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— Vous prendrez bien un thé avec moi ?

— Oh non !

Je décrochai le bigophone.

— Deux thés et une bouteille de champagne, demandai-je au room-service.

Là-dessus, apparition saugrenue de Bérurier, toujours en limouille.

— Técolle, merci bien pour l’eau minérale, fulmina l’Infâme. H’reus’ment que j’m’aye arrangé autrement…

Il se tut en découvrant ma visiteuse.

— Oh, pardon, t’as d’la visite ?

— A la niche ! fis-je en désignant sa chambre.

Mon saint-bernard se replia sans barguigner dans ses appartements. Sa venue avait rompu le charme. La belle Américaine paraissait surprise de trouver ce plantigrade obscène dans mon environnement.

— Mon chauffeur, éludai-je.

Il y eut un silence. Je ne trouvais plus rien à lui dire ; je n’avais plus qu’une seule idée : lui faire ! Elle s’en gaffa, grâce à ce flair qu’ont les femelles dans ces circonstances-là, comme quoi nous devons décréter quéque chose qui fouette. Elle tenta de me désamorcer.

— Vous êtes en Irlande pour affaires ?

— En quelque sorte, oui, dis-je.

Elle fit mine d’attendre de plus amples explications. Et pourquoi ne lui en aurais-je pas fourni ?

— Je dirige un service de police privée, à Paris, et je suis chargé de retrouver quelqu’un…

CHAPITRE III

Je suis chargé de retrouver quelqu’un…

Je fumais un Davidoff, ce matin-là, bien que ce soit le matin, en guise de petit déjeuner précisément, quand cette salope de Claudette m’informa, par l’interphone, qu’un monsieur désirait m’entretenir.

A peine venais-je la prier d’introduire le visiteur que le petit écran vidéo placé sur mon burlingue s’éclaira et que le Vieux s’y montra, dans un halo laiteux, et me dit :

— Ouvrez l’œil, San-Antonio, le type qui va rentrer est certes détective privé aux U.S.A., mais il travaille exclusivement pour le compte de la Mafia.

Comme ça, sec et net ! Et l’écran redevint ce qu’il était un instant plus tôt, c’est-à-dire un simple petit rectangle de verre bombé.

Là-dessus, la môme Claudette fit entrer dans mon antre un grand gaillard blond, à tronche de para hollandais dont le regard vert était aussi chaleureux qu’une poignée de main entre Mosche Dayan et Fehrat Abbas.

Le gus portait un costar bleu très clair, une chemise vert très sombre et une cravate blanche ornée d’une traînée de Tomatoketchup qui ressemblait, de ce fait, à ce qu’on trouve dans les sachets de papier que les grands hôtels soucieux de leurs tuyauteries proposent à leurs clientes.

— Hello ! me dit-il compendieusement en laissant choir dans un fauteuil cent soixante-dix livres de bidoche made in U.S.A.

Il me consentit un bout de sourire avec quatre centimètres de sa bouche.

— Mon nom est Ted Thomson, fit-il.

Il ponctua en lançant sur mon bureau une carte de visite imprimée à Hong Kong sur du carton en pâte de bambou, ce qui fait particulièrement distingué lorsqu’on a la chance inouise d’être américain.

— Vous êtes le fameux Ted Thomson, de l’Agence de détectives Thomson, 123 Thomson Street, N.Y. ? demandé-je sans regarder la carte, ce qui épata agréablement mon interlocuteur.

— Juste, me répondit-il en m’accordant deux centimètres supplémentaires de sourire fourbi à l’émail Diamant.

— Qu’est-ce qui me vaut l’honneur d’une aussi illustre visite, cher confrère ?

Il opina à vide, comme s’il voulait vérifier la parfaite flexibilité de ses vertèbres cervicales. Puis il extirpa une mâchouillée de gum de sa bouche, la tint un moment en équilibre à la pointe de son index et eut l’amabilité de la plaquer sous le rebord de mon bureau.

— Besoin de vous, dit-il.

— Vraiment ?

— Yé ! Je suis à la recherche d’un bougre venu se planquer en Europe et je n’arrive pas à mettre la main dessus !

— Qu’est-ce qui vous donne à penser que j’aurais davantage de succès que vous ?

