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Arthur la repoussa : « Pas maintenant. Je dois danser ; et n’en prends pas non plus, Bitter. J’ai besoin d’une partenaire. »

Jo Jo ruminait silencieusement. Il prit la R.M. et s’isola dans un coin avec ses visions.

Walter se tourna vers Val et demanda : « Tu n’as pas peur de la R.M., n’est-ce pas ? C’est sans aucun danger. Nous l’utilisons constamment sur les chasseurs… »

Val regarda de travers son aîné : « Mais les chasseurs en ont peut-être un réel besoin. J’en ai vu avec des muscles enflés, et dont l’urine était sombre et trouble, sans doute la rhabdomyolyse.

« C’est très douloureux, et la Récompense Moléculaire allège sûrement leurs souffrances. On l’emploie également sur les retraités, de manière officielle. Et on ne voit pas beaucoup de personnes âgées dans la fourmilière. »

Walter protesta.

« La R.M. ne peut pas prolonger la vie. Rien ne le peut. Notre espérance de vie est de vingt-cinq ou de trente ans, et la R.M. contribue à rendre cette vie plus heureuse. La Grande S.T. nous l’accorde comme une récompense de choix. »

Val contempla son verre sans mot dire. Il contenait un liquide rouge et visqueux, qui sous la chaleur de sa main dégageait une vapeur aromatique.

De la musique jaillit du distributeur. Arthur Neutre régla le son. Des formes dansantes envahirent l’écran.

« Nous sommes prêts pour la danse, annonça cérémonieusement Arthur. Bitter… ? dit-il en tendant la main vers la femme assise. Elle se leva, il la prit dans ses bras. Ils évoluaient lentement, étudiant l’écran pour essayer de copier les mouvements. Val les observa un instant, fasciné par leur complète inaptitude à suivre le rythme de base. Puis il reporta son attention sur la boisson et la nourriture. Busch s’endormit. L’heure habituelle du coucher était largement dépassée.

« Tu peux aussi bien rester dormir », proposa Walter, en lui tendant de la literie en textile d’ordonnance.

Val cligna des yeux, ensommeillé. Ils mirent Jo Jo au lit et rompirent la fusion à trois heures.

« Veux-tu lire quelques pages de ma Bible S.T. avant de te coucher ? » proposa Walter.

Val dormait déjà.

Oiseau Bleu considéra ses membres emplumés, ses pattes roses. Il se trouvait dans un nid qui contenait des plumes rouge vif et des fragments de coquilles blanches. Le soleil était chaud. De jolies fleurs orange et pourpre dansaient dans le vent, qui faisait battre leurs pétales comme des ailes. Mère Oiseau vint se poser au bord du nid et laissa tomber dans son bec un délicieux asticot couleur chocolat. La saveur en était marron également. Une brise douce agita les feuilles roses. Sa mère l’appela, l’invitant à sortir du nid. Il n’eut aucune peine à s’envoler, et monta très haut. Sa mère l’entraîna plus haut encore, dans des flocons de nuage vanille dont il goûta au passage la saveur blanche. Oiseau Bleu était heureux. Sa mère regagna le nid, mais il voulait continuer à voler. Elle le réprimanda. Ses cris de colère lui firent mal. Les jolies fleurs devinrent hideuses. Les parfums devinrent puanteurs. Les plumes bleues de ses ailes se recroquevillèrent en des doigts grotesquement repliés. Désemparé, il chercha sa mère. Elle avait disparu. Il aperçut son nid, en bas. Il fit des efforts désespérés pour rejoindre sa tiédeur rassurante. Il descendit en piqué. Le vent heurta avec force son visage, faisant trembler ses cils. Le nid monta à sa rencontre… prit… lentement… l’aspect de… LA BASE DU PUITS.

Le matin amena Val et Busch, maussades, devant le distributeur. Bitter disposa les ustensiles et distribua ses rituelles étreintes matinales, pour leur soutirer un rabiot de savorisées. Elle mit le chauffage dans le rafraîchisseur et prépara des vêtements en textile d’ordonnance pour ceux de ses hommes qui travaillaient. Le vieux Walter entra en se dandinant, dans une tunique chiffonnée et terreuse.

