Выбрать главу

« Mais je ne puis exécuter quelqu’un dont mes senseurs indiquent le manque total de logique, objecta le magistrat cybernétique. Il a perdu contact avec la réalité.

— Pas besoin de l’exécuter. Renvoyez-le devant le mégajury, dit le spirite.

— Je peux prévoir le vote du mégajury. Tous les citoyens désirent être en sécurité dans les Cliniques de Suspension. »

Josephson écoutait tranquillement. Il alla ensuite parler à Moïse.

« Il faut vite prévenir votre défense, invoquer l’irresponsabilité. Si on vous renvoie devant le mégajury, votre compte sera réglé avant même la fin de la reconstitution. Je connais les sentiments du public sur ces choses-là.

— Laissez-moi réfléchir », dit Moïse. Il attendit d’être seul pour parler à Curedent. Un moment après, il revêtit sa robe et psalmodia, face aux capteurs optiques :

« Que le peuple me juge. C’est au peuple de décider. Un nouveau prophète s’est révélé à Dundas… » Il agita le tronçon du cyber. « Je suis venu libérer mes disciples de la Suspension. »

Le nécromancien ricana. « Voici la solution à votre dilemme. Le prisonnier insiste pour qu’on le livre au jugement du peuple. Je connais les citoyens. S’il est allé à Dundas pour libérer les patients en les tuant, il va partager leur liberté… dans la mort. »

Les incantations de Moïse furent rapidement retransmises au public et la Cour convoqua un mégajury. Un million de jurés empressés s’inscrivirent aussitôt et appuyèrent chacun sur le bouton « exécution ». La Cour actionna le système de sécurité empêchant la diffusion des gaz toxiques et annonça :

« En raison de l’intérêt universel soulevé par ce procès, le décompte des votes ne s’effectuera qu’après que la défense aura exposé ses arguments. »

Le cybermagistrat remarqua que de nombreux jurés continuaient d’appuyer sur le bouton, plus de cinquante pour cent.

« Ceux qui persistent après ce second avertissement perdront leur droit de vote pour cette session, et l’allocation calories. J’entends conduire cette affaire selon les règles. Le vote aura lieu au moment voulu, et seulement alors. »

Il y eut un moment de flottement, puis les jurés obéirent. La Cour éclaircit ses circuits vocaux et rappela le nécromancien pour lui faire répéter son émouvante tirade qui s’achevait sur cette épithète : « Moïse le profanateur d’âmes. »

De nouveau, la Cour exhorta le jury à la patience.

Josephson chuchota à Moïse : « Si vous persistez dans votre attitude, vous êtes un homme mort. La liberté dans la mort n’est pas une idée acceptable. Dans le cas contraire, nous pourrions fermer la clinique de Dundas. Les citoyens ont besoin de cette illusion d’immortalité que leur procure la suspension. Ils vous tueront pour avoir détruit cette illusion. »

La Cour procéda à une nouvelle reconstitution pour le jury. On fit venir les témoins oculaires. Willie le Simple parla en faveur de Moïse, mais ses traits asymétriques et la façon qu’il avait de peloter son cube ne firent pas bonne impression sur le jury. Si ce pauvre demeuré était le répondant de Moïse…

L’esprit de Willie se clarifia lorsqu’il perçut toute cette haine muette. Il se redressa, jeta un regard de colère aux capteurs optiques et cria : « Moïse est le seul Bon Citoyen que j’aie jamais connu. Ce ne serait pas juste de lui faire du mal. Il n’a jamais fait de mal à per… » Les gardes le tirèrent par sa tunique. « Laissez-moi terminer ! » La tunique se déchira. Il se débattit. Le vêtement tomba, dévoilant à l’immense public une horrible carcasse couturée, déformée par les épaisses cicatrices qui dessinaient des cartes géographiques, les traces de ses anciennes brûlures par les moyens actiniques. L’épaule d’un garde se brisa entre ses mains puissantes.

