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Il sentit la morsure de ses dents dans son flanc gauche, et il lui flanqua plusieurs fortes taloches sur la tête. Lentement, elle se calma, encore parcourue de spasmes. Il repoussa d’un coup de coude la forme à présent flasque qui reposait sur son giron, et se releva. Elle gisait parmi les glaçons, respirant avec force. Ses yeux luisaient et il y avait du sang sur sa lèvre inférieure, son sang à lui. Il s’approcha d’elle, dans l’intention de lui donner un coup de pied. Elle ne broncha pas. Il hésita, et l’examina. Son ardeur combative avait disparu. Elle était aussi docile qu’après son bain dans le sillage du bateau. Il eut un haussement d’épaules, jeta une couverture sur le corps de la fille et ferma le sabord.

« Vous êtes vraiment toquée », lui dit-il, en s’asseyant et en tentant de raccommoder sa chemise déchirée. Il y avait des marques de dents sur son bras, sa poitrine et son flanc. C’étaient des ecchymoses violacées. Mais la peau n’était pas entamée, sauf sur le flanc, marqué de deux piqûres rouges de forme carrée. Il y appliqua un antiseptique.

Les glaçons fondirent. Un quart d’heure plus tard, elle se redressa, épuisée. Il la considéra avec un peu d’appréhension tandis qu’elle se rhabillait : les spasmes et la congestion avaient cessé, et ses mamelons avaient perdu leur rigidité. La crise était passée, quelle qu’ait été sa nature.

« Si vous ne vous apaisez pas, je vais être obligé de vous ligoter à nouveau », menaça-t-il.

Elle se contenta de sourire d’un air rusé.

« Je ne veux pas vous faire de mal, poursuivit-il, mais vos accès de folie font dévier le bateau de sa… »

Il n’acheva pas sa phrase. Elle ne lui prêtait aucune attention, occupée à se sécher les cheveux tout en flânant, de l’autre côté de la pièce. Il monta sur le pont et se rendit derrière le mât surmonté par le cerveau du bateau. Il recueillit les morceaux de tuyau qui avaient servi à lui lier les bras, et les mit dans sa poche.

« Cap au sud », dit-il tranquillement au navire.

Il parcourut le pont, à la recherche d’armes éventuelles. Il n’y avait bien entendu aucun objet pointu, pas même de couteaux ni de fourchettes. La trousse à outils ne contenait rien qui puisse lui fournir une arme à main, sinon une clé à molette ; mais il n’avait pas envie de s’en servir contre sa prisonnière. Cela risquait de lui briser le crâne. Il cacha l’outil pesant sous le capot du plateau chargeur afin qu’elle ne puisse en faire usage sur lui. Mais il y avait peu de risques : ses assauts avaient un caractère nettement sexuel. Les petites morsures amoureuses qu’elle lui infligeait étaient destinées à l’exciter, et non à le blesser. Il comprenait, en fin de compte, qu’il avait une masochiste sur les bras.

Cette période de trêve toucha à sa fin. Huit heures plus tard, elle versa la liqueur sur sa tête et en enduisit ses cheveux pour former une queue de rat. Elle quitta ses vêtements, s’aspergea et se lubrifia le corps. Elle vint à lui, majestueuse, empestant la grenadine, la pointe des seins durcie, la peau marbrée par le sang qui affluait. Il se réfugia auprès du mât, relevant le col pour se protéger de la brise du large, glaciale. Une couche de glace craquait sous ses pas : la température était de cinq degrés en dessous du point de congélation. En souriant, il se dit qu’elle ne s’aventurerait pas par ici, nue et imbibée d’alcool comme elle l’était.

Il se trompait. Elle bondit, dans la lumière orange provenant de la cabine, l’empoigna par le cou et le fit rouler dans la fange glacée qui couvrait le pont. Et, à son grand étonnement, le corps de la fille était brûlant au toucher ! Elle cria et le mordit, pendant qu’ils glissaient vers le bastingage. Il fut bientôt frigorifié dans ses vêtements trempés. Sur le pont rugueux et froid, elle eut un bref orgasme, et fut presque aussitôt hors de combat. Il la tira par un pied, jusque dans la cabine, et la jeta sur la couchette. Puis il revint sur le pont, et jeta un coup d’œil au chronographe. Quarante secondes : ce n’était pas si mal.

