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L’un des techs de la Sûreté qui relevait les empreintes autour de la couchette se redressa. Il écarquillait les yeux. « Cinq orteils ! »

C’était l’empreinte du pied du bébé.

« Le mauvais gène, marmonna Val. Ils le portaient tous les deux. Cela explique ses actes anti-S.T. »

Le capitaine de la Sûreté se remit lentement sur pied.

« Vous allez envoyer des chasseurs ?

— Bien sûr, dit Val. Envoyez ce rasoir au Comité des Objets Tranchants », dit-il en le lui tendant, la lame refermée.

Chien Courant roula jusqu’au sphincter d’ouverture du Garage. Walter resserra les boucles de la combinaison de Val et lui tendit un casque Pelger-Huet : une sphère large et légère, à la surface extérieure granulaire, pourvue d’un hublot horizontal en forme de haricot.

« Penses-tu que ce soit sage d’aller seul à sa poursuite ? interrogea le vieux Walter. Ses cartes murales sont très détaillées, ajouta-t-il en les examinant. Il sait où il va. »

Val opina, l’air lugubre.

« Aucune raison d’envoyer une section entière. Il faut continuer les patrouilles de routine. De toute façon, on ne peut utiliser qu’un chasseur à la fois. Ils ont besoin de leur drogue pour sortir, et ils se chasseraient les uns les autres si on en larguait plusieurs. Je connais le Bricoleur. Je pourrai peut-être le persuader de rentrer.

— Et si tu n’y arrives pas ?

— Je serai à l’intérieur de Chien Courant. Rien à craindre. Le Bricoleur n’a pas d’équipement protecteur. Il ne peut voyager que de nuit. Ça ne devrait pas être difficile de les trouver.

— Que vas-tu faire ?

— Ça dépendra du Bricoleur. J’ai les mains liées. On. m’a donné des ordres. S’il veut sacrifier sa vie pour un gosse non autorisé et une compagne anti-S.T., ça le regarde », dit Val en s’emparant de son arc long et lourd. Ses longues heures d’entraînement allaient enfin servir à quelque chose.

Walter fit mine de rentrer sa carcasse à l’intérieur de Chien Courant. Val l’en empêcha.

« Reste là, et surveille le C.C. Tu m’aideras davantage en t’occupant des détecteurs de Broncos. Je ne sais pas combien de temps je serai parti. »

Le sphincter se relâcha. Walter se protégea les yeux. Après le départ de Chien Courant, il étudia les mémoires optiques et sonores du distributeur du Bricoleur. La naissance du bébé l’intéressa. Il observa les mains habiles du Bricoleur accomplir avec douceur les gestes de l’accouchement ; il traitait Mu Ren et le bébé exactement comme les machines sur lesquelles il travaillait sans cesse ; machines un peu molles et humides, mais biologiquement en bon état. Walter fit passer les enregistrements au Psychokinétoscope, à la recherche des Subtils Indices trahissant les psychoses. Rien. Jusqu’à leur désertion, le Bricoleur ainsi que Mu Ren semblaient stables. Walter était confondu. Passer aux Broncos relevait d’un comportement psychotique : car l’environnement, Dehors, était hostile, mortel pour les citoyens.

Le vaisseau de Chasse se posa tranquillement dans un verger et scruta le canal moucheté d’écume. Des cétacés mugissaient et plongaient. Val éteignit les lumières dans la cabine, mit son arc en travers de ses genoux et attendit. Il était certain que le Bricoleur se montrerait dès le coucher du soleil. Mais, de façon inattendue, l’écran capta une silhouette en marche vers lui.

« Le soleil est encore haut, murmura Val. Le Bricoleur devrait savoir qu’il ne faut pas s’exposer à… » Le lecteur enregistra les soixante-dix kilos de la silhouette, et sa crinière, sa large carrure, ses seins : une pouliche. Elle était dans l’eau jusqu’aux genoux, et longeait la rive. Val eut un mouvement de crainte et chuchota dans le transmetteur à son poignet : « Une pouliche solitaire. Très grosse. D’après les données, elle est en pleine phase lutéale. »

La pouliche s’arrêta et jeta à la ronde un regard méfiant.

