« Il y a de la place pour une famille-7 ici ; constata Val.
— Je suis assez haut dans la spirale, loin des installations de la base du puits. Il n’y a guère de demandes pour les étages élevés, et mon travail de réparateur justifie l’augmentation de ma base-logement. »
Val hocha la tête, approbateur. Un distributeur se trouvait auprès de la couchette du Bricoleur. Val toucha le sélecteur et une petite barre de nourriture symbolique fut éjectée par l’appareil.
« Je l’ai reconstruit moi-même, expliqua fièrement le Bricoleur. Bien sûr, ce n’est pas un modèle agréé, mais ça me donne quelqu’un à qui parler ; c’est un cerveau de classe treize. Mais, tout comme mon rafraîchisseur, il ne peut rien fournir tant que la pression n’atteint pas ce niveau. Cela arrive rarement, en ce moment ; alors, je l’approvisionne avec quelques petites denrées de première nécessité que je rapporte moi-même. Je dois aller à la base du puits pour la plupart des choses. »
Val parla au distributeur. Celui-ci répondit poliment et lui proposa quelques en-cas. Son écran énuméra les Jeux et Divertissements en cours. Il secoua la tête et alla plus loin, jusqu’à un établi surchargé. Il vit un tambour noir, d’un mètre cinquante de haut et de quatre-vingt-dix centimètres de diamètre au bout de la pièce. Il était dressé sur des blocs isolants ; un faisceau de fils métalliques pendait d’un morceau de câble souple au centre de la partie supérieure. Quand il s’en approcha, le Bricoleur l’éloigna d’un geste.
« Attention. C’est un accumulateur géant que je suis en train d’expérimenter afin de pouvoir faire marcher mes outils quand il n’y a pas assez de courant. Il est probablement chargé à bloc en ce moment, et mon matériel isolant n’est pas bien fameux. Par mesure de sécurité, j’essaie de ne pas en approcher à plus de deux mètres. »
Val s’émerveillait de l’ingéniosité du Bricoleur. Le tambour semblait très puissant, presque menaçant. Il fit un large détour et pénétra dans la cabine voisine. Encore du matériel électronique. Des câbles épais qui conduisaient à une antenne directionnelle. Des diagrammes et des cartes couvraient les murs.
« J’écoute les vaisseaux de Chasse et les Agrimaches », expliqua le Bricoleur.
Val mit le nez sur une des cartes et chercha les détails précis qui lui étaient familiers. « C’est extrêmement détaillé.
— C’est un passe-temps intéressant », fit le Bricoleur.
Dans l’autre pièce, le distributeur commença à cliqueter et un mince imprimé en sortit. Pendant que Val manipulait les écouteurs au rembourrage épais, le Bricoleur alla en prendre connaissance.
« C’est un permis de naissance… pour moi ! brailla le Bricoleur.
— Rien de surprenant, dit Val en souriant. La Grande S.T. reconnaît simplement tes talents. On n’a jamais assez de Bricoleurs. »
L’autre revint, avec une figure d’enterrement. « Mais c’est un permis de classe trois ; bébé-éprouvette, avec incubatrice humaine-au-choix. Je vis seul.
— Et alors ? Tu n’as personne qui puisse te le porter ?
— Non, dit le Bricoleur, agacé. Qui voudrait le faire pour rien ? »
Val opina. « Je sais ce que tu veux dire. Aucune femelle polarisée n’est disposée à devenir enceinte d’un classe trois, à moins… à moins qu’elle n’éprouve un certain sentiment envers le père. Tu n’as pas d’amies pourvues d’utérus ? »
Le Bricoleur eut un signe de tête négatif. « Je vis seul. C’est plus simple. J’ai mon boulot ; c’est un bon boulot. Pourquoi la Grande S.T. veut-elle tout chambouler ? Je ne suis même pas polarisé. »
Val tenta de l’apaiser : « J’ai été partiellement polarisé. Il me fallait des épaules larges pour le tir à l’arc… le Sagittaire, tu sais. Ce n’était pas si désagréable. J’ai une bonne carrure, maintenant. Je dois aussi m’épiler chaque semaine, mais ce n’est pas grand-chose. Et ça m’a rendu un peu plus vif. Ça me déplairait beaucoup d’être complètement polarisé… mais si la Grande S.T. l’ordonnait, je me soumettrais. Je suis un Bon Citoyen, voilà tout. »
Pour un neutre, le Bricoleur faisait déjà preuve d’un certain mordant.
