Walter n’en fut pas apaisé pour autant. « Je veux voir Olga de mes yeux… Peut-être, si on considère que cette perle est notre satellite lunaire… et qu’on ajoute sur la carte les principaux astéroïdes… Où est Pluton ? Et Neptune ? »
Les images sautaient sur l’écran qui essayait de trouver des réponses à ces questions ignorées de la Grande S.T. Il ne put que projeter à nouveau les anciennes tables.
« Ce sont des colliers fabriqués par les Broncos, »
rappela Val. « Ils doivent se baser sur les planètes visibles, six tout au plus. Les globes. »
Les deux techs étaient debout derrière Val, qui mit en marche le faisceau dense. L’écran s’illumina, le volume de la musique augmenta. Val fit pivoter l’antenne, des cercles concentriques apparurent. Il essaya de mettre au point le champ magnétique modifié.
« Si je peux les amener à établir un faisceau dense avec nous, cela nous permettrait de connaître leur emplacement précis… Bon sang ! D’où sort toute cette fumée ? » sacra Val.
Des jets de vapeur fusaient de l’accumulateur géant dont les isolateurs fondaient. Il y eut un jaillissement d’étincelles, et une fumée acre monta du radiateur. L’un des techs y versa de l’eau, ce qui produisit un bruit chuintant.
« Il était à sec !
— Manifestement, grommela Val. L’écran s’est brouillé. Nous ne pourrons rien faire d’autre tant que nous n’aurons pas les pièces de rechange.
— Pouvons-nous encore les recevoir ? demanda Walter d’une voix faible.
— Oh ! je crois !… Mais ce n’est pas comme ça qu’on arrivera à mettre la main sur eux ! »
Walter se renfonça dans son siège, les yeux fermés. Il écoutait…
Chapitre VI
L’épisode de Dundas
LE Bricoleur marchait vers L4est, en tête des villageois. Depuis qu’ils avaient abandonné leur refuge montagnard, il se chargeait de repérer les senseurs broncos et de les mettre hors service. Il opérait avec beaucoup de soin et de subtilité : un écrou desserré, des feuilles de chou ou de la boue sur les lentilles, c’était assez pour protéger les villageois, pas assez pour donner l’alerte au Contrôle des Chasses.
Deux lanceurs de javelots se tenaient auprès de Mu Ren et de Junior, tandis que le Bricoleur s’enduisait de boue et de feuilles. Il risqua un coup d’œil à travers la rhubarbe pour examiner la lisière opposée. Deux cents mètres de synthésol fraîchement labouré le séparaient de la tour du détecteur de Bronco.
« Je connais ce type de D.B. Ses lecteurs optiques doivent être bien décrépits. Si j’avance lentement, en rampant, il ne pourra sans doute pas me repérer. »
Mu Ren étreignit son fils. Ils le suivirent du regard cependant qu’il se dirigeait presque désinvoltement vers la tour. Le globe de neurocircuits et de senseurs poursuivit sa rotation monotone. Son camouflage semblait efficace. Une Laboureuse travaillait la terre, au pied de la tour. L’énorme machine s’écarta poliment afin qu’il puisse examiner le câble. Il retira la fiche de connexion et recouvrit les contacts de boue. Puis il remit la fiche en place et partit, avec un geste à l’adresse de la Laboureuse.
« Avec ça, la réception devrait être suffisamment brouillée pour que nous soyons en sécurité », dit-il, en faisant signe aux villageois de traverser.
Moïse suivit les traces de la Moissonneuse jusqu’à la face aveugle du chapeau de puits : une muraille de dix mètres sans autre interruption que les sinistres optiques et les immenses portes du Garage à Agrimaches. La grille qui la surmontait était sombre. Curedent s’adressa silencieusement à la porte, usant de son autorité de classe six. Rien ne se produisit. Moïse serra plus fort le cyber.
« Soupçonnent-elles quelque chose ?
