La Cour déféra à cet ordre express et prit congé. Pendant des heures, le cybermagistrat fit repasser l’enregistrement. Le message lui était parvenu sur la fréquence utilisée par le C.U. Il était vrai qu’il était brouillé par les parasites E.M., mais, sur le moment, cela lui avait paru tout à fait logique.
« Josephson, dit la Cour. Organisez une Grande Chasse. »
Depuis trois jours, Val campait sur le mont Table avec Chien Volant IV. Il n’y avait plus de Broncos pour venir le distraire de sa contemplation des étoiles : on n’en avait plus signalé depuis des mois.
Il avait rassemblé les cartes célestes établies à l’estime par la Grande S.T. À chaque nouvelle demande, il recevait un fatras d’imprimés sans rapport avec les précédents. À présent qu’il était Dehors, il allait pouvoir constater par lui-même. Il releva la visière de son casque et se remit à compter les étoiles. La nuit précédente, il y en avait trois. Il avait pris des enregistrements optiques. Cette nuit, il n’y en avait qu’une. La première nuit, les nuages l’avaient empêché d’observer quoi que ce soit.
« À quoi ressemblent-elles, ces étoiles ? demanda Walter par le transmetteur.
— Cette étoile, dit Val, découragé. Il n’y en a qu’une, mais elle est très belle.
— Où sont passées les autres planètes ? Elles ne peuvent pas disparaître en vingt-quatre heures !
— Peut-être. Mais elles ont bel et bien disparu. » Val régla l’écran à l’intérieur du vaisseau de Chasse, pour une meilleure observation. Chien Volant tourna vers les cieux son lourd senseur E.M. d’un mètre de diamètre. Jupiter était toujours en Sagittaire, et cela lui fut confirmé à mesure que la nuit avançait. Mais la seule autre planète qu’il apercevait était en Gémeaux, avec le soleil, à une distance de six signes sur l’écliptique. Il ne savait pas quelle planète c’était, mais supposa qu’il s’agissait de Vénus. Il vit d’autres lueurs indéfinissables, qui se déplaçaient d’un signe à l’autre trop rapidement pour être des planètes.
« Des détritus spatiaux, dit le gros Walter après que Val lui eut retransmis les images. Pas des planètes… juste des détritus. Où est Saturne ? Nous devrions voir les anneaux, avec un si fort grossissement.
— Probablement près du soleil, ou derrière la lune. Je dirai à Chien Volant de surveiller l’est, à l’aube, pour repérer les étoiles du matin, dit Val en étudiant les cartes. Il doit être possible d’identifier cinq des planètes, avec mon équipement. Mais ça peut prendre des mois pour dresser une carte avec ces nuages, les détritus spatiaux et sans renseignements sur quoi s’appuyer. »
Walter soupira. « J’avais espéré que ce serait plus facile. La Grande S.T. ne va sans doute pas te laisser plus longtemps disponible, pas plus que Chien Volant. Depuis que les Broncos ont quitté le pays, l’utilité du Service de Chasse a été mise en question par le Comité. Nous risquons de perdre nos locaux et nos appareils.
— Serons-nous reclassés ? interrogea Val.
— Toi, peut-être… mais, pour moi, c’est la retraite », fit le vieux Walter avec tristesse… Il savait ce que signifiait la perte des savorisées.
Un appel du Pays-toujours-vert vint les interrompre.
« Ici Josephson ; nous organisons une Grande Chasse. Avons besoin de plusieurs centaines d’appareils. Combien pouvez-vous en envoyer ? »
Walter était interloqué. Les fugitifs allaient être pourchassés comme des Broncos !
« Aucun, répondit Val. Le C.C. va être supprimé.
— Le C.U. a autorisé cette Chasse, dit Josephson. Vous allez recevoir un ordre de réquisition, à ce que je crois savoir. Il doit vous être possible de remettre la plupart de vos engins en état de marche. Nous ne savons pas encore exactement où aura lieu la Chasse. Si nous tardons, les fugitifs auront passé la frontière et seront chez vos voisins de Pomme-Rouge ou de Jaune-Avoine. Mais nous ne pouvons dresser aucun plan tant que nous ne savons pas quand les appareils seront prêts. »
Val faisait montre d’un intérêt modéré.
