Je crus périr, princesse, et si je ne périssas pas, c’est uniquement à cause de ma parfaite constitution. Mais, durant mon séjour dans le coma, ma pensée ne se sépara pas un instant du bon maréchal Amin Dada dont j’eus longtemps le mufle sur le visage. Sa respiration produisait le bruit des chutes du Niagara. Ce monsieur doit posséder une capacité thoracique équivalente à celle dont jouissait le regretté dirigeable Graf Zeppelin. Le déplacement d’air me tira des limbes. Je crus, étant donné la pagaie de mon esprit et les meurtrissures de ma viande, flotter contre la coque d’un cargo peint en noir. Mais c’était en réalité le corps athlétique du glorieux militaire qui remporta tant de victoires sur les tribus Zizipanpans, O’tmoualdouadla et Gnoufgnouf, grâce à la mitrailleuse lourde de son artillerie.
Son regard avait ce sérieux de l’ogre qui se demande s’il va te manger cru ou à la broche et attend une réponse de ses papilles.
Ah, oui, princesse, ce fut une expérience très terrible, car je n’étais qu’au début de mes peines.
CHAPITRE XXVII
Au début de mes peines.
Qui voit Pléven voit ses peines, disait-on sous la Quatrième et avant-dernière République.
Moi, j’ai de la veine de ne pas voir mes veines car elles doivent être dans un triste état. Je ne suis plus qu’une ecchymose !
Les sbires du maréchal Amin Bourrin m’ont dépiauté entièrement. A mon tour je suis nu. Ils m’ont ôté mon mercurochrome et ils vocifèrent en me désignant du doigt ; surtout la nana porteuse de café qui trimbale un pansement à l’épaule. Elle me paraît drôlement teigneuse, cette souris, et comme vindicative. Et puis voilà que je pige tout quand, au plus fort de ces gnagnagnades, elle désigne sa blessure. C’est elle qui est venue en compagnie de deux gonziers, dans ma chambre de l’auberge, l’autre nuit, avec l’intention de me marquer au fer rouge. Quand j’ai opéré ma contre-attaque à la lampe à souder, c’est cette splendeur sombre qui a dégusté. Elle s’en plaint amèrement auprès du grand chef et doit lui solliciter ma peau de sa haute bienveillance. Amin Canasson l’écoute en passant son énorme main d’anormal congénital sur sa face pour film d’épouvante de série C.
— Well ! Well ! il dit.
II se met à réfléchir. Cézigue, quand il pense, ça fait comme un qui demanderait, au moment de payer, où il a oublié son porte-mornifle.
Enfin, il lève un doigt plus gros que sa zézette. Le doigt du milieu vu qu’il était sergent-major avant d’être promu maréchal.
— Il faut aviser, dit-il dans un anglais un peu savonneux.
Il se dirige vers un portemanteau où est accroché son pantalon et un énorme talkie-walkie. C’est l’appareil qu’il saisit. Il en développe l’antenne et se met à messager en dialecte ougandais (du moins je le suppose, car il n’a aucune raison de parler lapon ou aztèque). Il cause sans presque remuer ses lèvres qui ressemblent au sexe démantelé d’une vieille pute marseillaise. La voix qui lui répond est aussi nasillarde que la sienne. Plus lente. Presque plus autoritaire. Ça dure un certain temps, pour être précis, et il coupe la communication.
Ceux qui attendent me filent des coups de saton à la sournoise dans les côtelettes, la fille brûlée surtout. Je frémis à la pensée de ce qui m’attend. Ces braves gens doivent aimer les hautes voies de fait sur la personne de leurs ennemis vaincus.
Le président brille comme l’armoire de noyer de ma chère défunte grand-mère, sauf qu’il est beaucoup plus large. Son œil se fait de plus en plus blanc, son souffle de plus en plus bruyant. Il tend dans ma direction son bras souverain et biscoteux. Juste comme il va parler, cette merderie de radio répandue dans la demeure lance son blaze à toute volée. Le speaker déclare que le maréchal Amin Dada a disparu après avoir quitté Kampala depuis quarante huit heures pour, a-t-il déclaré, participer au jubilé de la Couine Elisabeth. On signale que la tour de contrôle de l’aéroport de Dublin a détecté l’appareil à bord duquel l’illustre tas de viande aurait pris place. On tiendra les zauditeurs informés de la suite des événements.