« Bien dormi ? » lui demanda Bitter en souriant à Val. Il hocha la tête.

« J’ai un peu regretté notre fusion si chaleureuse des autres jours », fit-elle d’un ton boudeur.

Busch grommela quelque chose, d’où il ressortait que la communion des âmes pouvait s’effectuer par d’autres voies que les muqueuses. Arthur entra et prit sa ration de calories de base dans le récipient du distributeur. Il resta là à attendre que Walter ou Busch l’autorisent à commander des savorisées… sur la part qui leur était accordée, en échange de leur travail.

« Jo Jo ne te donne-t-il pas de savorisées en ce moment ? dit Busch, mécontent.

— Je crois qu’il n’apprécie pas mes efforts », dit Arthur.

Walter fit un signe au distributeur, qui produisit un sandwich aux vitamines savorisées. Val se leva pour prendre congé et parcourut les visages autour de lui.

« Où est Jo Jo ? » demanda-t-il.

Bitter leva les yeux vers lui. « Tu ne l’as pas vu partir ? Quand je me suis levée pour préparer la table, sa couchette était déjà vide. »

Val haussa les épaules. « Il a dû se lever sacrement tôt ! »

Un cri qui allait en s’éteignant les interrompit : un sauteur !

Busch bondit de sa chaise et se faufila rapidement jusqu’à la spirale. Il abaissa son regard sur la foule poivre et sel à la base du puits, et la vit refluer autour du corps fracassé du suicidé. Avant que les flots de la foule se soient refermés sur lui, il put reconnaître la tunique de Jo Jo.

Busch revint annoncer en jubilant : « Jo Jo donne une fête, pour tout de suite. » Il se mit à commander, aussi vite qu’il le pouvait, des denrées hautement savorisées au distributeur, les plus coûteuses. Les plats s’empilaient devant lui.

« Tout de suite ? » éructa Bitter.

Val, dans l’embrasure de la porte, hésitait. Une autre fusion ?

Le distributeur mit brutalement fin à ses livraisons portées au débit de Jo Jo. Un senseur à la base du puits avait enregistré la cessation des fonctions vitales.

« Jo Jo est mort. Les calories à son crédit passent au Compte Commun », signala la machine de classe treize. Son tiroir se referma sur une grosse saucisse protéique qui fut coupée en deux.

« Tu le savais ? questionna Walter, choqué.

— Dépouiller un mort ! » s’indigna Val. Ils fixèrent tous deux le produit du larcin.

« Bien entendu, dit Busch. Si seulement la foule avait eu la décence élémentaire de ne pas le piétiner aussi vite ! Il avait bien atterri, à l’horizontale. Pas de fémur dans le ventre. La cervelle avait à peine jailli. Ceux qui sautent de notre niveau survivent d’habitude plus longtemps. Au moins deux heures. »

Bitter tirait avec avidité les aliments, mettant de côté les denrées non périssables qu’elle pourrait troquer. « Ce n’est pas aimer les siens que d’emporter ses calories avec soi ! Après tout, nous étions sa famille. S’il voulait nous quitter, la moindre des choses aurait été de donner une fête d’abord.

— Quelques livres de savorisées supplémentaires ne nous feront pas de mal », ajouta Arthur en se mettant à la besogne.

Walter ouvrit la bouche, dans l’intention de les critiquer. Mais il ressentit l’obligation d’exprimer ses sentiments profonds :

« Je suis aussi coupable que vous, soupira-t-il. Jo Jo était un travailleur, et je comptais profiter de ses savorisées, quand je serai retraité. À présent, nous sommes réduits à une famille-4. »

Bitter lança à Val un regard interrogateur. Il secoua la tête.

« Il faut trouver un nouveau membre pour notre famille », dit-elle.

Walter rassembla ses esprits et reconduisit Val à la porte. « Bitter, tu vas rester ici avec Arthur et vous allez interviewer les postulants à la succession de Jo Jo. À quatre, nous ne garderons pas longtemps cet appartement. Val et moi allons accompagner l’Echantillonneur qui va examiner les restes de Jo Jo. Il faut que je sache s’il est mort à cause du CI. ou de la R.M. »