— Elles sont paresseuses, tout simplement. Nous ne sommes pour elles que des données à stocker dans leurs mémoires, tant que nous n’occasionnons pas de pertes en vies humaines ou en matériel. »
La porte s’ouvrit. Moïse pénétra dans l’antre des machines.
« Essaie de trouver une porte qui donne sur la spirale, dit Curedent. Mais fais attention aux petits robots de service. Certains sont aveugles. L’endroit n’est pas très sûr pour un humain à la peau tendre. »
Les puissantes Agrimaches dormaient dans leurs boxes, tandis que de petites Servomaches s’affairaient. Les unes se balançaient au plafond, au bout d’un câble, d’autres se tenaient sur le sol, entourées d’organes neufs et usagés. Contre le mur donnant sur l’extérieur s’empilaient des éléments cassés et des débris végétaux. Moïse progressa prudemment jusqu’à ce qu’il parvienne à un box désaffecté qu’il pouvait traverser sans danger.
Une fois sur la spirale, Moïse se mêla à la foule apathique et prit une expression veule pour ne pas détonner dans la léthargie ambiante. Il imita aussi la démarche molle des citoyens. Curedent se tut, jusqu’à ce qu’ils arrivent au premier distributeur.
« Laisse-moi faire, chuchota-t-il alors. Tes Augrammes ont été confisqués depuis longtemps. »
Le distributeur délivra un assortiment de toutes les catégories d’aliments et un costume en textile d’ordonnance. Moïse repartit, en ployant sous la charge.
« Attention ! murmura Curedent. L’éclairage est en train de changer. On y a ajouté des trains d’ondes courtes. Les optiques de surveillance doivent être à ta recherche : la mélanine et les caroténoïdes de ta peau te trahissent. Si les lecteurs parviennent à te localiser, ils sauront que tu viens du Dehors. »
Moïse continua d’avancer, l’air dégagé, parmi ces abrutis nonchalants.
« Est-ce le distributeur qui nous a signalés ?
— Non. Pour lui, nous n’étions qu’une équipe d’entretien. Peut-être les circuits de surveillance courante… Tu es vêtu de haillons couverts de poussière et de chlorophylle. Tu as la peau épaisse : elle a un meilleur pouvoir isolant et doit apparaître plus bas sur l’échelle thermique que celle des citoyens. »
Moïse accéléra le pas. Quelques heures plus tard, ils étaient de nouveau Dehors, et reprenaient leur route au nord-nord-est.
Plusieurs semaines supplémentaires de voyage les amenèrent au Pays du Lac. L’air se fit plus froid. Moïse portait des couches superposées de textile d’ordonnance. Ils firent de nouvelles incursions dans les cités-puits, lorsque le besoin s’en faisait sentir. À chaque fois, ils éveillaient l’attention des circuits de Surveillance, mais la Brigade de Sûreté arrivait toujours trop tard. Curedent au poing, Moïse ne redoutait guère les gardes gras et mous qui patrouillaient dans la fourmilière. Leurs bâtons et leurs filets de jet suffisaient à neutraliser les citoyens dociles, mais plusieurs flèches bien placées étaient nécessaires pour venir à bout d’un Bronco. Et on n’employait pas de flèches à l’intérieur de la fourmilière.
Pendant les nuits glaciales, Moïse recherchait la chaleur des conduits à plancton. La nourriture, dans cette région, était entièrement produite en serre ; la température adéquate et l’énergie nécessaire à la photosynthèse étaient assurées par des moyens artificiels. C’était un environnement hostile pour un être humain. Tout ce qu’il voyait, c’étaient les dômes embués aux parois externes couvertes de givre par la condensation, et les conduits fluorescents. Le sol était gelé en permanence.
Moïse se blottit contre un affleurement pour se protéger du vent. Il prit la gourde d’eau et une barre de nourriture, sous sa première couche de vêtements.