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Le Bricoleur s’élança seul vers les lieux du carnage. Broncos, pouliches et poulains… les tireurs, quels qu’ils fussent, n’avaient pas pris la peine de viser. Puis il se retourna vers le cercle des visages attentifs, et vit que nombre des autres avaient été touchés superficiellement, les flèches encore fichées dans leur corps.

« Il doit y avoir une centaine d’archers ! s’exclama-t-il. Que s’est-il passé ? »

Un des Broncos les plus âgés s’avança. Son biceps gauche était transpercé par un trait sanglant.

« La porte du Garage… Elle s’est ouverte brusquement. Il y avait trois rangs de chasseurs avec des arcs tendus. Ils ont tiré, et la Porte s’est refermée.

— Attention ! »

La Porte s’ouvrait. Le Bricoleur plongea à terre. Une volée de flèches passa au-dessus de lui. Le vieillard ne fut pas assez rapide, et une flèche vint se ficher avec un bruit mat dans sa poitrine. La plupart des autres flèches franchirent les cinquante mètres, jusqu’aux Broncos, mais entamèrent à peine les cuirs durs.

Le Bricoleur hurla : « Que des lanceurs de javelots viennent ici, et vite ! Quand la Porte se rouvrira, il faudra la bloquer avec ces rochers. Nous allons bousiller ces salauds de chasseurs ! »

Les lanciers se mirent en colonne par quatre, avec leurs boucliers de cuir tanné, l’arme prête. Le Garage fixa ses optiques sur les visages résolus, les bras musclés. La Porte demeura close.

Le Sage vint à la rescousse, invoquant les cieux pour obtenir la guérison des blessures. Le Bricoleur passa de longues heures à extraire les pointes de flèches. Chez les adultes, les plaies étaient le plus souvent sans gravité ; le trait avait été dans la plupart des cas arrêté par une côte, par le sternum ou un autre os. Mais les blessures au ventre étaient redoutables, ainsi que celles dans l’épaule ou la hanche, lorsque des artères ou des nerfs avaient été touchés. Pour les enfants, c’était différent. Le trait pouvait traverser de part en part les petits torses. Le Bricoleur s’affairait, la rage au cœur ; il se représentait ses enfants à la place des victimes.

Lorsque la Porte d’un autre chapeau de puits, à un kilomètre cinq cents de là, s’ouvrit tout à coup et qu’un déluge de flèches se déversa sur les Broncos au repos, les malédictions du Bricoleur résonnèrent dans tout le campement.

« Prenons d’assaut une de ces cités-puits et massacrons-les ! » hurla-t-il.

Un groupe de lanciers hoquetant de fureur se forma bientôt derrière lui. Le Sage les arrêta de sa main levée.

« Olga est Amour ! entonna-t-il.

— Amour !… Amour ! » reprirent ses disciples.

Il prit le Bricoleur à part et lui parla, une main sur son épaule.

« Nous traversons de dures épreuves, mais je n’ai pas rassemblé mon peuple pour faire la guerre. Nous sommes les Disciples d’Olga, des pacifistes.

— Mais on crible ton peuple de flèches ! Regarde donc ! »

Le Sage prit une pose majestueuse, au milieu de ses fidèles en haillons, ignorant les plaies sanglantes.

« Olga nous protégera. C’est la seule chose qui importe. »

Le Bricoleur secoua la tête et s’en retourna vers Mu Ren et Junior.

« Je n’arrive pas à lui faire comprendre que nous devons répondre à ces attaques. La Grande S.T. va continuer à nous harceler si nous ne rendons pas les coups. »

Elle l’étreignit doucement.

« D’une certaine façon, je suis de ton avis. Mais le Sage a raison sur un point. Si tu attaques la fourmilière, je ne te reverrai peut-être pas. »

Le Bricoleur resta quelques minutes sans mot dire, puis, l’air grave, ouvrit sa trousse à outils. Avec des rochers, il fabriqua une forge à charbon de bois. Il fouilla les jardins moissonnés jusqu’à ce qu’il ait trouvé ce qu’il cherchait : un évent, dont les volets s’avérèrent très forgeables.

