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Il s’enfonçait dans la poussière. Des toiles d’araignée s’accrochaient à lui. Dans le faisceau de sa lampe, il aperçut un cercle formé de squelettes desséchés : des gens qui, sous l’effet de la Récompense Moléculaire, s’étaient pris pour des champignons. Il transmit l’information à la cité, mais on ne pouvait procéder à l’Echantillonnage sur des ossements.

Il continua, passant devant des poutres, des cylindres creux et des conduits de toutes tailles, certains chauds, qui semblaient battre comme des cœurs, d’autres flexibles et froids. La poussière grise et noire, spongieuse, lui montait jusqu’aux chevilles, s’amoncelant dans les coins et recouvrant tout d’un capiton poudreux. Les câbles et les fils métalliques étaient transformés en colonnes épaisses. Il dut à plusieurs reprises chasser les dépôt cotonneux pour identifier l’objet ainsi masqué.

Des traces de rats, profondes, ressemblant à celles de serpents, s’entrecroisaient dans la poussière. Il y avait des crottes de rats partout. Il promena le rayon de sa lampe autour de lui. Des centaines de paires d’yeux en vrille s’allumèrent.

« Cité, fit-il. Il y a des tas de rats, ici.

— La plupart de mes citoyens croient à la réincarnation, fit la voix dans son casque, et ne mangent pas de viande. Ils croient voir leurs ancêtres dans les rats. »

Val dit ironiquement : « Si je croyais en la métempsychose, je penserais plutôt que mes ancêtres seraient ravis de voir abréger leur carrière de rat. De plus, nous sommes à présent les seuls carnivores pouvant détruire les rats, et c’est peut-être dans l’Ordre de la Nature que nous les mangions. »

Cette philosophie cynique n’eut aucun effet sur la cité. Elle le dirigea vers l’endroit où les nids étaient en plus grande densité. Il rampa sous un conduit d’air qui sifflait. Il s’accrocha à une robuste solive pour passer au-dessus d’un gouffre profond, sur un tuyau étroit. Quand il dirigea sa lampe vers le bas, le vertige étreignit sa commissure cardio-œsophagienne. Seule une toile d’araignée venait de temps en temps intercepter le faisceau lumineux. L’abîme noir semblait sans fond. Devant lui, il vit l’un des organes de la cité : une sphère de trente mètres de diamètre, à laquelle des flexibles faisaient une tête de méduse. Il la toucha. Elle était chaude, sèche et silencieuse.

« J’ai trouvé un de tes organes énergétiques. »

La cité consulta les plans de son anatomie. « Mes filtres membraneux sont à droite. »

Il pataugea dans la poussière jusqu’en haut d’une épaisse conduite. Elle était creuse. Des voix et des bruits de pas la faisaient vibrer. C’était un boyau. Les rats adultes devenaient plus nombreux et plus hardis. Ils restaient obstinément sur son passage, jusqu’à ce qu’il les pousse du pied. Ils ne devaient pas être très savoureux. La puanteur douceâtre des nids vint frapper ses narines. Moite, ruisselante, l’énorme sphère froide des filtres membraneux se profila bientôt. La transpiration de la cité se condensait et dégoulinait le long de la paroi extérieure, alimentant en eau potable les rongeurs. En dessous du filtre, de petits nids sombres s’aggloméraient sur les poutres ; de courts tunnels creusaient la poussière visqueuse. En s’approchant, il ressentit sous ses pieds une démangeaison causée par la vibration des pompes.

Il libéra l’azote dans son sac et enfila le gant épais indispensable dans cette chasse. Il choisit un grand nid et y introduisit sa main. Les tendres bébés rats qui attendaient leur mère partie en quête de nourriture se pressèrent sur le gant. Il en ramassa trois poignées qu’il fourra dans le sac à gaz. Leurs couinements et leurs soubresauts cessèrent très vite.

Il continua à parcourir les poutres humides, tout en remplissant son sac. Il sentit quelque chose de lourd peser sur sa botte et vit un rat occupé à ronger sa semelle. Il l’écarta d’un coup de pied. Bientôt, il traînait dans le sac la moitié de son propre poids.