« Allons, allons, fit la Cour d’un ton apaisant. Ce n’est pas de cette façon que vous aiderez Moïse. Posez ce bras. Vous êtes désormais considéré comme complice. Rejoignez Moïse par cette porte bleue sur votre gauche. »

Les portes doubles s’ouvrirent avec un sifflement. Moïse était là, dans sa robe blanche, tenant un bâton. Willie se pencha et déposa le bras arraché sur le corps du garde, contracté par la douleur. Ses doigts vigoureux relâchèrent lentement leur étreinte rageuse. Il n’y avait aucune émotion sur son visage quand il enjamba le corps, mais seulement la surprise de revoir Moïse. Les portes se refermèrent quand il entra dans la cellule. Le nombre des accusés fut porté à deux. Les allocations calories pour le mégajury furent doublées.

Une Balayeuse robot vint nettoyer.

L’Assistante contusionnée et apeurée succéda à Willie à la barre. Ses attaques au vitriol convainquirent et la Cour et le jury de la haine qu’elle portait à Moïse ; en fait, beaucoup s’étonnèrent qu’il fût resté en vie après les trois jours passés avec elle. Le nombre des accusés n’augmenta pas.

« Laissez-moi plaider la folie, dit Josephson d’un ton pressant. Remettez-vous-en à la. clémence de la Cour. Il reste encore une chance. Les tests que vous avez passés ont déjà convaincu le cybermagistrat ; cela pourrait encore marcher.

— Non, fit Moïse. Ma place est auprès de mon peuple.

— Vous avez perdu la raison… » commença Josephson. Puis il s’interrompit, en voyant se hérisser Willie le Simple. « Très bien, je m’en lave les mains. Faites comme vous voulez. Mais je vous préviens, Moïse, vous êtes un homme mort ! »

Josephson sortit majestueusement par la double porte.

Moïse vint à la barre. Son argumentation devait clore la séance : ensuite, il ne serait plus possible d’ajourner l’affaire, ni de faire appel. Les gaz mortels étaient prêts : ions, métaux lourds et radicaux toxiques. Il éleva son bâton et leva la tête, psalmodiant :

« Je suis allé à Dundas libérer mon peuple, retenu depuis un millier d’années dans cette froide prison.

Je les ai soulagés de leurs maux. Leurs tumeurs ont disparu. Amenez-les jusqu’à moi afin que je les guide hors de ce lieu maudit. »

Rien ne se produisit. Ses divagations furent enregistrées comme les divagations d’un fou, d’un assassin, et rien de plus. Il agita son bâton devant l’œil énorme de la Cour.

« J’appelle les cieux à témoin… ! »

Une neige blanche apparut sur les écrans, partout sur le globe. La Cour fut gênée par des parasites électromagnétiques.

« Mon peuple, où est-il ? J’ai guéri les miens de leurs infirmités. Vous ne pouvez les remettre dans votre prison glacée. Amenez-les à moi ! »

La Cour demanda qu’on recherche l’origine de ces parasites E.M. Dans mille chapeaux de puits, des techs s’empressèrent ; ils purent observer de violentes lueurs, comme celles d’une aurore boréale. Les communications avec les Agrimaches et les engins de Chasse étaient mal assurées.

« Des protubérances solaires… il y a deux jours ! » répéta la Cour. Il était visible que les feux d’artifice verbaux et célestes du prisonnier faisaient naître des doutes dans l’esprit des jurés. Les votes prématurés, à présent, étaient en faveur de l’acquittement.

« Excusez-moi, dit la Cour. Je sais que c’est contraire à la règle, mais puis-je vous demander la permission de convoquer le Cancérologue pour qu’il confirme ou infirme la prétendue guérison des tumeurs ? »

Moïse sourit avec condescendance : « Si la preuve venue des cieux ne vous suffit pas, faites appel à vos physiologistes. La preuve de la guérison est devant vous, si vous avez des yeux pour la voir. »

Des millions et des millions de spectateurs se penchèrent vers leur écran.

Le Cancérologue, un biotech âgé, spécialiste des tumeurs malignes, approuva. Moïse avait raison. De nombreux patients étaient maintenant guéris et ne pouvaient être remis en suspension.