Выбрать главу

« Au moins, il y a de l’eau ici. Ces pauvres bougres dans la fourmilière ne sont pas aussi heureux. Il y avait des cadavres sur la spirale de la dernière cité que nous avons investie », dit Hugh.

Moïse haussa les épaules.

« Nous n’allons pas faire du sentiment avec eux. Ils nous tueraient, s’ils le pouvaient. »

Les colonnes d’Agrimaches progressaient vers le sud. L’armée de Moïse s’était divisée en petites compagnies ; chacune d’elles devait résoudre par elle-même le problème de l’eau et de la nourriture ; chacune d’elles, à tour de rôle, se chargeait de la surveillance sur les flancs ; chacune d’elles prenait soin de ses malades et de ses blessés. L’efficacité en était accrue.

Ils arrivèrent dans une large et profonde dépression de terrain, orientée nord-sud. Elle était en culture à présent, mais, dans le passé, elle avait servi de lit aux eaux fraîches de la calotte polaire.

« Est-ce là le Fleuve ? » demanda Moïse.

Curedent étudia la position du soleil.

« Non, répondit-il. Mais ça devrait nous y conduire. Nous avons encore plusieurs jours de trajet devant nous. »

Moïse, Hugh et Curedent, montés sur la Laboureuse, tenaient la tête de l’armée.

« Pour moi, ça ressemble fort au lit d’un fleuve.

— Ce n’est qu’un ancien canal à sec. Curedent recherche les traces géologiques d’un vrai fleuve. C’était autrefois le plus grand du continent… Le Fleuve », expliqua Moïse.

Ce soir-là, tandis que le gros de l’armée se préparait à dormir, la Laboureuse se rendit sur une colline, à plusieurs kilomètres de là. Curedent observa les étoiles.

Les Moissonneuses défrichaient le terrain, la mousse se répandait. Sur le châssis de la Laboureuse, ils étaient à l’abri, mais les repères étaient masqués par la matière blanche, et ils devaient rouler lentement, prudemment.

À l’aube, Moïse dirigea un regard plein d’espoir vers le sud ; un enchevêtrement de blocs de rochers et de carcasses d’Agrimaches abandonnées : la moraine socio-politique qui marquait la frontière du 50e parallèle.

« C’est là, dit Curedent avec assurance. Nos ennuis touchent à leur fin.

— Ce n’est pas trop tôt, dit Hugh. Quelques jours de plus, et la famine décimait nos rangs. »

La horde franchit le cercle d’Agrimousse, accéléra le pas, mais s’arrêta au crépuscule, vaincue par la fatigue et la faim, et à une demi-journée encore du but.

« J’ai envoyé des éclaireurs en reconnaissance, dit l’un des chefs de groupe de l’aile gauche. Les volontaires ne manquaient pas… les rations sont rares, au camp.

— J’aimerais bien aller voir, moi aussi, fit une voix de l’autre côté du feu de camp. J’ai hâte de contempler les généreuses récoltes promises par Curedent.

— La Grande S.T. les a peut-être moissonnées aussi ; à des kilomètres à la ronde, on n’aperçoit rien de comestible.

— Ne t’en fais pas. Curedent veille sur nous. » Des Agrimaches s’affairaient bruyamment sur le périmètre de l’immense campement.

« Généreuse… nourriture. Couic ! dit Curedent. Beaucoup de mes circuits ont été endommagés. Ma mémoire est pleine de trous. Couic ! Généreuse nourriture au 50e parallèle. »

Moïse écoutait son cyber de compagnie avec un peu de crainte. Les renseignements fournis par le javelot sur le 50e parallèle étaient moins précis, moins convaincants que ses prédictions habituelles. Moïse n’aurait de cesse que son peuple fût hors de danger.

Avec l’aurore revinrent les éclaireurs.

« Embuscade ! hurla le premier d’entre eux. Nous sommes attendus par toute une armée. Si nous voulons manger, nous devrons nous battre.

— Combien sont-ils ? questionna Hugh.