Deux enfants, puberté moins quatre, actionnèrent les soufflets en peau de cétacé tandis que le Bricoleur façonnait le métal. Le feu ronflait, le charbon de bois produisait une jolie lueur orange. Le marteau de pierre tintait contre l’enclume, également de pierre. Les étincelles voletaient. Toute la nuit, il travailla. Les lanceurs de javelots, impatients, lui amenèrent d’autres volets. Ils firent cercle autour de lui, émerveillés, cependant qu’il trempait le métal, le chauffait à nouveau et le martelait.

Le Sage contempla les plaines qui s’étendaient au nord. Ce qu’il vit le démonta quelque peu. Une Agrimache approchait, chargée d’un grand nombre d’archers en guenilles. Derrière venaient deux colonnes d’hommes en armes. Et plus loin, sur la gauche et sur la droite, quatre autres Agrimaches avec le même équipage.

« Mage, demanda un robuste lancier, qui sont ceux-là ?

— Nous verrons bien, répondit le Sage avec confiance. Nous sommes un peuple pacifique. Peut-être veulent-ils parler. »

Il fit signe à un petit groupe de ses disciples de poser les armes et de se rendre auprès de la première Agrimache. Lui-même se hissa sur un rocher élevé pour encourager ses hommes, et faire savoir à ces étrangers qui arrivaient qu’ils avaient affaire à un puissant sorcier qui ne les craignait pas.

Moïse se raidit en voyant cette meute désordonnée dévaler les rochers et accourir vers lui. Il se détendit en constatant qu’ils étaient sans armes.

« C’est le Sage du mont Table, dit enfin Curedent. Balle est avec lui. »

Le vieux Moon avait parlé à Moïse du Sage et de ses ouailles.

« Des Broncos, organisés en armée, comme nous ? fit Hugh. J’ai du mal à le croire, après ce que tu m’en as dit.

— Moi aussi, dit Moïse en hochant lentement la tête. Ça m’intéresserait beaucoup de connaître la raison de ce rassemblement. »

Moïse rencontra le Sage devant un feu de camp, en zone neutre entre les deux armées.

« Qu’est-ce qui vous a amenés ici ?

— Olga. Il doit y avoir un grand rassemblement. Olga pourvoira à notre nourriture. Elle nous protégera des chasseurs.

— C’est pour la nourriture que nous sommes ici, expliqua Moïse. Si votre Olga doit combler votre faim, elle ne vous a pas conduits au bon endroit. Toutes les terres ont été moissonnées au nord du 50e parallèle. Quel est l’état des récoltes, au sud ?

— Tout a été moissonné aussi. La fourmilière a cherché à nous affamer et nous a inondés sous la mousse.

— Tout est moissonné au sud du 50e ? » fit Moïse, surpris.

Le vieux mage acquiesça. Curedent couina.

Moïse et le Sage regardèrent chacun les visages anxieux de leurs fidèles affamés. Ils avaient atteint le Fleuve. Où était la manne ?

« Quand Olga doit-elle ?… commença Moïse.

— La prophétie s’accomplira lorsque les signes s’accorderont, dit avec fermeté le vieux sorcier.

— Quand le saurons-nous ? »

— Ce soir, je vais consulter ma boule de cristal, sous les étoiles. »

À la fin de la conférence, Moïse se releva pour aller rapporter à ses troupes enfiévrées ces maigres encouragements.

« Au fait, dit le Sage avant de partir, surveillez bien les chapeaux de puits sur votre terrain. Il y a des archers derrière les Portes des Garages. Ils font beaucoup de victimes à chaque fois. Mais notre Bricoleur a trouvé un moyen de défense.

— Merci de l’avertissement. »

Trois Broncos basanés, appuyés contre un chapeau de puits, admiraient l’œuvre du Bricoleur : de courtes épées étincelantes, au poli inégal, mais acérées. Dans le campement, tous dormaient ; dans chaque famille, on s’était pelotonné les uns contre les autres pour la nuit. Dans le ciel, les étoiles scintillaient.