Un bruit de pas. Plusieurs personnes viennent de pénétrer chez le Dr Martin. Et puis soudain, tout se fige. Je vois tourner le loquet de la lourde. Mon instinct joue à bloc : je me jette en arrière de manière à être masqué par la porte. Mon ami le casse-noix relève sa tête hypodermique pour mater quelque chose qui lui prend peur. Une main gantée entre dans la pièce, pourvue d’une superbe pétoire dont l’esthétisme est mutilé par l’adjonction d’un vilain silencieux.
Un « vlouff » pareil au décapsulage d’une bouteille de champagne lorsque ça se passe en douceur. L’étonnement du vieux genêtophile croît d’autant plus qu’il vient de se payer une balle entre les deux yeux. Et poum, il te m’en meurt séance tenante, ce pauvre diable, faisant ainsi l’économie d’une consultation.
La main gantée se retire avec arme et badge. La porte se referme. La servante, morte de frousse, ne peut pas contenir des gémissements qui annoncent son imminent évanouissement.
Pour ma part, derrière la porte du salon, avec toujours mon carton plein de genêts sous le bras, je me sens un tantisoit surpris. Des choses pareilles, excepté dans mes books, tu les trouves nulle part ailleurs, ou alors à des prix exorbitants.
Le cortège silencieux s’enfonce dans la maison. Alors moi, commissaire chéri, je dépose ma boîte sur une chaise et je dégage la mitraillette qui y est planquée.
Elle est justement pourvue d’un chargeur. Y a que le cran de sûreté à ôter. Ce dont je. Je pose mes Charles Jourdan des dimanches. En chaussettes, je ne fais pas plus de bruit que l’ombre d’un chat sur du velours. Des cris retentissent, soudain. Et des « vlouff vlouff vlouff ». Les cris cessent.
Ça pue la poudre dans le secteur. La traillette à l’épaule, je remonte le couloir jusqu’à la pièce où ça lunchait.
Une double porte vitrée dont un battant est ouvert me permet de découvrir la scène suivante…
CHAPITRE VII
La scène suivante…
Dans ces cas-là, voilà ce que je te propose : tu t’avances à pas de chaussettes, comme décrit ci-avant. Tu regardes. Et tu vois quoi ? Tu vois une salle à manger Regency, un peu popote. Dans cette salle à manger devenue pour la circonstance une salle à mourir, il y a quatre personnes très absolument mortes, à savoir : la gentille servante grassouillette, à bec-de-lièvre et de tortue qui rien-ne-sert-de-mourir-il-faut-partir-à-point ; le Dr Mââârtine et son épouse, gens d’allure grave et trépassée dont je fais ainsi la connaissance posthume ; et enfin un jeune homme efféminé qui doit être le pseudo mari de Cathy O’Bannon. Tous quatre ont défunté d’une balle dans la nuque et sont dans la position assise, avec leurs têtes dans le porridge. Voilà pour les victimes. Venons-en aux meurtriers. Ils sont trois. Trois types portant des cirés noirs, des chapeaux de feutre foncés, agrémentés d’une plume de zoiseau, et de grosses lunettes noires. Plus des gants de chevreau. Des professionnels à la technique éprouvée, croye-moi. Chacun est muni d’un pétard à silencieux. Ils ont accompli leur boulot comme des grands : célérité, efficacité, discrétion assurée. Outre eux, outranciers, outrée : Cathy. L’un des assassins se tient derrière elle, le canon de son feu appuyé contre la ravissante nuque de la jeune femme. Va-t-il faire feu ? Peut-être, encore que peut-être pas, si tu veux ma conviction intime et définitive.
Moi, je commence par le commencement, à savoir par praliner les deux autres. Deux brèves rafales : une à gauche, l’autre à droite ; et parfaitement ajustées, puisque le premier touché est trépané au-dessus des sourcils et que tu pourrais déguster sa cervelle à la coque ; tandis que le second a reçu le bouillon d’onze heures en plein poitrail. Pour ôter son cœur, maintenant une pince à épiler suffirait. Le problème restant à résoudre, c’est le troisième zigomard. Planqué derrière la fille O’Bannon, il jouit d’une position privilégiée.
— Jetez votre arme sinon je l’allonge ! me dit-il avec l’accent londonien.
— Si vous l’allongez, qu’est-ce qui me retiendra alors de vous couper en deux, l’ami ? objecté-je.