Un long silence suit. Puis ces messieurs-dames se mettent à rire et à jacasser comme une volière pleine de perroquets.
Amin claque ses belles fesses d’intellectuel. Il trouve ça farce. C’est la meilleure de l’année. Oh, les cons ! Comment qu’il les possède !
Il en est si joyce qu’il me marche sur le bide de façon mutine, en camarade. J’ai l’impression que l’Empire Stade Buildinge vient de me sauter dessus à pieds joints.
Tout de suite après, changement de programme sur un ordre du noble poids lourd, jaloux sans doute de la bienveillance de la nature à mon endroit (et c’est exactement pile recta le mot qui convient), quelques petites friponnes salaces se jettent sur mon hémisphère austral pour me flamboyer les vigueurs. T’imagines pas que je vais me livrer à une démonstration de haute voltige devant ces ahuris, non ? Il est pas bon pour se donner en spectacle, l’Antonio très San. Bavouiller sur la scène de l’Olympia, merci bien, je te laisse !
Mais ces diablesses sont tellement expertes que pour résister à leurs papouilleries, même en étant blessé et conformiste, une volonté de fer n’y suffit pas. Surtout quand c’est pas la volonté que tu as de fer ! L’assistance m’encourage en battant des mains.
« Non, me dis-je, pas de ça, mon cher Sana, tu as ta dignité ! Le respect humain n’est pas fait pour les manuels de morale des écoles communales corréziennes d’avant 14. Tu te dois de… »
De zob, oui ! J’ai beau penser à des choses terriblement affligeantes, j’ai la bébête qui monte, qui monte. Surtout qu’il y en a une parmi les autres, tiens, tu te rappelles l’ancienne ministre des Affaires étranges ougandaises qui s’est fait piquer à pomper les passagers dans les chiottes d’Orly ? Combien déesse elle était, sublime de partout, raffolante, divine ? Eh bien, sa jumelle ! Et pas manchote du prose, si je puis me permettre. De Dieu de Dieu, cette science poussée jusqu’à l’abominance des choses de la tringle. Et quelle acrobate ! Si je te disais qu’elle se tient soulevée du sol, en prenant appui sur ses mains et ses pieds, les jambes violemment ouvertes et le ventre en furie. Et que même… Mais non, ce serait trop poussé d’y dire.
Toujours il est que j’oublie mes hauts sentiments, si chiants quand la chair t’emporte. Et que je bondis sur la demoiselle, au vu et suce de tout un chacun.
Ces salingues me criblent de coups de savates pendant la séance. J’oublie cette grêle de gnons sur mes plaies vives. J’oublie ma plaie d’orgueil. Ce sera pour plus tard, pour après.
Tout en ramonant la noirpiote comme un sauvage, à même le tapis, je la déplace à grands coups de reins féroces. Parce que, vu que t’es un pote, je vais tout de même te mettre le nez dans la confidence. Si j’ai décidé de brosser mamz’elle, ça n’est pas seulement parce qu’elle me faisait foutrement envie. C’est surtout parce que j’ai repéré un gros flingue à la ceinture du pantalon d’Amin accroché au portemanteau. Donc, c’est dans cette direction que je la bourre, cette salope ! Et tiens, et vlan ! Cognez toujours, mes lascars ! C’est ça : flagellez ce cou de blanc de blanc… Chaque poussée me fait gagner quelques centimètres.
Les autres, surexcités comme à un culte vaudou, scandent mes poussées. Ils sont en transe, les yeux hors de la tronche, les langues pendantes, la sueur sortant de leurs toisons noires. M’y voici presque. Alors je marque un léger temps d’arrêt pour faire basculer ma partenaire. La pratiquer en levrette, manière de changer un peu les plaisirs. Elle est surdouée, cette merveille. Faut que je me cramponne ferme pour pas aller à dame trop vite, qu’autrement, tout serait foutu. Quand j’ai limé Fleur-de-Savanes une troisaine de minutes, je décide d’adopter encore une nouvelle pose. Debout, cette fois : le fin des fins, pour pro seulement ! A la cosaque, ou à l’auvergnat. La seule différence c’est qu’à l’auvergnat t’as pas d’éperons.