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« J’ai l’impression que nous nous heurtons à des forces occultes, murmura-t-il. Mais il doit y avoir une explication logique. Le Scrutateur pourrait-il transmettre ces données à la machine de Classe Un, pour diagnostic ? »

Le Scrutateur dit : « C’est fait. Résultat dans une minute. »

À l’approche du vaisseau de Chasse, Kaïa s’élança dans une course en zigzag. Chien Courant avait du mal à le suivre. Le chasseur vêtu de blanc se balançait au bout de son harnais, avec ses énormes lunettes et son arc. Kaïa vit le casque, pareil à une tête de mort, et les flèches meurtrières. La peur étreignit sa poitrine. Il se recroquevilla et se refroidit.

Les senseurs sondèrent les environs. L’écran était vide. Nulle trace d’un corps à sang chaud.

« Le voilà disparu à nouveau ! dit Walter en désignant l’écran.

— Envolé ? fit Val.

— Si je ne croyais pas dans les expériences de Kjolen-Milo, je dirais que nous sommes en présence d’un cas de téléportation. »

Val secoua la tête. « Non, leurs équations étaient tout à fait convaincantes. Ce Bronco est toujours là-bas. Simplement, il n’apparaît pas sur les senseurs. »

« Chien Courant, appela Walter, que le chasseur continue les recherches. Il débusquera peut-être le Bronco. »

L’appareil rentra au Garage refaire sa provision d’énergie.

Douze heures plus tard, le chasseur commençait à être fatigué. Il se tenait sur la rive au-dessus de la grille de sortie des effluents de Filly, regardant de ses yeux brouillés le flot tiède et chargé d’urine se déverser en tourbillonnant dans le système des canaux. Une nuée de moustiques dansaient dans les vapeurs qui entouraient son visage. Au cours de la nuit, il avait inspecté chacune des sources de chaleur se trouvant sur la peau de Filly, pour la plupart des émanations de la cité elle-même. À présent, il dormait debout. Sa veine jugulaire reçut une injection de Stimulant. Il ouvrit les yeux sans pouvoir les fixer. Son détecteur signala un corps chaud se déplaçant le long du canal. Il encocha une flèche et s’avança furtivement, traquant une Agrimache en route vers les champs.

Kaïa reprit ses sens. Le silence qui l’environnait depuis de longues heures avait débloqué son réflexe d’hibernation. À l’abri des blés hauts, il risqua un coup d’œil ; pas de chasseur en vue. Il se rua dans un verger et cueillit un doux-fruit. Puis il partit en courant vers le canal protecteur.

La première flèche le toucha au fémur droit, clouant son pagne au sommet de la cuisse. L’impact l’envoya au sol, plié en deux sur la flèche. Il se traîna quelques mètres et vit le masque lugubre du chasseur au-dessus du talus herbeux. La corde de son arc était tendue. Kaïa tira sur le bois ensanglanté. Il sentit remuer les lambeaux de pagne qui avaient pénétré dans la blessure, mais les grandes barbelures tenaient ferme dans son quadriceps. Il se remit péniblement debout et essaya de courir, mais le trait, long d’un mètre, vibrait et crissait douloureusement contre ses nerfs et les esquilles d’os. La seconde flèche le frappa dans le dos, entrant sous l’omoplate droite et traversant le poumon droit. Il baissa les yeux et vit les barbelures humides et rouges qui dépassaient de son sternum. L’herbe lui sauta au visage.

La vue de sa victime déclencha chez le chasseur la suggestion post-hypnotique de la prise du trophée. Son ardeur sanguinaire retomba et il se détendit. Son doseur prépara la Récompense Moléculaire, au bout de la bande. Il marcha sans hâte vers le corps de Kaïa, qui gisait dans une mare de sang coagulé, avec de gros caillots d’une gelée pourpre. Il se pencha sur la forme qui se refroidissait déjà et sortit son couteau à trophées.

