« Voilà ta capsule anti-puberté », dit-elle. Le scalpel et la prise tombèrent avec bruit dans le plateau. Elle étentit une couche de synthépeau. Elle lui injecta de Hautes Doses préparatoires d’androgène et d’hormone folliculo-stimulante. Dix minutes plus tard, il était à nouveau parmi la foule des spirales, la démarche incertaine, et il se sentait toujours le même. Trois semaines plus tard, une légère érection annonça la polarisation des parasympathiques du sacrum. Les hommes du Psych établirent le graphique de ses réactions bio-électriques aux stimuli erotiques : tonicité en amélioration.
Si elle avait mis de la chaleur dans ses reins, la polarisation n’avait rien fait pour résoudre le problème du Bricoleur : trouver une incubatrice. Elle l’avait même rendu plus ardu. Ses sens s’étaient aiguisés et le portaient à critiquer davantage ses concitoyens. Il remarqua des odeurs nouvelles et répugnantes. Le métro et sa foule infestée de vermine lui étaient intolérables. Alors qu’il se rendait au Contrôle des Chasses, la puanteur devint si forte qu’il vomit, et le contenu visqueux de son estomac vint s’ajouter à la vase indéfinissable qui constituait le sol.
Le Bricoleur pénétra dans le Garage et se mit en devoir de vider son sac, disposant les yeux des machines sur l’établi.
« C’est dur, la polarisation, se plaignit-il à Val. Aujourd’hui, j’ai vomi pendant le trajet. Ça ne m’était jamais arrivé. »
Val prit un œil, admira les garnitures flambant neuves. « Ton axe neurohumoral se renforce. On ne peut pas altérer uniquement les gonades, tu comprends. Les pituitaires, le système nerveux autonome, les surrénales, la thyroïde, tout cela joue un rôle dans la polarisation. »
Le Bricoleur s’assit, livide. « Mais qu’est-ce que les vomissements ont à voir avec le sexe ?
— C’est un réflexe autonome, expliqua Val. Avant, en tant que neutre, tu ignorais la majeure partie de ton environnement ; du moins, ton corps l’ignorait-il. À présent, tu es en train de devenir un mâle sexuellement actif. Je présume qu’il nous faut remonter jusqu’aux primitifs pour trouver une explication. Ils avaient besoin de leurs sens pour trouver des compagnes et éviter les ennemis. Ton corps est actuellement en quête d’une compagne. »
Le Bricoleur but un peu d’eau. Il grimpa sur l’épaule de Chien Volant et brancha l’œil énorme qu’il avait réparé.
« Il ne me manquait plus que ça : que mes gonades me lassent redescendre l’arbre de l’évolution. Que va devenir mon rendement ? Qu’espère donc y gagner la Grande S.T. ? »
Val haussa les épaules. « Il n’y a pas le choix. Avec un budget aussi serré, la fourmilière ne peut se permettre de ne produire que des naissances de classe un. Ri, apparemment, on aura besoin de ton bébé-eprouvette d’ici une dizaine d’années. Il faut donc obligatoirement un classe trois. Ne t’en fais pas pour ton rendement. Il se peut même qu’il augmente, si nous ne faisons pas attention à tes excentricités, durant ta transformation. »
Le Bricoleur eut l’impression qu’il en parlait comme s’il eût dû se métamorphoser en une espèce de béte féroce.
« Mes excentricités ? En tout cas, je n’envoie pas de chasseurs à leur mort à bord de vaisseaux aveugles ! »
Val leva un sourcil. « Mais il faut protéger les récoltes ! Les pièces défectueuses sont retournées.
— Un entretien plus soigneux pourrait épargner quelques vies. Mais ce doit être trop te demander que de te mettre de la graisse sur tes mains ! »
Val ne répondit pas. Il se contenta de sourire, puis il dit : « Tu vois ce que je voulais dire à propos d’excentricités. La polarisation t’a rendu hargneux, ça ne fait aucun doute.
