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Moïse acquiesça.

« Et cet homme vous a envoyé faire une Escalade ? »

Le visage carré de J.D. Birk apparut sur l’écran. Il s’agissait d’une communication en direct, et non d’un enregistrement. Birk sourit à Moïse, timidement.

« Je vous croyais mort, murmura-t-il.

— Pourquoi avez-vous envoyé Moïse Dehors ? » interrogea la Cour.

Birk entreprit de répondre, d’une voix dolente.

« Il montrait des signes de déviation de neuvième catégorie : excès de zèle dans l’accomplissement de sa tâche, vanité, enthousiasme égoïste… »

La Cour consulta ses mémoires concernant le passé professionnel de Moïse.

« Il a même essayé de s’approprier l’Amorphus, essayé de lui donner son nom, bien qu’il l’eut découvert au cours d’une patrouille de routine, ajouta Birk.

— Le Melon de Moïse… dit la Cour. Sans aucun doute, une preuve d’égoïsme. Il ne partage pas l’âme collective. »

Moïse réagit avec colère à cet échange de propos entre son patron et le cyberjuriste… et ses courbes bio-électriques vinrent confirmer la véracité de ces affirmations.

Josephson repassa le film montrant le premier Melon de Moïse alors qu’on le déchargeait du sub du Service des Egouts. Il sourit. La vérité, c’était tout ce qu’il voulait.

« Voilà qui nous est d’un grand secours, dit-il. Cela prouve que votre excursion Au-Dehors est liée à une psychose de neuvième catégorie, la plus courante chez ceux qui font de l’excès de zèle. Mais rien qui puisse présager de l’affaire qui se produisit ultérieurement à Dundas. »

La Cour entérina cette déduction. Josephson poursuivit.

« Moïse est né avec le germe d’un cinquième orteil : il était porteur du gène de l’immunoglobuline A. Il a fortement réagi au facteur de nidification en fabriquant des anticorps qui ont altéré le métabolisme de la sérotonine de son cerveau. »

Des organigrammes apparurent sur l’écran ; on voyait un cinq-orteils vivant dans les débris ectodermiques : poussière volante de squames, de cheveux et de sécrétions grasses. Ces déchets alimentaient les dermatophagoïdes. Il s’ensuivait une réaction anticorps-antigène, et une sensibilisation du sujet. Les anticorps bloquaient les centres sérotoniques, ce qui entraînait une altération de la personnalité, et un Comportement Inadapté. Le Massacre Gratuit était une manifestation de comportement très inadapté.

« C’est la société qu’il faut blâmer. Le surpeuplement est responsable de ce crime. Moïse n’agissait plus de sa propre volonté, à partir du moment où le C.I. a pris le dessus », conclut Josephson.

La Cour attendit la fin du plaidoyer, puis déclara d’un ton pédant : « Les test faits sur Moïse étaient négatifs en ce qui concerne les anticorps. Son taux d’immunoglobuline A est celui d’un cinq-orteils, mais celui des anticorps contre le facteur de nidification n’est pas supérieur à la normale. Avez-vous autre chose pour votre défense ? »

Josephson était dans l’embarras.

« Autre chose ? » répéta l’écran.

Il fallut un moment à Moïse pour comprendre que la Cour s’adressait directement à lui. La vérité. Les gaz toxiques rempliraient la pièce si ses réactions établissaient sa culpabilité. Il chercha une version des faits qui présentât le maximum de sûreté.

« Je n’ai jamais tué personne. »

Aiguille dans la zone V. Jusque-là, tout allait bien.

« J’ai passé plus de trois ans Au-Dehors. Je reconnais avoir piétiné les récoltes et avoir déserté la Grande S.T. »

Toujours dans la zone V. Josephson et la Cour semblaient satisfaits.

« J’ai voyagé avec un vieil homme et un chien qui sont morts à présent. J’avais également pour compagnon un cyber vieux de deux mille ans ; c’est un classe six et il se nomme…

— Une mache renégate ? questionna la Cour en compulsant les archives.

— Je ne suis pas sûr qu’il s’agissait d’un renégat. Il m’a dit qu’il avait perdu contact avec ceux qui le contrôlaient. Peut-être était-il égaré. »

Zone V ; la Cour lui demanda de poursuivre son récit.

« Curedent, mon cyber, a tué, effectivement ; mais je suis persuadé qu’il avait une bonne raison pour…

— On ne trouve aucune trace d’un cyber de classe six dans vos périgrinations, dit la Cour. Où se trouve à présent votre Curedent ?

— Il est resté dans les grottes sous-marines. Je l’ai laissé dans une douille au poste de contrôle de la Maintenance Vitale. Il ne peut se déplacer par ses propres moyens. Il doit être entre les mains des hommes de la Sûreté, je pense. »

Il y eut une longue pause, pendant laquelle on vérifia tous ces nouveaux détails. L’écran montra ensuite un atelier. Josephson se leva et regarda la scène en louchant : un groupe de techs étaient penchés sur un segment de tube ouvert dans le sens de la longueur. On découvrait trois cylindres semblables, comme des pois dans une cosse : un blanc, un noir et le troisième transparent. Un tech leva la tête.

La Cour lui demanda : « Cet appareil découvert sur les lieux du crime, dans le système de M.V., l’avez-vous examiné ? »

Le tech montra du doigt le tube démonté. L’estomac de Moïse se serra.

« En nous fondant sur les résultats de son action, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il s’agit d’un convertisseur de fréquences qui modifie les indications des appareils à thermo-résistance, et fait passer le froid pour le chaud. Jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à comprendre son principe ; les possibilités sont nombreuses. Il s’agit sans doute d’un appareil de conception très primitive, et qui ne figure pas au programme de nos étude pratiques.

— Est-ce bien là votre cyber de classe six ? » demanda la Cour.

Moïse hocha la tête.

« Mes senseurs affirment que vous dites la vérité. Mais l’idée que vous vous faites de la vérité ne correspond pas à la réalité. Votre Curedent n’est pas un cyber de haut rang. Ce n’est qu’un appareil ordinaire, qui fausse les observations thermométriques. C’est un fait scientifiquement établi qu’il n’existe pas de cyber portatif au-dessus de la classe dix. Le cerveau d’un classe six pèse plus d’une tonne à lui seul. Il faut compter en plus un générateur d’énergie et les différents accessoires. Il est clair que vous prenez votre illusion pour la réalité. J’admettrai donc que vous plaidiez non coupable, en invoquant la folie. Nous allons donc différer votre mise en suspension, jusqu’à ce que nous ayons pu cataloguer votre cas, pour vous placer dans le service adéquat de la Clinique de Suspension. »

Josephson se détendit. Encore une cause gagnée. Moïse bredouilla quelques mots. L’écran marmonna quelque chose d’où il ressortait que l’audience publique était remise au lendemain ; puis il s’éteignit. La cellule s’éclaira. On diffusa une plaisante musique de fond. Josephson s’étira, bâilla et se servit une ration de ce qui était le dernier repas de Moïse.

« Nous l’avons échappé belle, dit-il en souriant. À présent, il ne nous reste plus qu’à subir l’audience de demain, et vous serez libre, façon de parler ; vous vous retrouverez sûrement au service psych de Dundas.

— En suspension ? se rebiffa Moïse. Mais je ne veux pas être suspendu, moi !

— Ça vaut mieux que d’être exécuté », dit Joseph-son en haussant les épaules. Sur ce, il s’en alla.

Environ une heure plus tard, il revenait, un paquet oblong sous le bras. Il paraissait très excité. Il posa le paquet parmi les plats en désordre et l’ouvrit. C’était Curedent.