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Les magasins renfermaient fort peu de renseignements sur des choses comme le soleil, la lune et les étoiles, comme si elles étaient tombées en désuétude, atrophiées. Dans la flore de la fourmilière, on avait rangé les espèces utiles des diverses bestioles qui partageaient la chaleur et la nourriture dispensées par la Grande S.T. : poux, cafards, rats dodus (également répertoriés comme gibier) et insectes. Rien d’autre. Rien ne nageait dans les mers, ne volait dans les airs ni ne se mouvait sur terre. Les poissons, les oiseaux, les reptiles et les mammifères, tous avaient disparu. Moïse ne pouvait les regretter, n’ayant jamais connu leur existence. Simplement, il s’étonnait un peu de ce que toute la masse protoplasmique de la planète soit concentrée en une seule espèce de la chaîne alimentaire de celle-ci. L’homme était décidément une créature favorisée.

Vers la fin de la semaine, il prit contact avec la caste du Conduit pour savoir quel était son prochain travail. Le visage carré de J. D. Birk apparut sur l’écran, souriant.

« Pas besoin de venir prendre votre quart, Moïse. Votre melon est une réussite importante. C’est un plasmode, exactement comme nous l’avions présumé. Au stade trophique, c’est une amibe de taille normale qui se développe dans les boues anaérobiques. À maturité, elle se combine et sporule comme un fongus. Le Bio la considère comme inoffensive.

Le Synth envisage de laisser mûrir le melon jusqu’à ce qu’il soit gris et de l’essayer en premier lieu dans les savorisées aux champignons. Si ça marche bien, nous allons rouler dans les Au-grammes. En attendant, votre Escalade a été autorisée. Vous allez recevoir votre équipement. »

Moïse écoutait, assis sur le bord de sa couche en mâchant son petit déjeuner. Il s’attendait plus ou moins à ce qu’il venait d’entendre ; mais le visage de Birk lui avait paru plus contracté que d’ordinaire, sa voix plus tendue.

Le distributeur se mit à délivrer les articles nécessaires à l’Escalade. Il vérifia minutieusement ses nouveaux vêtements, à la recherche de défauts éventuels, avant de jeter les usagés dans le digesteur, par le vide-ordures. Il y avait également de la nourriture en barres pour la durée du voyage jusqu’aux montagnes. Il allait passer plusieurs jours dans le métro, même s’il ne perdait pas de temps aux distributeurs. Les distributeurs publics retardaient fâcheusement le voyageur ; en dehors de cela, il ne leur était pas défavorable. Après tout, les distributeurs n’étaient en général que des classes treize, et il fallait contrôler soigneusement l’identité des voyageurs. Moïse ne tenait pas à ce qu’un non-travailleur mange des calories savorisées en les faisant porter à son compte.

Il y avait deux jours entiers que Moïse se battait contre la foule puante pour avancer. Il était las de veiller à ne pas marcher dans les excréments visqueux, les cafards écrasés, ulcéré de trébucher sur des corps en putréfaction qu’on avait laissés là, écœuré en permanence par les miasmes putrides qui saturaient ses filtres nasaux. Il regrettait d’être venu.

Il descendit, pour prendre un peu de repos, dans une cité-puits inconnue, il y avait les habituels monceaux de détritus et les regards débonnaires. Il trouva un coin où il s’assit pour dormir. Le bruit sourd et répugnant d’une chute le réveilla. Quelque chose mouilla sa joue. Encore un suicide. Un sauteur. À la dislocation du squelette, Moïse jugea qu’il – ou elle – s’était jeté d’une hauteur de quatre cents mètres environ. Il semblait qu’il y ait plusieurs cadavres. Cela irrita Moïse. Le sauteur n’avait pas eu la décence élémentaire de prévenir par un cri afin qu’on dégage la zone d’impact.

Moïse était à présent tout à fait réveillé. À coups de coude, il se fraya un chemin jusqu’au métro et poursuivit son voyage. Une Balayeuse de classe neuf le frôla. Elle avait la forme d’un escargot, était haute d’un mètre cinquante et occupait la place de dix humains en s’activant à humecter, à frotter et à aspirer le sol taché. Sa poche aux parois minces contenait déjà une masse assez volumineuse, pourvue de coudes et de genoux.

Le métro déposa Moïse au fond du puits de Récré. Il était seul. Le grand distributeur de la spirale appela son nom et lui délivra un lourd paquet de rations : des denrées de base déshydratées pour son séjour en montagne. Tandis qu’il l’arrimait sur son dos, il maudit intérieurement la caste du Conduit. Les conduits transportaient tout sur la planète : les hommes, la nourriture, l’eau, l’air… tout, et sur des milliers de kilomètres, mais toujours horizontalement. Jamais verticalement. Il n’y avait pas assez d’énergie pour cela.

Le puits de Récré était étroit, à peine trente mètres de diamètre. La spirale avait une pente de vingt pour cent. Çà et là, un boyau. Pas de gens. Un point lumineux au centre de la spirale indiquait ce qu’il estima être la ligne des trois mille mètres d’altitude. Il respira profondément l’air froid, humide, métallique et entreprit l’ascension à vive allure. Au bout de trois heures, il dépassa trois hommes aux cheveux gris, affalés sur leurs sacs.

Il tira quelque vanité de sa résistance, jusqu’à ce que, une heure plus tard, une fille-puberté plus sept le dépasse. Son paquetage était à peu près aussi lourd que le sien. Elle portait la blouse et l’emblème de la caste des Assistantes.

Il s’arrêta pour dormir à l’altitude de quinze cents mètres. Il rampa jusqu’à l’intérieur d’une cabine, et fut surpris de la trouver aussi stérile. Il n’y avait pas de distributeurs, aussi les gens ne restaient que quelques heures. Les parasites ne pouvaient donc pas s’installer.

Il dormit plus de dix heures. Un sommeil profond et tranquille, puisqu’il n’eut pas besoin de se gratter ni de se donner des claques, comme d’habitude.

Il rencontra son Assistante en haut de la rampe. C’était une femme de puberté plus dix ; Pépithélium de ses muqueuses était probablement stratifié. Elle n’était pas déplaisante. Mais bornée et parfaitement aseptique. Il suait et vacillait sous le poids de son paquetage, épuisé. Elle le maintint fermement par la bretelle de son sac.

« Souper ou sexe ? » demanda-t-elle, en guise d’accueil.

Par politesse, il s’abstint de grogner : « Sommeil ». Après tout, il était parti pour une Escalade.

Il se força à sourire et redressa précautionneusement son dos douloureux.

« Et pourquoi pas les deux, une fois que je me serai rafraîchi ?

— J’ai gardé un peu d’eau. Viens. Nous allons former une famille pour deux semaines. »

Elle le conduisit à leur chambre. L’éclairage était faible, et il accorda plus d’attention à la température de son bain qu’au décor. Elle trouva le savon dans son sac et le lui lança dans le rafraîchisseur. Il régla le débit afin de maintenir l’eau à hauteur des genoux. Il trempait depuis un quart d’heure quand elle vint le rejoindre avec une brosse dure. Il se tournait dans l’eau, qui lui arrivait au menton, tandis qu’elle lui récurait la peau avec les soies raides. L’eau était un peu trop froide à son goût, mais il dut reconnaître qu’il commençait à se sentir propre.