Il s’assit pour se reposer et ôta de son casque les plus gros moutons de poussière.

« Y-a-t-il une trappe d’accès à un boyau, à ce niveau ?

— Derrière vous, à trente-trois mètres », répondit la cité.

Les visages de papier mâché qui se levaient vers la trappe qui s’ouvrait furent mouchetés de poussière noire comme de la suie. Il se laissa tomber dans le boyau en soulevant un nuage de particules semblables à des duvets noirs. Il jeta le sac bosselé sur son épaule et descendit la spirale, laissant derrière lui des empreintes de pas noires. Il se rendit au local du Surveillant pour payer sa dîme.

Le Surveillant, un neutre dont la tête avait la forme d’un melon, frotta ses mains grasses et sourit de satisfaction devant l’importance de la prise. Il alla ouvrir la lourde porte de la presse.

« Six cents degrés avant le pressage, et trois cents après ? »

Val acquiesça derrière sa visière salie. Le Surveillant le conduisit au rafraîchisseur public, tandis que la viande subissait le traitement requis. La machine de classe treize mit du temps à amener l’eau à la bonne température, ce qui fit maugréer Val. Puis il sortit, rinça son équipement et prit dans le distributeur de nouveaux vêtements en textile d’ordonnance. Le grésillement de la friture et l’odeur de la fourrure brûlée emplirent la pièce alors qu’il se rhabillait.

La presse tomba avec un choc sourd qui fit trembler l’habitacle. L’odeur de rôti protéique attira la famille-7 du Surveillant. Val examina cet assortiment de femelles polarisées, de tous âges et de toutes tailles. Elles portaient la robe fendue et serrée à la taille, réservée à la fusion.

« Des calories pour la fusion de ce soir, dit le Surveillant en frappant dans ses mains pour les refouler dans l’habitacle. Des calories savorisées. »

La presse se releva. De la vapeur montait des galettes couleur muscade que Val commença à faire passer dans son sac. Il étouffa un juron et souffla sur un doigt brûlé. Le Surveillant se servit d’une spatule à long manche pour empiler sur un plat décoré la part qui lui revenait.

« Voulez-vous vous joindre à notre fusion vespérale, frère ? » proposa-t-il.

Val refusa courtoisement. La perspective de toutes ces muqueuses lui coupait l’appétit. Comme il s’en allait, il perçut les claquements de lèvres et les bruits de succion de leur repas-fusion. Le rat pressé était un mets de choix. Les saveurs étaient propices à la fusion des âmes.

Il déposa son attirail de chasse dans son appartement et alla porter le rat pressé chez Walter. Il rencontra Bitter-Femme devant la porte, et elle se mit à tâter son sac lourd en protéines. Il la repoussa d’un froncement de sourcils.

« Où est Walter ?

— Là-bas », fit-elle en désignant la cabine du vieil homme. Val parcourut des yeux le living-room spacieux, près de trente mètres carrés… les avantages d’une famille-5.

Le gros homme, radieux, invita Val à pénétrer dans sa petite cabine malpropre, d’environ dix mètres carrés. Plusieurs centimètres de terre sèche recouvraient le sol. Dans un coin se trouvait un pot d’argile sans ornement, avec une plaque de gazon épais et indiscipliné. Des briques séchées s’empilaient contre un mur, comme les lingots d’un trésor.

« Tu es Batébrien ? » interrogea Val.

Walter sourit. Ses pieds terreux étaient chaussés de sandales. Sa tunique était tellement feutrée, brunâtre, que Val eut la certitude qu’il la gardait pliée sous le pot d’argile quand il ne la portait pas.

« Bambou, terre, brique… B.T.B., » dit-il. Il offrit à Val l’unique chaise de la pièce, en bambou tressé. Elle craqua sous son poids.

« Tu arrives juste à temps pour la cérémonie, dit

Walter, la respiration sifflante, en enlevant ses sandales.

— La cérémonie ?