« Si nous obtenons des pièces de rechange et des volontaires, je pense que nous pourrions disposer de vingt chiens… euh !… engins, dans un mois.
— Ne vous limitez pas aux volontaires ; prenez aussi du personnel de surveillance.
— Un mois, ce n’est qu’une estimation.
— Je resterai en contact avec vous », dit Josephson avant de disparaître de l’écran.
Val regarda Walter.
« Ça va être une vraie Grande-Chasse. »
Le visage de Walter s’assombrit. « Mais ce sont des Disciples d’Olga ! Les perles… La conjonction… »
Val prit un air renfrogné. « Les perles ne concordent pas avec les planètes. Les sorciers Broncos ont pris les détritus célestes pour des étoiles. Il n’y a là aucune clairvoyance d’ordre spirituel, mais simplement l’erreur d’hommes superstitieux. Pour qu’il y ait correspondance avec les perles, il faudrait que je trouve au moins trois autres planètes entrant dans le même signe que Jupiter. Et Jupiter est seul, en Sagittaire. »
Chapitre VII
Grande chasse au 50e parallèle
La Laboureuse avançait lourdement, en retournant la terre. Son châssis de dix tonnes était monté sur de larges roues souples et de puissants moteurs. Ses appendices s’enfoncèrent dans un sol alluvial plus humide, et il ralentit. Hugh s’approcha par-derrière. Un optique le repéra, à l’arrière de la machine. La Laboureuse s’arrêta. « Bonjour, humain.
— Salut ! Peux-tu me ramener chez moi, là-bas dans la vallée ? »
La grosse mache se tourna courtoisement vers la vallée, évalua la distance – trois kilomètres – et refusa.
« Je regrette beaucoup, humain, mais j’ai mon travail à faire.
— Ça ne te dérange pas que je t’accompagne ?
— Votre compagnie me sera fort agréable. » Hugh grimpa sur le cou de la mache, derrière la protubérance formée à l’avant par les neuro-circuits.
« Joue-moi un air », demanda-t-il. L’Agrimache se brancha sur un programme de variétés musicales. Hugh attendit, en observant le ciel. Même en plein jour, l’aurore boréale était visible quand les parasites E.M. étaient au maximum de leur force. Environ une heure plus tard, les lueurs bleu pâle traversèrent le ciel, au nord. La musique fit place à des crachotis, puis s’éteignit. Avec des gestes rapides, Hugh arracha l’antenne. La Laboureuse s’arrêta. « Pourquoi avez-vous fait cela ?
— J’ai besoin d’un taxi pour regagner la vallée.
— Oui, monsieur. Tout de suite, monsieur.
— Et garde tes appendices en l’air pendant le trajet. »
L’agromégalique prit une lourde pierre et martela la porte du puits, qui s’en trouva bosselée et entaillée.
« Entrée non autorisée… » gémit la Porte.
Lentement, le panneau métalloïde se gondola sous les coups. Les micro-circuits de la Porte cédèrent et se cassèrent tandis que le cerveau, mince comme une feuille de papier, vibrait sous les chocs répétés. Fatigué, l’acromégalique posa la pierre et jeta un regard par la fente elliptique qu’il avait réussi à pratiquer. C’était la première fois qu’il entrevoyait la redoutable fourmilière.
« Il fait sombre là-dedans… et ça sent la pourriture, rendit-il compte à la foule rassemblée derrière lui. Il y a des êtres humains… de petits gros. Ils sont armés et ils semblent attendre quelque chose. Il vaudrait mieux faire venir ici quelques-uns des hommes les plus jeunes et les plus forts avant que je continue. »
La Laboureuse avança jusqu’à la porte, chargée d’une vingtaine de fugitifs pleins d’allégresse. Ils riaient et plaisantaient, puis ils virent la porte.