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Le jeune et sensible Moïse tressaillit à ces paroles brutales.

« Mais le Sage ne veut pas faire la guerre. Il est ici pour des motifs religieux… conjonction planétaire et tout le reste.

— Le Sage ! reprit le vieux Moon, méprisant. C’est peut-être le Sage pour toi, mais pour moi ce n’est que le Crétin du mont Table. Un type qui abuse de pauvres gens naïfs par des tours de magie, et crée une religion afin de ne pas être obligé de gagner ses calories à la sueur de son front… c’est un salaud ! »

Moïse essaya de le calmer. « Allons, allons. Ce n’est pas une tâche facile que de veiller sur des milliers de gens affamés. Je sais ce qu’il en est. J’ai moi aussi une foule de disciples au ventre creux. Pour le moment, nous avons tous besoin de manger. »

Moon fulmina : « Sacrebleu ! on peut toujours trouver quelque chose à se mettre sous la dent ! Donnez-moi une escouade d’archers et je vous ramène de quoi vous rassasier.

— Mais je t’ai déjà dit qu’il n’y a rien dans les cités-puits. Même les Néchiffes sont réduits à la famine. »

Moon sourit du même sourire malveillant que Moïse lui avait vu dans la grotte, après l’Escalade.

« Oh ! bien sûr, ça ne sera pas assez faisandé ! »

Moïse se sentit un peu faible. Si les choses en étaient à ce point… il essaierait d’y survivre. Il fit signe aux archers qui se reposaient, adossés contre la Laboureuse. Le soleil était couché. Une faible lueur bleuâtre soulignait l’horizon à l’occident.

« Soldats ! dit-il, le vieux Moon et son chien Dan vont vous conduire à la chasse… à la chasse aux Néchiffes. »

Ils hochèrent la tête. Le jour ou la nuit, c’était pareil dans la fourmilière.

Moon prit la tête de l’escadron. « Nous allons ramener de la viande ; il faudra choisir les jeunes en bonne santé. »

L’un des archers, un jeune homme avec des favoris peu fournis et la marque d’une ancienne tumeur sur son cuir chevelu, demanda avec quelque hésitation :

« De la viande, chef ? Nous allons les… les manger ?

— Ecoute, fiston, tu n’es pas obligé de venir. Mais je voudrais vous rappeler que ces barres de protéines dont vous vous êtes nourris en route provenaient des patients, de vos ex-voisins qui ne s’en sont pas sortis. Depuis votre réanimation, vous êtes des cannibales, que vous le vouliez ou non. Tout le monde l’est sur cette foutue planète. Il n’y a pas d’autre viande. »

Le jeune homme partiellement chauve sortit de sa poche la moitié d’une barre de protéines et regarda Moïse, incrédule. Moïse hocha la tête tristement.

« Elles ont subi un traitement, mais ce sont bien des protéines d’origine humaine. »

L’escadron se mit en marche derrière Dan et Moon.

Le Sage étudiait ses cartes et ses perles à la lueur du feu. Puis il porta sa boule de cristal en haut du rocher le plus élevé qu’il put trouver entre les deux armées. Des étoiles brillantes clignotaient dans un ciel noir d’encre. La lune n’avait pas encore fait son apparition. Le Sage entonna ses prières et ses incantations. Elles se répercutèrent à travers les deux camps, qui chantèrent bientôt en chœur les louanges d’Olga.

Balle resplendissait de vives lueurs, rouges, bleues, puis un blanc éclatant. Les armées se turent, frappées de terreur. Le Sage contempla les deux, plein d’espoir. Rien n’avait changé. L’aurore boréale était toujours perceptible. Les étoiles scintillaient, muettes. Certaines d’entre elles étaient sans éclat ; c’était, Moïse en était persuadé, ce qu’on appelait les étoiles errantes : les planètes. Le silence se prolongea. L’espace d’un moment, à l’est, le disque lunaire attira leurs regards. Puis Balle s’obscurcit. Le Sage marmonna que les signes n’étaient pas tout à fait propices, et qu’il ferait une nouvelle tentative la nuit suivante.