« Pas moi, dit-il en se renfrognant. Je ne veux pas que mon rendement diminue. Je suis docile, mais il est évident que vivre seul améliore beaucoup mon efficience. Une famille-3 ne servirait qu’à mettre la pagaille dans ma zone de travail. »
Val le comprenait. Etant un famille-1, il disposait d’une cabine pour lui seul.
« Tu peux toujours essayer de demander une modification. À la place, l’Embryogenèse pourrait te donner un permis de classe un. L’Utérimache porterait l’enfant, suggéra Val. Descends tout de suite. »
Le préposé à l’Embryogenèse jeta un bref regard sur l’imprimé et secoua la tête.
« Désolé, Bricoleur. Pas de modification possible. Toutes nos Utérimaches sont pleines, et notre budget est serré. La venue de votre bébé-éprouvette devra s’effectuer conformément à la programmation. Il faut penser aux générations futures. Elles auront besoin de vos compétences. Allez, soyez un Bon Citoyen et trouvez une femme pour le porter.
— Je n’ai pas de femme.
— Aucune ne vous plaît ? interrogea le préposé en vérifiant la fiche du Bricoleur. Votre profil dit…
— Je les aime bien toutes, le coupa le Bricoleur. Mais je ne suis même pas polarisé. Je n’éprouve aucune attirance sexuelle pour…
— Il n’est pas question de sexe pour un permis de classe trois.
— Mais si, justement, expliqua le Bricoleur. Vous me demandez de trouver une femme qui portera mon bébé-éprouvette sans percevoir le salaire habituel.
— Pour les permis de classe deux, l’incubatrice n’est salariée que lorsque la Grande S.T. la choisit elle-même.
— Je sais, je sais, fit le Bricoleur. Mais je ne connais personne qui soit disposé à le faire gratuitement. »
Le préposé hocha la tête et soumit le problème sur carte perforée à l’Embryomache. Un nouvel imprimé sortit en cliquetant. C’était un ordre direct.
« Faites-vous polariser, Bricoleur. Puis trouvez quelqu’un qui vous aime assez pour porter l’enfant. Que ce soit fait d’ici six semaines. »
Le Bricoleur comprit ce qu’impliquait le ton de sa voix. Un ordre de la Grande S.T. Il claqua des talons et s’écria : « À vos ordres, monsieur ! Tout de suite, monsieur ! »
Le Bricoleur se fraya un chemin à travers la foule aux odeurs rances de séborrhée pour se rendre à la clinique de Polarisation. Il étudiait cette mer de visages monotones, terreux, en quête d’une incubatrice possible. Des moustiques et des poux étaient collés à la peau visqueuse des plus léthargiques. Il ne voyait là que vermine et laideur spirituelle. Aucun signe d’activité mentale, pour ne pas parler de stimulation. Aucune compagne possible.
« On veut devenir hétéro, mon joli ? ricana l’assistante de la Clin’de Pol’, une vieille rombière édentée, arthritique, qui allait sur ses trente ans.
— Ordre de la Grande S.T. », expliqua-t-il.
Elle reprit son sérieux. Avec des tremblements dus à la maladie de Parkinson, elle découvrit son plateau à instruments. Le scalpel s’affermit dans sa main tandis qu’elle fouillait la chair de son avant-bras, à la recherche de la C. A. P. Elle ôta la prise de l’interrupteur temporel.