J’ignore ce dont vous parlez et je n’ai besoin de personne. Veuillez quitter cette maison immédiatement !
— Vous feriez mieux d’appeler la police ! lui souffle la donzelle brune au regard en patchwork.
— Ne croyez-vous pas ? demande Aïlikitt, mais en anglais, bien entendu.
— Certes, je.
— Oui, il serait préférable.
— Alors il faut !
Le mari de ma bien-aimée s’apprête à me passer devant. C’est le moment que ne choisit pas (car il s’impose à lui) monseigneur San-Antonio pour perdre les pédales. Quand tu joues trop longtemps avec tes nerfs, ce sont des choses qui arrivent. Le déclic, c’est la sale gueule du mec qui l’occasionne. Je te me le biche par le collet et j’amène sa bouille à moi, en même temps que ma tête va à lui. J’en ai une giclée d’étincelles sous la coupole. Lui, j’sais pas, car il se met en flaque sur le carreau. La gonzesse infirmieuse n’en revient pas.
Et elle n’en revient pas très peu de temps vu qu’emporté par ma rage froide et solitaire, je la foudroie d’un crochet au porte-jugulaire : rran !
Tout le monde est descendu en pays minier…
Et maintenant, que vais-je faire ?
CHAPITRE XVIII
Et maintenant, que vais-je faire ?
— Oh sacré bongu de bois ! glapit l’Hénorme.
J’ai déjà descendu la moitié de l’escalier. En deux bonds j’élimine l’autre.
Bérurier se tient dans le couloir et il a la main devant sa bouche. Il me désigne la pièce où se trouve le cercueil. Intrigué, je m’en approche, mais une odeur effroyable me saute dans les trous de nez. Ça pue la charogne.
— J’ai dévissé la botte à dominos, m’explique mon pote. Si t’as du courage, va mater !
Je plaque mon mouchoir sur mon nez, me retiens de respirer et fonce à la bière. Madoué ! Si je m’attendais ! Le cadavre qui repose là-dedans est plus décomposé qu’un rayon de soleil venant de traverser un prisme. Dominant mon indicible répulsion, je me force à regarder le vieillard barbu, drapé dans sa robe de bure. Il est très vert pour son âge, ce mort. Etre clamsé depuis moins de vingt-quatre heures et se trouver dans un tel état constitue un exploit.
Je retourne dans le hall. L’abominable odeur se répand à la vitesse grand vent. Elle investit toute la masure des Aïlikitt.
— Quelle idée t’a pris d’ouvrir ce sarcophage, Gros ?
— Mon sens de l’observance, mec. J’ai r’marqué qu’on avait placé un’bande de caoutchouc pour faire joint autour du couvercle, et surtout qu’les vis étaient rouillées par endroits et un angl’ du cercueil humide. A y r’garder d’près, j’ai eu l’impression que cette boîte à biscuits était fermaga d’puis un certain temps déjà.