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Après que le Bricoleur l’eut informé des raisons de leur présence en cet endroit, raisons qui confinaient à la superstition, Moon demanda où se trouvait Curedent.

« Lui et Moïse commandent les troupes au nord. Ils possèdent une centaine d’Agrimaches, et une main-d’œuvre apparemment capable de les réparer. Je n’avais jamais vu autant de techniciens des diverses castes. »

Moon se leva, Dan dressa la tête.

« Tu ne restes pas dormir ici ?

— Non. J’ai dans ma poche l’embase de Cure-dent. Il faut que je la lui rende. Il peut en avoir besoin. »

Il sortit un petit cylindre muni d’un optique et de plusieurs indicateurs de couleur.

Le Bricoleur escorta Moon et Dan jusqu’à la lisière du camp.

« Qu’est-ce que cette cicatrice en forme d’étoile sur le poitrail de Dan ?

— Une flèche. Elle a traversé le médiastin postérieur et s’est fichée dans la troisième vertèbre lombaire. Le nerf spinal antérieur était atteint, la patte gauche et la queue paralysées. Les réflexes et le système sensoriel étaient intacts. Il a perdu les orteils de la patte gauche, mais il va bien. Sa vessie et ses intestins m’ont inquiété pendant un certain temps, mais leurs fonctions ont repris. Rien ne peut relayer les nerfs sacrés, tu sais. »

Le Bricoleur hocha la tête. Tandis qu’ils conversaient, il dessina machinalement une vue en coupe du faisceau médullaire, montrant les trois cordons de matière grise : le postérieur, régissant le système sensoriel ; le latéral, commandant les fonctions réflexes ; l’antérieur, dont dépendent les fonctions motrices. Seul ce dernier était endommagé sous la troisième lombaire, en ce qui concernait Dan ; mais sa patte droite fonctionnait encore très bien.

« Le trait est sorti sans peine au bout de trois semaines, dit le vieux Moon. La pointe est toujours à l’intérieur. Il ne peut plus remuer la queue. » Il prit la brindille avec laquelle le Bricoleur avait tracé le schéma et esquissa une hache à double tranchant.

« Si vous comptez attaquer à nouveau les cités-puits, tu devrais essayer de fabriquer une bipenne sur ta forge. Six ou sept livres de métal, le poids approprié pour un manche de la longueur de l’avant-bras. Ces sortes de hache sont très pratiques quand il s’agit de se tailler un chemin… Le tranchant affûté est réservé aux pièces de choix », ter-mina-t-il en riant.

Moon était plus âgé que le Bricoleur et plus expérimenté. La bataille qui s’annonçait paraissait bien autre chose qu’une lutte pour obtenir des calories. Deux siècles d’errance à travers la Terre lui avaient donné une certaine perspicacité.

Josephson leva les yeux vers l’écran. Ses troupes avaient repris la cité-puits sans combattre. Les Broncos étaient retranchés dans le Garage derrière des barricades de ferraille. Ils possédaient des arcs et des flèches, mais les petits arcs, trop légers pour eux, se rompaient dans la chaleur de la bataille. Des Broncos frustrés sautaient par-dessus les barricades et s’élançaient dans la spirale pour repousser les troupes néchiffes qui s’y aventuraient. Le Sage leur avait ordonné de demeurer à la surface, aussi ces sorties étaient-elles de courte durée.

« N’essayez pas de reprendre le Garage, commanda Josephson. Etendez simplement devant un réseau de filets, et restez en position derrière. Tâchez de garder la quatrième volute de la spirale. »

Le commandant des troupes s’exécuta. On tendit les filets.

Josephson se brancha sur les appareils de Chasse du Pays Blanc. Il y avait de fortes interférences provoquées par les ondes E.M.

« Nous arrivons, Josephson. Six appareils sont attendus d’ici trois jours. Et douze autres la semaine d’après. Nous n’en avons perdu que deux jusqu’à présent.

— Comment les neuro-circuits supportent-ils les orages magnétiques ?