L’épaisseur de son casque ne lui permit pas d’entendre le gargouillis en provenance du canal. Il ne vit pas la pouliche. Elle sauta sur lui à pieds joints, le piétina, étala son corps en charpie sur un cercle de trois mètres de diamètre. Les os crayeux claquaient avec un bruit sec, le sang rosâtre giclait partout.

La pouliche posa sa main sur la gorge de Kaïa. Satisfaite, elle rompit la pointe barbelée de la flèche fichée dans la poitrine. Précautionneusement, elle retira le bois sous l’omoplate. Elle enfonça des chevilles de bois dans la cuisse afin d’élargir la blessure et permettre aux barbelures de passer. Le trait sortit sans difficulté.

Chien Courant découvrit les restes du chasseur un peu plus tard. Les enregistrements faits par le transmetteur à sa ceinture racontaient toute l’histoire. Val et Walter examinèrent les gros caillots de gelée pourpre et les flèches brisées.

« Faites venir le Biotech, dit Val. J’aimerais savoir de quoi sont faits ces caillots. Ça ne ressemble en rien à notre sang. »

Walter acquiesça. Il étudiait les gros plans montrant les points d’impact de la flèche. « On en profitera pour lui demander de projeter ces blessures sur leur mannequin tridimensionnel. Elles me paraissent mortelles.

Le Biotech revint, un mannequin transparent sous un bras, une pile de comptes rendus sous l’autre.

« Ce sont bien des caillots de sang, dit-il, en montrant la substance gélatineuse. Un sang anormal, bien entendu. Le taux d’hémoglobine, de fibrino-gène et d’hématocrite est trois fois supérieur à la normale. Quinze grammes d’hémoglobine, si cela vous dit quelque chose ! »

Val hocha la tête.

Le tech mit le mannequin debout.

« La blessure de la poitrine est mortelle. La flèche transperce le hile du poumon droit, où se situent les bronches et des vaisseaux importants. La blessure de la jambe, bien que grave, n’entraînerait probablement pas la mort… si elle était soignée rapidement. »

Val fit le tour du mannequin et compara avec les enregistrements optiques. Si l’anatomie du Bronco était un tant soit peu analogue à la leur, il devait être mort.

« Qu’est-ce qu’une pouliche peut bien vouloir faire d’un Bronco mort ? »

Le tech haussa les épaules : « Ce sont des cannibales, monsieur. »

Cette explication ne suffisait pas à Val. Trop de questions demeuraient sans réponse. Les émissions sur faisceau dense provenant du Dehors, les corps décomposés sur la piste du Bricoleur, et ces bizarres résurrections.

« Pourquoi des cannibales chercheraient-ils à nous faire perdre les traces du Bricoleur ? »

Silence.

« Réponse du C.U. », annonça le Scrutateur.

Val actionna le lecteur sonore et l’imprimante. Il espérait que le mystère allait se trouver quelque peu éclairci.

L’ordinateur universel de Classe Un parla, avec la voix aimable d’un vieil homme compréhensif mais sûr de lui.

« Ce problème des Broncos qui deviennent froids n’est pas nouveau, commença le C.U. Le réflexe d’hibernation s’est révélé chez les Broncos depuis l’instant où nous avons commencé à les chasser à l’aide des détecteurs de chaleur animale. Ils possèdent un gène qui leur permet d’accroître la tonicité de leur axe neuro-humoral, et la suspension de l’activité métabolique peut être un mécanisme de défense quand les circonstances l’exigent. En l’occurrence, c’était pour se défendre contre les chasseurs. Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas à me les poser. En attendant, tous les renseignements que vous pourrez amasser nous seront utiles. »

Ils attendirent poliment que l’écran soit redevenu vide.

« Ils font le mort, tout simplement, dit Val en souriant. Au moins, nous ne luttons pas contre des forces occultes. Les histoires de sorcellerie, moi, ça me rend nerveux. » Il frémit. « Je sens encore le corps humide et froid de cette pouliche. Je regrette à présent de ne pas lui avoir coupé la carotide, et de l’avoir laissée partir. Ça ne se reproduira plus. »