— Ne détourne pas la conversation. Si l’entretien n’entre pas dans tes attributions, pourquoi ne pars-tu pas pour une Chasse avec un de tes vaisseaux ? Une vraie Chasse, pas un simple vol de rodage. »
Val sourit et s’éloigna. « Tu veux que je te rapporte quelque chose du distributeur ? » cria-t-il pardessus son épaule.
Le Bricoleur se remit au travail.
Le Bricoleur remarqua un subtil changement dans la foule du métro. Ce n’était plus une mer monotone de visages. Bien sûr, les images rétiniennes étaient toujours les mêmes. Mais, à présent, il s’opérait dans son cortex visuel une distinction entre les neutres et les polarisés. Les neutres se fondaient à l’arrière-plan ; c’était un collage confus de visages vides. Les polarisés, hommes et femmes, attiraient instantanément son attention : les hommes, l’air farouche ; les femmes, bien tournées. Il y avait environ un polarisé sur mille Néchiffes.
La spirale où il habitait lui était autrefois facilement supportable. Cela aussi avait changé. Les rats et les poux retenaient son regard. Les corps mangés par les vers le soulevaient de colère. Puis, pour la première fois, il aperçut le mendiant, gras et tout gonflé d’œdèmes. Il savait que cette découverte était due à la sélection qui se faisait à présent dans son cortex, car, de toute évidence, le mendiant devait être là depuis des mois, paralysé, mourant à petit feu du béribéri purulent, et il avait dû passer plusieurs fois devant lui sans le remarquer. Des Méditechs porteurs de civières parcouraient les spirales. Le mendiant se cacha dans une trappe de visite poussiéreuse. Une Balayeuse vint aspirer les taches humides laissées par les ulcères suintants du mendiant.
Le Bricoleur s’arrêta devant la trappe, écouta les mouvements dans l’entre-murs. « Pauvre type ! Un retraité », marmonna-t-il. Il s’ouvrit un passage à coups d’épaule dans la queue devant le distributeur de nourriture et commanda une soupe d’orge, riche en vitamines B. Les circuits du distributeur enregistrèrent ce changement dans son régime habituel. Ignorant les lecteurs optiques soupçonneux, il rapporta le récipient bouillant jusqu’à la trappe de visite. Une vapeur aromatique se répandit.
« Calories savorisées », appela-t-il doucement.
Le mendiant but, les mains tremblantes, tandis que le Bricoleur scrutait par-dessus son épaule la niche obscure. Des paquets intacts de calories de base étaient éparpillés dans la poussière épaisse, mais pas de savorisées.
« C’est gentil », dit une voix derrière lui.
Le Bricoleur se retourna et vit une très jeune femme polarisée. Sa tunique, coupée dans un tissu moelleux, était étroitement serrée à la taille par une ceinture. Il caressa des yeux son visage et porta son regard sur une paire de seins larges et symétriques.
« Vous louchez ? », dit-elle, modestement. La foule apathique disparut à ses yeux. Du plus profond de son pelvis, ses synapses hurlaient : UNE FEMME.
« Quoi ? bredouilla-t-il.
— C’est gentil, répéta-t-elle, de donner votre ration alimentaire à ce vieillard. »
Il reprit ses esprits. Faire l’aumône était l’apanage de la Grande S.T. Et si le mendiant en était là, cela signifiait qu’on lui avait coupé ses crédits. Porter assistance à un proscrit comme lui était une faute. Il se sentit devenir rouge, de culpabilité d’abord, puis de colère.
« Je peux me le permettre.
— C’est quand même gentil. La plupart des citoyens ne le remarqueraient même pas. » Elle s’approcha et s’appuya contre lui, tripota son emblème du Sagittaire. Il recula en trébuchant maladroitement. Le contact physique était réservé à la fusion. En public, cela causait une gêne.
« Qui êtes-vous ? laissa-t-il échapper.
— Je m’appelle Mu Ren, dit-elle distinctement. 1/2 R.M.B.L.-deuxième sous-culture, lignée cellulaire rénale mu du clone B.L. Mais c’est sans importance. Ce qui importe, c’est que j’ai dix ans, polarisée spontanément, et vous ai été affectée comme incubatrice de classe trois. »