Il repoussa l’attaque suivante en trente secondes : un coup de coude dans l’œil.

Le troisième jour, ils franchirent le soixantième parallèle. L’océan s’étendait, immense et calme. Rien ne bougeait, à part les nuages et les blocs de glace. Moïse vit l’épave d’une vieille Moissonneuse à plancton échouée sur un minuscule îlot, et qui semblait faire le gros dos.

Comme ils contournaient l’îlot, le bateau obliqua brusquement vers l’ouest.

« Non, cap au sud ! » dit fermement Moïse.

Un sourire satisfait apparut sur le visage meurtri de l’Assistante.

« Ce voyage n’est plus autorisé. Eprouvez donc vos muscles contre la Sûreté. »

Il tendit la main vers le contrôle manuel et fut renversé par une fulgurante étincelle.

« Le champ est branché, ricana-t-elle. Le bateau a reçu un appel à longue distance. Nous allons accoster. »

Moïse empoigna la lourde clé anglaise et marcha vers la cybermât.

« Je ne vous conseille pas non plus de faire ça, reprit-elle.

« À moins, bien sûr, que vous n’aimiez vraiment la natation. Si vous lui fracassez le cerveau, la mache va perdre le contrôle de tous ses sphincters. Et nous serons dans l’eau glacée jusque-là. » Elle agita la main au-dessus de sa tête.

Moïse actionna le signal d’urgence et de petits kayaks bien rembourrés se gonflèrent automatiquement. Il souleva l’un de ces bateaux de sauvetage et contempla la mer heurtée, couverte de glace, et revint sur sa décision. Mieux valait affronter les gardes.

Quand ils abordèrent, il s’ouvrit un passage à coups de clé anglaise, à coups d’épaule au milieu des Néchiffes apathiques. La mélanine et les caroténoïdes de sa peau le firent repérer par les circuits de Surveillance, qui se mirent à le pister. Il ne réussit pas à se perdre dans la foule du métro. Il assaillit des citoyens pour se procurer des vêtements neufs en textiles d’ordonnance, mais ce fut inutile. Il était trop bas sur l’échelle thermique des senseurs. Sur la longeur d’onde correspondant aux Broncos, il apparaissait comme une ombre sur un fond mauve. Pendant plusieurs jours, il parvint à échapper aux gardes. Il fuyait d’une cité à l’autre, et la Grande S.T. mobilisait de nouvelles brigades. Il n’avait pas le temps de dormir. Il dérobait de la nourriture à des Néchiffes qui s’éloignaient des distributeurs, rêvant tout éveillés. Chaque fois qu’il se laissait aller à la somnolence, les hommes de la Sûreté le cernaient. Sa capture était inéluctable.

« Ouvre ! hurla-t-il devant la porte du chapeau du puits. Ouvre ! Laisse-moi aller Dehors ! »

Les sinistres optiques le dévisagèrent.

« Non autorisé », annonça-t-elle.

Une porte de classe douze, et c’était cela qui lui interdisait de fuir. Il s’effondra au sol et ferma les yeux. Quand il les rouvrit. Il était encerclé par des filets et des bâtons : cinq brigades s’étaient déplacées rien que pour lui. Il sentit dans son deltoïde la secousse d’une décharge.

Quand Moïse Eppendorff se réveilla, il vit des images défiler sur un écran. Il se trouvait dans une petite cellule. Il fixa l’écran, déconcerté, pendant plusieurs minutes, avant de remarquer la nourriture : sur la table de sa cellule s’empilaient les sept plats d’un copieux repas. Un frisson glacé lui parcourut l’échine quand il prit conscience que les images sur l’écran étaient celles de Moon, de Dan et de lui-même. L’ordinateur chargé de l’instruction procédait à la reconstitution de ses crimes.

Il se leva d’un bond et inspecta sa cellule, pour détecter les orifices d’admission des gaz. Rien. Les murs étaient constitués de membranes semi-perméables : les ions et les radicaux toxiques pénétraient par les pores microscopiques. Les parois exsuderaient le poison.