— Très bien. Nous sommes en contrôle manuel, bien sûr. Mais, pendant les accalmies, les communications sont très claires.

— En contrôle manuel ? Où avez-vous trouvé tous ces pilotes ?

— Nous apprenons… Oh ! oh ! le numéro trois est à nouveau en difficulté ! Je ferais mieux de modifier les prévisions : cinq vaisseaux d’ici trois jours, et treize la semaine prochaine. Nous nous entraînons. »

Josephson contacta d’autres équipes. Partout c’était la même chose : arrivée prévue d’ici une semaine, à un ou deux jours près. Les engins marchaient couci, couça, faisaient halte pour des réparations, regimbaient car les ondes E.M. leur donnaient la migraine, et souffraient de diverses affections visuelles.

Le soir tombait sur les campements. Curedent était nerveux. Moïse emmena le cyberjavelot jusqu’à l’angle sud-ouest du camp, et escalada l’édifice rocheux.

« Mon embase se trouve près d’ici.

— Celle que tu as laissée à… Moon ? fit Moïse avec animation. Il est vivant ? Où ?… » son regard courut vers le camp bronco, qui s’étendait au sud, en pagaille. Sur cinq kilomètres, le sol était couvert de guerriers affairés, de femmes et d’enfants. On avait dressé des abris. De la fumée montait des feux où cuisait la nourriture. Des bébés pleuraient.

« Le voici », dit Curedent en infléchissant la charge de sa membrane de surface pour désigner le vieillard voûté et le chien au museau allongé, claudiquant sur trois pattes.

Moïse se mit à faire de grands signes, à crier à tue-tête.

Le vieux Moon ne dit pas grand-chose. Il était heureux de les revoir, bien sûr, mais les discours n’étaient pas son fort.

« Voici ton embase », dit-il simplement en tendant à Curedent le cylindre décimétrique, qui s’ajustait sur l’extrémité inférieure du cyber, la plus épaisse.

« Sois le bienvenu, le vieux au chien. Comment va cette blessure ? »

Le vieux Moon gratta la cicatrice, qui faisait une fronce en haut et à gauche de son abdomen. « Elle me démange quand il va pleuvoir. Sinon, ça va. Mais elle a suppuré un sacré bout de temps. Le côlon a dû être touché, ainsi que les poumons, car j’ai craché des matières fécales pendant trois mois. »

Curedent consulta ce qui restait de ses données anatomiques.

« C’est peu probable, dit-il. Le côlon, oui, mais pas les poumons. Mais les colibacilles de l’intestin ont pu se répandre dans les plèvres et transmettre à tes expectorations une odeur putride. »

Le vieux Moon leva l’épaule gauche afin de montrer qu’il lui restait beaucoup de mobilité.

« En meilleure forme que jamais », grogna-t-il. Ses dents en or étincelèrent dans la lumière du couchant. Sa carcasse s’était étoffée ; il avait dû bien manger. Dan avait bon aspect lui aussi. Sa patte gauche se terminait au tarse, et l’obligation de marcher sur trois pattes avait renforcé la musculature de la patte droite et du tronc.

« J’arrive du camp du Sage. J’ai vu le Bricoleur et sa compagne. Leur principale préoccupation, c’est la nourriture, à ce qu’il m’a semblé, dit Moon.

— Ici, c’est pareil.

— Mais vous avez conquis des chapeaux de puits. Vous avez des troupes et des maches…

— La Grande S.T. a coupé les vivres dans ces cités. Les citoyens eux-mêmes meurent de faim, expliqua Moïse.

— Alors, attaquons la Grande S.T. » Moïse recula devant cette proposition.

« Investir la fourmilière, tu n’y penses pas ?

— Si, sacré bon sang ! Investir la fourmilière ! Conduire les troupes à l’assaut des spirales et des couloirs du métro ! Faire déguerpir ces petits asticots livides qui nous ont pris notre planète !… Les faire déguerpir, et les mettre à la broche ! » dit le vieillard, réjoui.