La déception fut vive dans les deux camps. Le Bricoleur s’enfonça dans les ténèbres avec une petite troupe de soldats. Ils franchirent le cercle d’Agrimousse grâce à une Laboureuse et allèrent piller des jardins éloignés. Geste symbolique, qui ne leur procura que quelques maigres calories nettement insuffisantes pour la horde d’affamés, mais qui prouva que pareille expédition était possible. À l’aube, ils n’avaient pas encore dépassé le cercle de mousse quand arrivèrent les vaisseaux de chasse ; il y en avait une vingtaine, dont on voyait luire les coques à trois cents mètres d’altitude. Les sas s’ouvrirent et les flèches tombèrent en grêle sur la Laboureuse. Les hommes descendirent et s’abritèrent sous le volumineux châssis.

« Levez vos boucliers ! » clama Moïse tandis que l’escadrille survolait le camp, faisant pleuvoir les flèches. La plupart d’entre elles se fichèrent dans la terre. Il n’y eut que quelques blessés légers. Les flèches étaient trop légères, et la pesanteur ralentissait leur course.

L’escadrille tenta d’opérer un demi-tour. Deux appareils se heurtèrent et s’écrasèrent dans un canal. Les autres se dispersèrent.

« Pas très brillant ! » commenta Hugh. Une section de Broncos repêcha les engins. Les Néchiffes de l’équipage furent achevés avec promptitude et clémence. L’un des appareils parut encore utilisable au Bricoleur.

« Ils devaient avoir pris les commandes manuelles ; les cerveaux-maches ne permettent pas qu’on tire de l’intérieur des vaisseaux. Tu as raison, ce n’est pas très brillant. Il faut de l’entraînement pour piloter une machine comme ça », dit-il.

Les capots des engins restèrent soulevés toute la matinée ; le Bricoleur enlevait des pièces d’un appareil pour les mettre sur l’autre. Il ôta l’antenne et régla les commandes manuelles.

« Un bon appareil, et quelle acuité optique ! Nous pourrions effectuer un vol de reconnaissance qui nous apprendrait beaucoup. Envoie un messager à Moïse et à Curedent pour leur demander s’ils veulent survoler le champ de bataille à quinze cents mètres d’altitude. »

Le Bricoleur se remit au travail. On rechargea dans un Garage la batterie de l’engin inutilisable et on la souda à l’arbre de transmission de celui qui était en meilleur état. Le Bricoleur désigna quatre archers et quatre bretteurs pour l’accompagner. Moïse arriva aux environs de midi.

Le Bricoleur maniait les commandes en professionnel. Les vols de rodage accomplis pour le Contrôle des Chasses avaient fait de lui le meilleur pilote du Service. Avec la bipenne sous son siège, il était aussi le mieux armé. Moïse s’agrippa à son siège tandis qu’ils survolaient leurs troupes à basse altitude. Les Broncos passèrent par les hublots leurs têtes hirsutes, ce qui déclencha des acclamations en bas.

Ils passèrent de la sorte leurs armées en revue ; en tout, un demi-million d’âmes, en comptant les femmes et les enfants. Leurs camps s’étendaient sur un rayon de cinq kilomètres autour de l’intersection du lit du fleuve et de l’édifice rocheux marquant le 50e parallèle. Les hauteurs étaient gardées par des archers ; les chapeaux de puits – il y en avait dix à l’intérieur du campement – par des lanciers et des manieurs d’épée. La circonférence était marquée en pointillé par une centaine d’Agrimaches, espacées de cinq cents mètres et chargées d’archers.

Le Bricoleur sourit.

« Nous sommes bien gardés. »

Moïse inclinait à penser de même. Il pouvait voir la section commandée par Hugh Konte faire le tour du campement, défiant les appareils de Chasse.

À six cents mètres d’altitude, le spectacle était différent. La mer d’Agrimousse montait et descendait sur un espace quatre fois plus grand que celui occupé par l’armée. La Grande S.T. pouvait tout aussi facilement inonder une zone de trente kilomètres de diamètre, voire de trois cents. À mesure qu’ils prenaient de l’altitude, leurs certitudes diminuaient. Les chapeaux de puits semblaient recouvrir la Terre à l’infini, par milliers, par dizaines de milliers.