« Peux-tu l’atteindre ? » souffla le vieux Walter.

Val encocha calmement sa flèche et fit signe à Chien Courant d’ouvrir son hublot. La machine refusa.

« Directive Première, monsieur, dit-elle. Vous ne pouvez pas chasser de l’intérieur de ma cabine. Ce serait me faire prendre une part active à la mise à mort d’un hominidé. Sortez. Découvrez-vous.

— Mais je suis contrôleur ! explosa Val.

— Elle a pris peur », dit la machine.

Sa proie s’était enfoncée plus profondément dans l’eau. Pendant quelques secondes, sa chevelure sèche traîna à la surface. Puis elle disparut, ne laissant que des bulles minuscules. Chien Courant s’éleva dans un nuage de poussière et de feuilles, et se mit à sa poursuite. Son corps chaud luisait sur l’écran. Val se balançait au bout du harnais ; il se posa sur la berge opposée, dans les traces de la pouliche. Il réencocha sa flèche. Chien Courant s’éloigna, s’en tenant à son rôle passif de taxi en attente. Val fouillait du regard les eaux vert menthe, essayant de calculer à quel endroit elle émergerait pour prendre sa respiration. Les secondes devinrent des minutes. Elle devait avoir parcouru une bonne distance. Vigilant et inquiet, il descendit plus bas sur la berge.

Il trébucha sur quelque chose d’humide et de froid, et laissa partir sa flèche. Les optiques de Chien Courant suivirent sa trajectoire incertaine ; elle alla se ficher dans un massif floral. Val se remit debout péniblement et gémit dans le transmetteur.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Walter.

Val retira son gant et palpa la forme visqueuse.

« C’est la pouliche. Elle m’a devancé, en quelque sorte. Bonne nageuse !

— Dépêche-toi de lui couper la carotide. Elle est dangereuse.

— Elle est déjà morte », fit Val, railleur. Walter étudia les indications portées sur les senseurs. Le corps était bien celui de la pouliche. Môme masse de soixante-dix kilos. Mêmes seins, mêmes épaules. Même chevelure longue. Simplement, elle était à présent mouillée, et sa température avait rejoint la température ambiante. De la boue couvrait ses jambes, sous les genoux.

Val demanda à Chien Courant de venir le reprendre.

« Tu ne prends pas de trophée ?

— Je ne l’ai pas tuée, dit Val. De plus, c’est le Bricoleur qui m’intéresse. J’ai déjà perdu trop de temps. Transmets une note à l’Echantillonneur afin qu’on vienne examiner ses restes dans la matinée. »

La nuit tombait. Val se prélassait dans sa cabine, écoutant un programme récréatif tandis que l’engin de Chasse se chargeait de la surveillance. Les lampes témoin clignotèrent.

« Quelque chose en vue.

— Voyons ça sur le faisceau de Perception Extra-Visuelle, murmura Val. Je veux me rendre compte… » Il s’arrêta, bouche bée. « La pouliche ! »

Ils purent voir la femelle aux longs cheveux se ranimer, s’extirper des choux humides de rosée et plonger dans les eaux chaudes du canal. Elle disparut à nouveau.

« Ils sont immortels ! dit Val, suffoqué.

— Reprends-toi, fit impérieusement le vieux Wal-ter. Je l’ai vue aussi, mais il doit y avoir une explication logique. Sans doute un senseur défectueux ou une transmission insuffisante. Chien Courant n’est pas en très bonne condition. Je pense que vous devriez remettre votre Chasse et rentrer. Les patrouilles de routine trouveront le Bricoleur demain. »

Val n’eut pas besoin de se faire prier davantage. En tremblant, il s’attacha à son siège, dans la sécurité de la cabine, et fit hurler le programme récréatif.

Moïse Eppendorff mit en place le volet neuf et éprouva sa mobilité. Il portait l’emblème de sa caste, le Verseau, qui était aussi celui du Conduit. Quand l’autre volet fut posé, le champ visuel se rétrécit, et les jardins lumineux disparurent lentement. Les jardins lumineux, si inquiétants.