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« L’homme a-t-il un jour atteint les étoiles ? »

Curedent ne répondit pas tout de suite.

« Je n’en suis pas sûr. Mon stock de mémoire n’est pas tellement fourni. Les informations y ont été emmagasinées il y a longtemps. Beaucoup n’ont aucun sens pour moi. J’ai tenté de me connecter sur les circuits de la Grande S.T., mais les magasins sont bien protégés. Chaque fois que j’ai établi le contact, les champs de repérage m’ont détecté et nous avons dû fuir pour échapper aux chasseurs. Les étoiles ? Je sens une chaleur que je ne puis expliquer dans mes circuits. J’aime à penser que l’homme a bien atteint les étoiles, avant que la fourmilière ne commence à stagner. »

La stagnation. Moïse savait ce qu’il en était. La caste du Conduit n’arrivait même pas à résoudre le simple problème de la pollution de l’eau potable.

Ils parlèrent toute la nuit. Curedent et Moon avaient parcouru la plus grande partie des deux continents principaux de l’hémisphère. Les conditions de vie étaient partout les mêmes. Dans les régions tempérées et tropicales, l’homme s’était réfugié dans les cités-puits souterraines et avait mis en culture chaque centimètre carré de la surface. On tolérait les vagabonds Hors les Murs tant qu’ils restaient peu nombreux, mais on les pourchassait impitoyablement lorsqu’ils se multipliaient.

Curedent n’aimait pas cette nouvelle Terre, mais, pensa Moïse, c’était un cyber de compagnie, et il aurait naturellement préféré un monde dans lequel il aurait pu remplir un rôle plus important que celui de vagabond.

À l’aube, Moon remit en place l’assommoir à l’entrée de la grotte. C’était un splendide ouvrage de pierre taillée, si l’on arrivait à oublier la pointe pour n’admirer que le fini du contrepoids et de la clef de marbre.

Bloquant la clef du pied, Moon dit : « Je ne voudrais pas que quelqu’un se blesse pendant notre absence… » Sa tirade le fit rire.

Il ramassa une section de tube longue de dix centimètres et la fixa à la hampe de Curedent. Cet objet était muni d’un lecteur optique et il l’avait placé tout près de la détente. Curedent était davantage qu’un jouet.

Moon rassembla l’équipement du petit homme agressif et l’amena auprès du feu. Il empocha les barres de nourriture et essaya différents articles vestimentaires.

« Ce textile d’ordonnance ne doit pas faire long feu », se plaignit-il.

Il s’apprêtait à sortir quand Moïse exprima son désaccord.

« Merci pour l’invitation, mais je n’irai pas avec vous. Votre mode de vie me paraît intéressant, mais je ne veux pas finir mes jours comme un piétineur de récoltes, un fuyard… et encore moins comme un cannibale. »

Moon s’empourpra de colère.

« Sais-tu vraiment à quoi tu veux retourner ? À la sécurité de ta civilisation fourmilière ? À quoi ressemble ta vie ? Tu vis seul, sans aucune possibilité de changer ton avenir. Ton travail ? Brasser les eaux d’égout ou tuer les psychotiques. L’amour ? Néant. Ne me parle pas de ton Assistante, là-bas. Elle t’a décroché de cette échelle uniquement pour garder sa part de tes rations. L’avenir ? Tu n’en as pas. Cette civilisation ne laisse se reproduire que les quatre-orteils. Si tu viens avec nous, tu auras plus d’enfants que tu pourras en compter. »

Cette perspective fit sursauter Moïse.

« Des sauvageons ? Avoir des enfants pour qu’ils soient traqués toute leur vie ?