— Des milliers. Autant que nous. »

Hugh lança à Moïse un regard interrogateur. Curedent couina. D’autres éclaireurs arrivèrent et firent un rapport identique.

« Nous allons nous battre. Que pouvons-nous faire d’autre ? » dit Hugh en faisant tournoyer son gourdin. Le cri de guerre fut repris par les hommes, que la faim aiguillonnait.

Curedent essaya de repérer des ondes sonores, mais, apparemment, il n’y avait pas de communications en provenance d’appareils de Chasse.

« Attendez. Ce ne sont pas des chasseurs. Quelle sorte d’armée est-ce donc ? »

Les éclaireurs se consultèrent. Petit à petit, ils mirent bout à bout leurs observations hâtives.

« Pas de vaisseaux, ni d’équipement… seulement des javelots. Pas de casques. Des têtes chevelues. Pas d’uniformes, mais des haillons semblables aux nôtres. Mais ils se déploient à la façon d’une armée expérimentée… et contrôlent le terrain, avec des patrouilles en avant-garde. »

« Pas d’appareils… » marmonna Moïse. Il remonta sur la Laboureuse. « Partons en reconnaissance avec un détachement de maches et d’éclaireurs. Profitons de la lumière du jour pour voir ça de plus près. Curedent pense que nous n’aurons peut-être pas à combattre. »

Le Sage, bras étendus, dans sa robe flottante, faisait face au soleil levant, que la brume dissimulait. Balle étincelait, placée sur un cairn devant lui. Et derrière, dans le lit asséché du fleuve, la foule compacte de ses disciples broncos répétait après lui les paroles sacrées.

« Voici le Fleuve ! » psalmodia-t-il.

— « Le Fleuve !… Le Fleuve !… »

« Bientôt, Olga sera parmi nous ! »

— « Parmi nous !… Parmi nous ! » « Olga est Amour ! »

— « Amour !… Amour ! »

Le Bricoleur et Mu Ren longèrent le lit rocailleux du fleuve pour rejoindre leur abri. Junior dormait sur les paquetages.

« Es-tu sûr que c’est bien le fleuve ? Ça me paraît si étroit ! » dit Mu Ren.

Le Bricoleur haussa les épaules. « Pour les cérémonies célébrées par le Sage, un endroit en vaut un autre. Je crois qu’il s’est servi des étoiles pour trouver la latitude. Mais je crains qu’il ne s’en soit pris à trop forte partie. Ses tours de passe-passe suffisent aux villageois, mais il y a ici des Broncos venus des quatre coins du continent… des centaines de milliers. Et ils comptent bien assister à quelque chose de formidable. Sinon, les choses pourraient se gâter. »

Mu Ren s’assit sur son sac. Elle avait à nouveau le ventre gros. Leur troisième enfant, en comptant le second qu’ils avaient perdu.

« Moi, je ne désire rien de formidable. J’aimerais seulement être encore au mont Table. Au moins, nous avions de quoi manger, là-bas. »

Le Bricoleur lui caressa la tête. « Le Sage a promis que nous trouverions une nourriture généreuse, une fois arrivés au Fleuve. Jusqu’à présent, ses prédictions étaient justes. Faisons-lui encore confiance pour cette fois. Il sera toujours temps de reprendre le chemin de la maison si ça ne marche pas. Le service des Chasses n’a pas l’air très actif ces temps-ci. Tout ira bien. »

Il fut interrompu par des cris sauvages, dans le lointain. Semblable réaction était rare chez les Broncos endurcis, que rien n’émouvait. Il devait se passer quelque chose de terrible, pensa le Bricoleur. Il saisit sa lance et courut vers l’endroit d’où provenaient les cris.

Les Broncos se tenaient à distance d’un chapeau de puits. Ils formaient un cercle morne, à cinquante mètres de la porte fermée du Garage. Devant la Porte, des corps gisaient. Une trentaine de Broncos blessés par flèche se tordaient de douleur ; beaucoup avaient été atteints par plusieurs flèches. Certains ne bougeaient plus.