— Je connais votre réputation, San-Antonio.

Flatteur, hein ? Je le remerciai d’un court salut d’acrobate venant de descendre le long de sa corde, les jambes à l’équerre. Il prononçait magnifiquement San-Antonio. Faut dire qu’ils ont donné mon nom à une ville du Texas, là-bas, ces cons. Comme quoi ils nous prennent tout, ne nous laissant que le communisme.

— Et puis, ajouta Thomson, je suis un peu voyant pour l’Europe.

Qu’il s’en rendît compte dénotait un tempérament objectif. J’aime les hommes capables de faire leur autocritique avec simplicité. Ce type me plaisait. Je le devinais énergique et obstiné. Il devait choisir très vite lorsqu’il avait une décision à prendre et se tenir à son choix.

Moi, tu me connais ? j’adore jouer cartes sur table.

— Le bruit court que vous travaillez pour la Maf, Ted ? lui dis-je avec un sourire capable de désarmer la flotte soviétique au cours de ses grandes manœuvres dans la Baltique et sur le Léman…

Il ne sourcilla pas.

— Exact, San-Antonio. Ces messieurs me font l’honneur de m’employer à plein temps. Une précision cependant : je ne suis ni leur porte-flingue ni leur tueur à gages ; et je tiens à la nuance. Je gratte pour eux comme pour un client ordinaire. La différence est qu’ils me paient mieux. Vous comprenez ça ?

— Bien sûr. Donc, vous êtes aux trousses d’un quidam qu’ils souhaiteraient retrouver ?

— Oui, mais ce n’est pas n’importe quel quidam, puisqu’il s’agit de Vernon O’Bannon. Ça vous dit quelque chose ?

— O’Bannon, n’est-ce pas un vieux forban enrichi dans la drogue ?

— Bravo. La Maf et lui ont eu des patins ces derniers temps et O’Bannon a pris la tangente. Cela fait trois mois qu’il a disparu sans laisser de trace…

— Vous ne pensez pas qu’il aurait pu se planquer dans l’Hudson River, roulé dans du grillage, avec une gueuse de cinquante kilos aux pattes ?

Mon visiteur sourit.

— Si la Maf lui avait joué ce vilain tour, elle ne me proposerait pas cinq cent mille dollars pour le retrouver !

L’énormité de la somme me coupa le sifflet.

Et puis je me dis qu’après tout le gars Ted me bourrait peut-être le mou et que, de toute manière, je me tamponnais le coquillard de ses revenus, n’étant point d’un naturel jalmince.

Il retint un rot poli, en vaporisa la charge alentour et je sus qu’il avait mangé de la saucisse frite à son breakfast.

— Qu’est-ce qui vous donne à croire que O’Bannon s’est réfugié en Europe, Ted ?

— Le fait qu’il était irlandais de naissance et que, peu de temps après sa disparition, sa fille soit partie pour le vieux continent, me répondit cet homme de bien. Et puis se planquer où, dans son cas ? En Amérique du Sud ? Il ne nous aurait pas fallu trois semaines peur le retrouver. En Afrique idem. Il n’a de chances d’échapper à nos recherches qu’en se planquant dans un coin où il passe inaperçu. Or, San-Antonio, vous le savez très bien : on ne passe inaperçu qu’au milieu de ses semblables. O’Bannon est un sacré rouquin d’Irlandais, avec la gueule pleine de taches de rousseur et du poil de goret partout, y compris sur les mains. Je viens d’arpenter l’Irlande, mais sans succès, à filer sa môme, dans l’espoir que la petite me conduirait à lui. Mais j’ai l’impression qu’elle n’en sait pas plus que nous et qu’elle le cherche, elle aussi.

Il avait passé une jambe sur l’accoudoir de son fauteuil et la balançait fortement, à m’en flanquer le tournis. De temps en temps, la pointe de sa godasse venait frapper le dessous de mon bureau, ébranlant celui-ci.

Ces heurts me cassaient les claouis et j’avais envie de le lui dire. Thomson fouilla ses poches intérieures et en sortit une photo qu’il me jeta, comme il m’avait jeté sa superbe carte en canne à pêche compressée.