— Mieux vaut être traqué que ne pas exister du tout. Ecoute, tu dois à la race humaine d’essayer de transmettre ton gène cinq-orteils. Curedent pense que tu es né avec un cinquième orteil embryonnaire. La fourmilière, c’est le terminus pour l’humanité, la fin de l’évolution. Les Néchiffes peuvent survivre des centaines de millions d’années avec leurs quatre orteils. Mais ils ne peuvent plus évoluer. La fourmilière est pareille à un organisme vivant : chaque individu n’y est qu’un élément devant remplir une fonction spécifique. Même sexe et reproduction y sont séparés. Si jamais il naissait un mutant pouvant donner une lignée d’individus supérieurs, il finirait probablement en suspension. Il n’a fallu que quelques milliers d’années pour passer de la découverte du feu aux fusées spatiales. Mais, dans les millions d’années à venir, la fourmilière ne réalisera rien. Elle n’en a pas besoin. Elle est la forme de vie dominante sur cette planète. »

Moon regarda brièvement le vieillard, Curedent et Dan.

Il assura la courroie de son sac sur son épaule, mit son casque et dit : « Bon, j’étais venu voir ce qu’il y avait de l’autre côté de la montagne. Autant aller regarder de près. »

Deux humains, un chien et un cyber, gravirent la montagne jusqu’au sommet. Ils y découvrirent une vue réconfortante : des rochers nus, de la glace, de la neige et, à l’infini, un ciel bleu moucheté de petits nuages blancs et floconneux. Le vieil homme désigna ce paysage austère d’un geste orgueilleux.

« Il n’y a pas d’habitacles au-dessus de trois mille mètres. Nous pouvons suivre cette crête sans nous presser. Plus loin, au nord, se trouvent les vestiges d’une zone boisée : quelques conifères authentiques et des lichens en abondance. »

Moïse se débarrassa de son casque Pelger-Huet alors qu’ils traversaient un col. Il jeta un coup d’œil vers l’ouest, vit des étendues géométriques. Cultures étagées, monotones, chapeaux de puits et canaux. Des millions de quatre-orteils vivaient là-bas, dans les ténèbres, tandis qu’eux jouissaient du soleil et du vent. Son front lui brûla d’abord un peu, puis bronza.

Il s’instruisit aussi. Curedent se mit sur la longueur d’onde des robots agriculteurs et guida leur groupe vers les réserves de nourriture. Quelques livres de plancton séché leur fournirent l’énergie nécessaire pour atteindre les tomates ligneuses. Ils en remplirent une couverture et purent ainsi parvenir aux champs de céréales. Sa combinaison isolante était munie de poches très commodes et d’une gourde, mais il fallait se déplacer plus vite sur les versants inférieurs plus chauds. Elle le gênait.

Bientôt, Moïse se retrouva vêtu de haillons, comme Moon.

Quand il leur fallait traverser un terrain découvert, ils trottaient rapidement, à cinquante mètres de distance les uns des autres. Les détecteurs de Broncos accordaient peu d’attention aux formes à sang chaud isolées.

Val et le vieux Walter étudiaient le rapport, incrédules.

« Moïse Eppendorff passé aux Broncos ? D’abord notre Bricoleur, et maintenant lui ! gémit Val. Pourquoi ? »

Walter respira avec difficulté, selon son habitude, mais sa voix était calme : « Il n’y a aucun lien entre ces deux affaires. Le Bricoleur a été contraint de partir, parce que la Grande S.T. voulait lui enlever son enfant. Nous mêmes, nous pouvions comprendre cela. Nous avons essayé de lui obtenir un certificat. »

Cela n’apaisa pas Val. « Mais nous ne pouvons pas excuser son acte. Nous l’avons chassé ; et nous l’aurions tué au besoin… je suppose. »

Ils regardèrent le dossier contenant le rapport établi par l’Echantillonneur. Ils ne l’avaient lu ni l’un ni l’autre : il renfermait les conclusions après autopsie des trois corps en décomposition trouvés auprès de l’évent d’aération par lequel le Bricoleur s’était échappé.

« Et Moïse, poursuivit le vieux Walter, a été envoyé Dehors par son supérieur, Birk ; c’était une récompense pour sa découverte du melon de Moïse. L’enfant du Bricoleur, le melon de Moïse… même résultat : un citoyen perdu Dehors. Simple coïncidence.

— Et ces émissions sur faisceau dense ? » insista Val.

Walter haussa les épaules.

« C’est le problème de la Sûreté, pas du C.C. »

Val ne fut pas satisfait pour autant. Trop de citoyens qu’il admirait étaient passés aux Broncos. Quelque chose allait de travers.