Il place le canon de sa pétoire sur l’épaule droite de Cathy et défouraille. L’inconvénient des silencieux, c’est qu’ils ne permettent pas de bien ajuster ton tir. A partir d’une certaine distance ça merdouille un brin. La balle ne siffle même pas à mes oreilles. Je bondis en arrière de façon à me trouver à l’abri du couloir.
A présent, les deux équipes réclament un temps mort pour avoir le temps d’examiner la situation. Pour ce qui me concerne, je me dis que mon adversaire a provisoirement l’avantage puisqu’il détient Cathy en otage. Tant qu’elle sera vivante et devant lui, je ne pourrai l’asperger d’étoiles filantes.
Il se dit cela parallèlement, mais en anglais, ce qui lui nécessite quelques secondes de plus.
— Ecoutez, me crie-t-il, je vais sortir avec elle et vous ne broncherez pas !
— Essayez toujours, réponds-je.
Je mate alentour, à la recherche d’un plan de secours. Ma pensée tourne comme une turbine emballée. Je me dis que ceci, et puis que cela, et d’autres choses plus viceloques encore.
Mon gus a certes l’avantage, mais il sait que s’il arrive quoi que ce soit à Cathy, il aura droit comme promis, à sa ceinture de plombs. Il lui faut donc manœuvrer habilement. La moindre défaillance et ce sera sa Toussaint. C’est alors que l’Antonio chéri a son coup de génie habituel…
Car, tu n’auras pas été sans observer que je ne suis pas le genre de gusman à stagner dans le schwartz très longuement. Aussi, voilà ce que mon esprit fertile vient de micmaquer : grimper au premier étage à toute pompe, le plus silencieusement possible. Sauter dans la rue par une fenêtre sans m’estropier ni m’estromanier. Y attendre la sortie du méchant avec sa proie et le cueillir par-derrière puisqu’il ne s’y attend pas.
Moi, tu sais pas ? En m’élançant, je fais claquer de toutes mes forces la porte de la salle à briffer laquelle, exceptionnellement et pour les besoins de ma cause, s’ouvre sur le vestibule. Son bruit ponctué de vibrations et de bris de vitres consécutifs couvre le froissement de ma fuite.
J’élance donc pour gravir l’escalier garni d’un tapis. Au fond du couloir desservant les chambres du premier floor, se trouve la fenêtre que j’espérais. Je la soulève car, bien que n’appartenant pas au style Louis XVI, elle est à guillotine, l’enjambe et, non sans appréhension, me virgule dans la rue. En chaussettes, un saut de quatre mètres n’est pas recommandé. Bien entendu je me meurtris les chevilles. Ça me file des étincelles plein la calotte, des lancées dans toutes les cannes jusqu’à leur delta, et même, mes sœurs Brontë en sont comme électrocutées.
Mais le plus douloureux, c’est le ressaut de la mitraillette que j’ai passée en bandoulière. Le canon me file une sorte de coup de goum’ sur l’os-qui-pue (comme dit Béru) et j’en tombe à genoux de saisissement, pile devant une vieille religieuse à lunettes bleues qui porte des ribouis de troupier d’avant quatorze.
Elle est miraud au point d’entrer dans les cabines téléphoniques pour se confesser, la pauvre grande.
— Vous avez perdu quelque chose, frère ? elle s’inquiète.
Et comme je tarde à répondre, elle murmure :
— Ne serait-ce point ceci ?
Je regarde ce qu’elle me présente : il s’agit d’un coquet pétard nickelé extra-plat, pour l’aumônière.
Des gens passent, s’étonnent sûrement dans leur for intérieur de découvrir sur la voie publique un superbe gentleman en chaussettes, harnaché d’une mitraillette et tenu en respect par une vieille nonne bien honnête friande de nonnettes ; seulement, oublille pas deux choses, mec : la première c’est que l’Irlande a été occupée pendant sept siècles, je crois par les Anglais (si je me goure t’inquiète pas, ça n’a plus aucune importance et m’écris pas pour rectifier, ta lettre je saurai même jamais de quelle couleur qu’elle était ni combien tu fais de fautes d’orthographe à la ligne) ; la deuxième, c’est que ces pauvres biquets, là-haut, avec leur guerre religieuse de mes fesses, ils marchent au milieu des bombes comme toi au milieu des merdes de cadors, sur les crottoirs parisiens. Alors nos simagrées, entre le flegme et l’habitude, c’est tout juste si un quidam ira les signaler à un flic pour peu qu’il en croise un sur sa route en rentrant calcer sa rouquine et faire chauffer sa Guinness au bain-marie (des îles). Yaya, ce qu’ils s’en branlent, eux z’autres, de nous voir dans cet équipage, la religieuse et moi.